Un homme pénètre un bâtiment abandonné plongé dans la pénombre. Il transporte un sac. C’est un livreur. Méfiant, apeuré, il s’avance lentement… Une voix masculine s’élève alors. De l’obscurité. Son propriétaire apparaît, et laisse celui ou ceux qui le contemple(nt) abasourdi(s), voire émerveillé(s): Ethan Hunt.
Dead reckoning = naviguer à l’estime, au pif. Ok, mais jusqu’où ?
C’est la rengaine habituelle : Tom Cruise / Ethan Hunt apparaît et laisse son auditoire subjugué. Et pour l’instant ça continue de marcher. C’est ce qui rend son cas aussi intéressant et beau dans ses meilleurs aspects que moins joli quand on s’y penche un peu. Car comme tout le monde le sait, l’ego de la star ne cesse de prendre de l’ampleur mais jusqu’à quel point ? Le scénario de cette première partie se veut plus musclé. Plus sombre. Plus complexe. L’intro est longue et donne l’impression de voir un autre film, les personnages en costume répètent que le danger est phénoménal, celui-ci est – évidemment – une IA, les protagonistes sont toujours plus nombreux, les enjeux toujours plus grands… Mais ça reste le bordel, faut quand même être honnête. Car l’antagoniste choisi est une intelligence artificielle, probablement, oui, le symbole de la quête de Cruise pour conserver un cinéma artisanal face au tout numérique. Mais c’est le problème quand on veut donner plus de sérieux à un scénario qui n’en a pas vraiment besoin, ou en tout cas pas comme ça : on finir par s’égarer. La saga a un peu toujours navigué à l’estime, puisqu’elle est une des seules – la seule ?– à concevoir en premier les séquences d’action pour ensuite seulement écrire le reste et permettre de lier tout ça, mais au bout d’un moment, forcément, ça lui retombe un peu dessus, Dead Reckoning n’évitant pas les clichés type « flashback pour montrer un évènement et des personnages dont on avait jamais entendu parler avant« .
Ici, elle fait donc le choix très casse-gueule d’une IA en tant qu’antagoniste, qui du coup pulvérise la crédibilité et rend un peu lourds le ton grave probablement en trop pour un film donc ce n’est pas l’objectif. Et si M:I 7 perd alors peut-être un peu de charme, s’alourdit en partie et a en plus la mauvaise idée de durer plus longtemps (2h43 au compteur, le plus long), le résultat est évidemment largement à la hauteur, car la saga n’oublie jamais non plus son objectif justement: l’action. Le spectacle. Celui inspiré, dixit McQ et Cruise, de Buster Keaton ou même Fred Astaire pour le fonctionnement de l’action. Car, même si l’impression de bazar complet de la séquence de révélations en pagaille de Fallout (dans la planque souterraine, quand tout le monde se tire dessus) semble se répéter plusieurs fois ici, bien sûr que globalement c’est très réussi. Nul doute que le public foncera apprécier le spectacle comme pour le finalement simpliste mais très jouissif Top Gun : Maverick, Mission: Impossible restant une perle rare de divertissement grand public et pourtant la situation est un peu délicate, car pour chaque qualité à louer, il semble y avoir un défaut à soulever.
Une machine infernale qui brise les personnalités ?
Car, comme le disent un certain nombre de personnes, le tableau est loin d’être aussi impeccable que le sourire Colgate de la vedette, le parallèle entre la saga et la vie (et l’égo) de la star semblant être plus fort que jamais. C’est la sensation assez fascinante qui se confirme ici : Cruise prétend vouloir garder l’humain au premier plan, mais, si on ne peut qu’apprécier ses efforts ou nier son amour du cinéma (les acteurs louant un homme véritablement impliqué et un partenaire de travail formidable), le fait est qu’il finit par créer une machine infernale au sein même de sa franchise, une mécanique délaissant ses personnages, d’autant plus qu’elle continue d’en créer qu’elle délaisse et sous-exploite. Alors que la dimension collective a toujours permit à la saga de se démarquer (contrairement par exemple à James Bond – même si on l’apprécie), notamment à partir du fabuleux Protocole Fantôme de Brad Bird où les gadgets défaillants obligeait le groupe à reposer les uns sur les autres, voir l’écriture des personnages qui gravitent autour du toujours plus puissant Cruise faiblir est quand même décevant. Ilsa en tête, ici. Autrefois formidable espionne pleine de charisme et de potentiel apparue dans le très bon et élégant Rogue Nation, elle finit tristement dans ce film après avoir été montrée de manière étrange (voir Ethan et elle se tenir la main où s’enlacer est plutôt touchant mais mal amené et donc légèrement perturbant). C’est aussi le cas de Grace, à qui la magnifique Hayley Atwell donne tout son talent et son charme. Elle s’en tire mieux, son personnage de voleuse insaisissable et non dénué d’humour s’intégrant parfaitement au sein du film, mais finit par se voir opérer un changement de caractérisation jamais expliqué et surprenant, passant d’une femme indépendante à quelqu’un de peureux qui ne sait plus conduire (!) ou agir sans les conseils de ce décidemment très doué Tom.
