Photo du film IMPITOYABLE - IMPITOYABLE - Critique

IMPITOYABLE – Critique

La ressortie en 4K du chef d’œuvre crépusculaire de Clint Eastwood est une occasion unique et savoureuse de se pencher à nouveau sur cet adieu définitif d’un maître hollywoodien au genre qui l’aura consacré.

Flash-Back. Repéré dans la série Maverick et Rawhide (1959-1965), Clint Eastwood dû malgré tout passer par l’anonymat européen et le rôle de « l’homme sans nom » pour s’en faire un. La trilogie de Sergio Leone fera le reste : Pour une Poignée de Dollars (1964), Et pour quelques Dollars de plus (1965) puis Le Bon, la Brute et le Truand (1966) assoient sa notoriété grandissante et l’associe de fait au réalisateur italien au point qu’il refusera Il était une fois dans l’Ouest (1968) afin d’éviter tout amalgame. Cela lui permettra de rencontrer son second mentor, Don Siegel avec qui il tournera coup sur coup Un Shérif à New York (1968), Sierra Torride (1970), Les Proies (1970) et L’inspecteur Harry (1971). S’il creuse le sillon du western, il met également en place son archétype urbain. Définitivement lancé, Clint Eastwood peut dès lors assouvir ses velléités de réalisateur et, pour cela, fait le choix d’approfondir son personnage peu enclin aux bavardages.

De L’Homme des Hautes Plaines (1973) à Josey Wales Hors la Loi (1976) en passant par Pale Rider (1985), sa vision du Western (à laquelle on peut ajouter Bronco Billy en 1980) reste sans concession, épurée, minimaliste. Il confronte l’icône créée avec Sergio Leone à une vision sèche d’où surgit une certaine forme d’humanisme, une réflexion sur les fondements mêmes de l’Amérique, à la fois réaliste et ambiguë. Et puis Clint Eastwood passe à autre chose. Son statut d’auteur avait pris de l’importance avec Honkytonk Man (1982) et Bird (1987), mais c’est dans une vraie période de flottement artistique et après la déconfiture de La Relève (1991) qu’il entreprend, enfin, ce qu’il considère déjà comme sa lettre d’amour au western, son requiem. Eastwood évoquera même la possibilité qu’il s’agisse ici de son dernier film. Celui que personne n’attendait plus de sa part. Son testament.

Impitoyable - Clint Eastwood
Clint Eastwood sur le tournage de Impitoyable (1992)

Pour cela, le cinéaste aura attendu d’avoir l’âge du rôle principal. Mais il faut préciser que l’histoire du script d’IMPITOYABLE est lui-même symptomatique des chefs-d’œuvre de patience. Écrit en 1976 par David Webb Peoples (par la suite co-auteur des adaptations de Blade Runner et L’Armée des 12 Singes), The William Munny Killings (titre original) sera acquis en 1984 par Francis Ford Coppola avant que Clint Eastwood n’en rachète les droits l’année suivante. L’horloge tourne et, au fil des années, cette histoire deviendra une véritable arlésienne dont on se demande si elle finira par se concrétiser. En 1990, c’est Kevin Costner, tout juste auréolé des oscars du meilleur film et du meilleur réalisateur pour Danse avec les Loups (un western !) qui évoque en interview ce script formidable qu’il adorerait mettre en scène et dont il attend l’adaptation avec impatience. Pourtant, rien d’exceptionnel dans les fondements d’une histoire qui repose sur un argument ultra-classique : des prostituées embauchent une poignée de tueurs à gage pour venger l’une des leurs, défigurée par deux cow-boys. Le Kid Schofield (Jaimz Woolvet), jeune impétueux, ramenard et bigleux, tente alors de convaincre William Munny (Clint Eastwood), ancien hors la loi sans pitié, de se joindre à l’expédition. Veuf, ce dernier est devenu fermier par amour et n’a plus touché ni alcool, ni arme à feu depuis des années. Couvert de dettes, il accepte malgré tout d’accompagner le Kid et s’adjoint les services de Ned Logan (Morgan Freeman, impeccable), son ami de longue date.

