En racontant le retour d’une star de la pornographie dans sa cambrousse natale, Sean Baker réalise un véritable tour de force. Romance survoltée portée par l’interprétation clinique de Simon Rex, Red Rocket est d’ores et déjà un incontournable de ce début d’année.
C’est indéniable : au fil de ses films, Sean Baker trace les contours de son propre territoire autonome, dont il se fait prince. Après l’excellent Florida Project qui explorait la morne périphérie d’un parc Disneyland de Californie, le metteur en scène signe un grand film crépusculaire et polymorphe, inclassable. RED ROCKET est une plongée radicale dans un monde oublié, un témoignage de l’existence d’essarts délaissés et pourtant bien réels, n’ayant pour seul lien avec la réalité que celui de l’écran de télévision sur lequel s’anime le visage d’un Donald Trump rougi par les néons. Au sein d’un microcosme infernal où se meut un quotidien de l’ennui et du néant, Mickey fait un come-back révolté, véritable électrochoc pour les figures mortifères jonchant l’ombre des usines.
Le temps paraît figé dans cet espace isolé et négligé, métonymique de l’état d’esprit de la femme de Mickey. Comme si elle se complaisait dans cette apathie, elle refuse le retour de celui avec qui elle avait connu la gloire, dans l’industrie pornographique. Ce rejet de l’aventure et du trivial quasi-imposé par la suite traduit ainsi le traumatisme de ces laissés-pour-compte, victimes du grand renouveau social prôné par Trump, autour desquels rôde une forme de gravité imperceptible. Baker tente de concilier l’inconciliable en invitant le spectateur dans un lent désordre maîtrisé, un récit déconstruit dont Mickey tire toutes les ficelles.
Grand bien prend à RED ROCKET de refuser les rouages de l’apologue politique. Aux antipodes de ce que le cinéma indépendant américain a pu faire de plus didactique, le film trouve un équilibre régressif assumé entre une poétique de l’absurde et une noirceur radicale. L’alchimie qui en résulte donne lieu à de nombreux climax riches en tension et quiproquos. Si Mickey parcourt ces ténèbres emplies de « freaks » en tous genre, il y est aussi confronté. L’étrangeté des situations engendrées force l’émerveillement tant elle génère de multiples comiques de situation. En promenant sa caméra dans les moindres recoins de ce labyrinthe presque démoniaque, le cinéaste se livre à une passionnante exploration des genres qu’il s’amuse à confronter. Toujours admiratif de ces lieux délaissés, il synthétise avec pertinence des sujets archi-rebattus.
Il est fascinant de constater, que, comme dans l’autre grand film de ce début d’année, Licorice Pizza, Baker façonne une histoire d’amour convaincante entre deux êtres que tout oppose. Outre le perfectionnisme au moyen duquel il stylise son univers, la capacité qu’a le réalisateur à insuffler la romance force l’admiration. La saveur des donuts est contagieuse et on croirait presque à l’utopique fuite entrevue par Mickey, pour qui on se surprend à éprouver de la compassion. Fort heureusement, le cadre empirique annihile toute forme de réussite et d’espoir ,et ce même si les motifs habitant les personnages semblent à porter de main. Chez Baker, le héros est condamné à la périphérie. Pour poursuivre l’allégorie des enfers, le châtiment subi à la fin par Mickey le rapproche de Tantale. Un épilogue acerbe et foncièrement drôle, conclusion d’une bouffée d’air délectable et sucrée qui aurait mérité davantage de reconnaissance dans le paysage des festivals.
Emeric
• Réalisation : Sean Baker
• Scénario : Sean Baker, Chris Bergoch
• Acteurs principaux : Simon Rex, Bree Elrod, Ethan Darbonne, Suzanna Son, Judy Hill
• Date de sortie : 02 Février 2022
• Durée : 2h08min