Photo du film plan 75
Crédits : Eurozoom

PLAN 75, fléau du temps qui passe – Critique

Pourquoi allons nous au cinéma ? Pour se divertir, se faire peur, rire, pleurer ; autant d’émotions que l’on aime vivre le temps d’un instant. On se coupe de notre quotidien pour plonger dans le monde de l’imaginaire…

L’un des rôles majeurs du cinéma et de l’art, en général, est de renverser nos croyances au travers de questions sociétales ou émotionnelles. Une œuvre existe parce qu’elle nous questionne, établit un nouveau rapport entre l’individu et le monde dans lequel il vit. Quand il touche à des sujets de société, le cinéma impacte la réflexion et le ressenti du spectateur. La vieillesse à l’écran a autant été abordée de manière contemplative avec L’étrange histoire de Benjamin Button de (David Fincher), que divertissante avec l’excellent Youth (Paolo Sorrentino). On joue avec les codes de la vieillesse en prenant le temps de questionner le spectateur sur notre rapport au temps, aux souvenirs, à la trace que l’on va laisser dans le monde. À l’heure où l’écart entre la jeune et l’ancienne génération semble se creuser de plus en plus, quelle place accorde-t-on à la vie, à la dignité humaine et au bien-être commun ? C’est la question que pose l’œuvre de Chie Hayakawa, PLAN 75.

Photo du film plan 75
Crédits : Eurozoom

Le vieillissement de la population s’accélérant de manière inquiétante au Japon, le gouvernement japonais décide de créer Plan 75, un organisme permettant aux personnes de plus de 75 ans, si elles le souhaitent, de se faire euthanasier. Ce film soulève plusieurs problématiques sur le système japonais, notamment la charge imposée par les personnes seniors et la haine instaurée par les jeunes envers cette population.

La scène d’ouverture du film, qui contextualise le propos, n’a pas été choisie par hasard. Cette scène fait référence au massacre de Sagamihara, terrible événement où un jeune homme a tué 19 personnes dans une résidence pour personnes handicapées, estimant que ces personnes n’apportaient rien à la société. Ce fait divers en dit long sur le cynisme ambiant de la population, et a donné l’idée à la réalisatrice de traiter ce sujet. Le film soulève la question de la dignité et de l’humain dans un monde où l’économie semble prévaloir sur tout le reste. Le plan 75, instauré par le gouvernement, n’est rien de plus qu’une purge pour soulager l’économie du Japon, qu’on distille par une communication bienveillante et institutionnelle afin de faire passer la « pilule » plus facilement auprès du public ciblé. C’est un véritable marché mortuaire qui se met en place, où la jeunesse semble avoir gagné. PLAN 75 pointe aussi du doigt les difficultés rencontrées par les personnes âgées : l’isolement social, la difficulté pour se loger ou pour trouver un travail décent. Des problèmes dont le gouvernement a conscience.

Nous allons suivre, durant presque deux heures, trois personnages. D’un côté Michi, une personne âgée accablée par la solitude et les problèmes financiers, qui souhaite bénéficier de l’euthanasie via le plan 75. De l’autre côté, Hiromu, un jeune japonais qui travaille pour le gouvernement et qui accompagne les seniors dans cette étape et pour qui l’éthique n’a pas l’air d’être un sujet, du moins pour le moment. Enfin, Maria, jeune aide soignante, mère d’une petite fille de 5 ans atteinte d’un cancer, qui n’a pas les moyens de payer l’opération. Elle se voit proposer par une connaissance un travail mieux payé, mais très déshumanisant, à savoir récupérer et trier les affaires des personnes décédées.

Trois parcours de vie différents mais qui abordent, chacun à leur manière, la vieillesse et l’impact que cela représente dans leur quotidien. Si on a l’impression, dès la présentation des personnages, que leur chemin sera linéaire, il n’en est rien. Leur évolution, à travers leurs choix et leurs remises en question, est bouleversante tant elle se fait naturellement et qu’elle apporte un sentiment d’humanité et de bienveillance, notamment chez Hiromu. À l’image de l’œuvre qui cherche à questionner le spectateur sur son rapport à l’autre, les personnages tendent à ce même questionnement.

Photo du film plan 75
Crédits : Eurozoom

D’un point de vue de la réalisation, le premier long-métrage de Chie Hayakawa se veut très contemplatif ; le rythme est assez lent, mais concorde avec le propos. La contemplation et la volonté de montrer des plans très descriptifs sont raccord avec l’image que l’on se fait de la vieillesse. Tantôt des plans larges, tantôt des plans plus serré ; le film vacille dans le cadrage de la même manière qu’il vacille entre les personnages principaux, remarquablement incarnés par Chieko Basho (Michi), Hayato Isomura (Hiromi) et Stefanie Arianne (Maria), qui sont bouleversant d’honnêteté. On ressent la patience et la fin d’un cycle à travers Michi, les remises en question et le rapport à l’autre avec Hiromi, et le bouleversement avec Maria. Ils sont d’une justesse pertinente et nécessaire pour comprendre le propos et le rapport qu’on entretient avec le temps qui passe.

PLAN 75 dresse un portrait très sombre d’un futur qu’on imagine très proche, où le vivre ensemble n’est plus. Pourtant, Chie Hayakawa nous invite à nous questionner sur notre rapport à l’autre. Le prisme de la vieillesse et du droit de vie, sujets plus qu’actuels et qui nous poussent, au travers de différents parcours de vie, à se questionner sur l’impact que chaque individu peut avoir sur l’évolution des mœurs et de la société, font de PLAN 75 une œuvre nécessaire.

Amaury DUMONTET

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affiche du film plan75 - PLAN 75, fléau du temps qui passe - Critique
Titre original : プランななじゅうご
Réalisation : Chie Hayakawa
Scénario : Chie Hayakawa
Acteurs principaux : Chieko Baishô, Hayato Isomura, Stefanie Arianne
Date de sortie : 7 septembre 2022
Durée : 1h52min
3.5

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