La sobriété de la mise en scène ajoutée aux ambiances à la fois sombres et lumineuses de la région d’Alberta (Canada) offre une image qui joue à merveille des atmosphères. Sous prétexte d’un road movie en forme de baroud d’honneur, très fordien dans son traitement et son rapport à la nature (Les Cavaliers, La Prisonnière du Désert), l’influence morale de John Huston et William Wellman (The Ox-Bow Incident, l’un de ses films de chevet de Clint) reste fondamentale jusque dans le masochisme assumé des personnages. Il faut observer Clint Eastwood et toute la légende du cinéma qui l’accompagne à chaque geste, tomber de cheval, tirer comme un manche, se ridiculiser à vouloir retrouver de sa superbe, se reconstruire. Manteau sombre, barbe naissante, air mauvais, la silhouette se donne ici plus qu’une allure fantomatique, un patronyme. L’archange de la mort se réincarne alors sous nos yeux. Il peut repartir au turbin et la route qu’il va emprunter n’a rien de paradisiaque.

En taquinant le cadavre encore chaud d’un genre enterré un peu vite, Clint Eastwood en profite pour revisiter les codes, refaire ses gammes. Mais à l’ouest, rien de nouveau. Rien de clinquant non plus. Un trou paumé au nom évocateur (Big Whiskey), un bon vieux saloon, l’inévitable bordel, du glauque et du shérif qui s’acharne à gérer la violence par la violence. Celui qui prend l’épée, périra par l’épée dit la Bible. Apocalypse annoncée. Dans de rôle de Little Bill Dagget, Gene Hackman fait merveille. Alors qu’il avait initialement refusé le rôle pour sa violence, justement, il déploie ici des trésors de subtilités dans ces paradoxes incarnés pour nous donner un personnage vicieux, pervers, mauvais mais persuadé de faire le bien, et qui ne doit sa place qu’à la chance d’avoir survécu aux carnages et règlements de comptes des bandits légendaires. Le Far West rutilant de Shane (Georges Stevens, 1953) est décidément bien loin. Ici, rien n’est luxe, calme ou volupté. La poussière, la boue et le sang font le quotidien. Et la vengeance se monnaye cash. Qu’il s’agisse de Ned en copain devenu pacifiste, de William Munny ou du carnage final, à la fois pathétique et symbolique d’un héroïsme galvaudé, tous les archétypes sont détournés. Même les exécutions s’avèrent misérables, écœurantes, presque grotesques.

« IMPITOYABLE est un film magnifique et crépusculaire, l’adieu de Clint Eastwood au Western. »

Eastwood en profite pour déglinguer tout un pan de sa réputation, battit sur des malentendus : misogynie, racisme, fascisme latent… William Munny trimbale sa propre légende, lui qui ne veut plus être qu’un homme normal, redevenu sobre, fidèle, bon père de famille, moralement lavé de ses pêchés. Le cercle narratif est classique et une fois de plus, on ne peut tourner le dos ni à sa nature profonde, ni à son passé. Le tueur de femmes, d’enfants et de tout ce qui « bouge ou rampe sur cette Terre », sans foi ni loi, uniquement intéressé par l’argent et l’alcool, retrouvera ses vieux réflexes (« j’ai toujours eu de la chance quand il s’agit de tuer les gens »), contaminera le Kid de cette violence séminale avant de philosopher sur l’acte de tuer. Et cette violence, filmée en dehors de tout esthétisme gratuit, se répand alors comme un mal inévitable. Une exécution dans les latrines, cette longue agonie dans les rocheuses, des passages à tabac, une scène de torture annonciatrice du Ku Klux Klan…

Le passé de William Munny devient le symbole d’une nation construite sur la violence et la cupidité. Les deux seuls témoins « étrangers » sont ici représentés par English Bob (Richard Harris), tueur anglais roué de coups par le représentant de la loi, et W.W. Beauchamp (Saul Rubinek), le journaliste qui n’hésite pas à réécrire une histoire travestie pour amuser la galerie… à rebrousse-poil de L’Homme qui tua Liberty Valance (John Ford, 1962) et de son célèbre « entre la vérité et la légende, imprimez la légende ». =IMPITOYABLE renvoi ainsi les échos de classiques du genre et s’emploie à les regarder autrement. Il faudra que le héros côtoie lui-même le monde des morts et en revienne transformé pour retrouver toute sa froideur, son costume de fossoyeur. Comme s’il avait abandonné en route cette faiblesse, ce supplément d’âme inutile que l’amour d’une femme lui avait transmis.