L’idée aurait pu être intéressante et belle, de voir tous ces archétypes de film d’action et d’espionnage gagner des nuances, des failles et une épaisseur dépassant le genre du film d’action – d’autant plus que la dynamique collective aurait pu vraiment être présente (même s’il y a de ça lors de la séquence de l’aéroport), sachant que c’est un des aspects qui donne son charme et son cœur à la saga depuis le quatrième épisode, mais le résultat s’égare. Car c’est le même constat pour les autres, entre la Veuve Blanche pas développée, le méchant Gabriel sortit du chapeau (ou plutôt du passé avec un flashback très bancal) ou encore les deux agents dépassés par les évènements… C’est donc, à l’image du plus touchant mais donc lui aussi sous-exploité Benji (cf la scène de l’aéroport), plutôt un ratage de ce côté-là. Le film fait d’ailleurs apparaître un nouvel antagoniste plutôt charismatique mais assez creux et jamais original, alors que la trogne et la présence impayables de Sean Harris en Solomon Lane a disparu sans explication (tout comme Angela Bassett, apparemment indisponible).
Sauf qu’on est dans un Mission Impossible et que si toutes ces analyses, les autres qu’on pourrait faire ainsi que les théories qu’on pourrait imaginer sont tout à fait pertinentes, évidemment que le spectacle est là est le plaisir aussi. Bien sûr qu’on continue de s’éclater. Et en partie, donc (et heureusement), grâce à l’action et sa mise en scène.
Cricri McQarrie
De ce côté-là, c’est donc toujours Christopher McQuarrie à la barre. Et malgré l’histoire bordélique qui se prend sûrement trop au sérieux, la direction choisie a en revanche le mérite de conserver un élément essentiel qui manque à beaucoup de productions du genre et qui participe à conserver le statut à part de MI : le ressenti. « L’expérience » si souvent mise en avant. Là où McQ s’attachait notamment aux engins dans Rogue Nation (et d’ailleurs dès le début avec l’avion), avec par exemple une longue course-poursuite marocaine où chaque bruit de moteur se glissait sous la peau du spectateur happé; et où il faisait pareil dans Fallout en ajoutant à ça le poids des corps (en partie grâce au parfait Henry Cavill et la scène des toilettes) ; la sensation est toujours présente ici. Organisant des séquences d’action toujours aussi impressionnantes, le film rajoute en plus de redoutables moments de tension et de suspense, et nous fait le temps d’un instant vraiment craindre pour les personnages. Continuant de couper la musique quand il faut (notamment dans la tellement vendue cascade en moto, qui n’est d’ailleurs pas si bien intégrée finalement) ou de donner de l’impact aux coups sans tomber dans trop de violence, on est régulièrement scotchés au siège.
L’équipe derrière le film continue de proposer des situations réjouissantes, à base de Fiat 500 poursuivie à travers Rome (et le coup très bien vu du changement de place), de combat à mains nues dans une minuscule ruelle de Venise ou d’effondrement de train qui a les moyens d’aller défier directement celui d’Uncharted 2. La saga maintient sa capacité à organiser de formidables séquences d’action lors de celle-ci, lorsque la musique se coupe et qu’on utilise plusieurs éléments du décors pour s’attarder dessus et jouer avec (on se méfiera avant de pénétrer les cuisines d’un train désormais). Cruise, tel une réincarnation de Buster Keaton, continue de défier les lois de la gravité avec un courage et un plaisir qui force toujours l’admiration. Et même si McQ opte parfois pour un montage trop rapide ou utilise trop les plans décadrés (penchés), l’ensemble est solide, audacieux (la longueur des dites séquences, notamment celle à Rome) ludique quand il faut (cf le plan où les deux agents se demandent où est Hunt alors que celui-ci traverse le toit au-dessus d’eux). Comme dans les autres films depuis le cinquième, quelques instants plus abstraits, contemplatifs voire parfois presque poétique se glissent de temps en temps, dessinés par une caméra et une musique plus abstraites qui permettent à la saga de conserver du cœur.
Celle-ci n’a peut-être jamais été aussi intéressante à analyser. Celui ou celle qui viendra y chercher une solide et sincère proposition d’action y trouvera son compte, et ceux qui voudront analyser plus en détails en quoi ce septième film prouve probablement l’existence de l’influence positive comme négative de Cruise auront du grain à moudre. Car c’est la sensation étrange qui se dégage quand on veut penser autant au plaisir qu’à une analyse plus poussée : la sincérité semble côtoyer des ambitions moins désintéressées et ce, de manière constante. Reste alors à attendre la deuxième partie prévue normalement pour l’été prochain, pour voir comment tout ça va se terminer. Si tout ça se terminera bel et bien. Car pour l’instant, il court toujours, le Tom Cruise. Et nous avec.
Simon Beauchamps
• Réalisation : Christopher McQuarrie
• Scénario : Christopher McQuarrie, Erik Jendresen
• Acteurs principaux : Tom Cruise, Hayley Atwell, Rebecca Ferguson
• Date de sortie : 12 juillet 2023
• Durée : 2h43min