Clint Eastwood et Morgan Freeman (Impitoyable, 1992)
Clint Eastwood et Morgan Freeman

Crépusculaire, IMPITOYABLE traque sans relâche le mythe. Se fait magnifique dans ces grands espaces pétris de mémoire collective. Les champs, les canyons, la neige, la pluie à travers lesquels Clint Eastwood observe les dégâts. Le constat est désabusé et sans appel. La violence gangrène le monde ? Mais ce monde n’a-t-il pas été construit sur cet axiome ? « Je ne méritais pas ça » murmurera Little Bill Dagget. Peut-être pas, mais cette façon de renvoyer les barbares à leurs propres actes n’offre aucune issue. Le shérif illustre systématiquement ce paradoxe inextricable, dans sa façon de raconter l’histoire, de penser la justice ou de construire sa maison. Tout est bancal. Prêt à s’effondrer.
Et lorsque William Munny s’éloigne d’une ville mise à feu et à sang sur fond de murmures et de bannière étoilée étouffée par le vent, on se dit que c’est Clint Eastwood réalisateur/acteur qui abandonne le Western pour de bon. Que pouvait-il dire de plus ? A rebours, il ne sera pas étonnant de retrouver le même schéma narratif avec Gran Torino (2007).

D’une élégance rare et d’une intelligence folle, IMPITOYABLE récoltera quatre oscars (film, réalisation, second rôle masculin et montage) et consacrera définitivement Eastwood dans son pays. Enfin. Car celui qui était considéré depuis longtemps comme un auteur en Europe, et en France notamment, conservait chez lui cette image d’acteur mutique, un poil réac, réglant ses comptes avec des méthodes pour le moins expéditives. En tordant une nouvelle fois sa propre légende, IMPITOYABLE fera bien plus que  rencontrer son public (il deviendra alors son plus grand succès) et l’unanimité de la critique. Le panneau final ne s’y trompe pas. En faisant disparaître Munny/Eastwood tel un fantôme, le film nous donnait rendez-vous ailleurs, le temps d’un dernier hommage générique à Sergio Leone et Donald Siegel sur un thème musical écrit, comme souvent, par le réalisateur lui-même. On pourra dès lors reprocher la traduction trop simpliste du titre original, UNFORGIVEN (impardonné), qui porte en lui le germe du pêché originel et son impossible rédemption. Comme une ultime tragédie ironiquement contredite par le dernier carton permettant à Clint Eastwood de jouer une nouvelle fois de l’ambiguïté. The End.

Cyrille DELANLSSAYS

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Classé depuis dans le carré d’as du Western par l’American Film Institue (avec La Prisonnière du Désert, Le Train Sifflera Trois Fois et L’Homme des Vallées Perdues), IMPITOYABLE sera la source d’un remake japonais, Yurusarezaru Mono (2013) avec Ken Watanabe, acteur principal de Lettres d’Iwo Jima (2006) réalisé par Clint Eastwood. La boucle est bouclée. Mais ceci est une autre histoire…
Note des lecteurs19 Notes
Impitoyable Unforgiven 1992 - IMPITOYABLE - Critique
Titre original : Unforgiven
Réalisation : Clint Eastwood
Scénario : David Webb Peoples
Acteurs principaux : Clint Eastwood, Gene Hackman, Morgan Freeman
Date de sortie : 21 juin 2017
Durée : 2h11min
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bouharoun
bouharoun
Invité.e
20 juin 2017 13 h 46 min

Unforgiven, l’un des meilleurs films de Clint Eastwood, si ce n’est le meilleur.
Un film qui a sa place dans l’histoire du cinema.
Un des plus beaux castings que Clint ait eu à diriger.
Egalement, l’un des meilleurs films parmi ceux ayant obtenu l’oscar du meilleur film.
C’est un film qui conclut en beauté la carrière westernienne de Clint.
C’est également une de ses meilleures performances d’acteur.
C’est l’une des premières fois qu’il convainc vraiment la critique et le public à la fois.
Après un passage à vide au box-office américain à la fin des années 80, il revient au sommet de sa popularité avec ce film. Dans La Ligne De Mire qu’il tourne juste après confirmera ce retour en grâce.
Suivront Un Monde Parfait, Sur La Route De Madison, Mystic River, Million Dollar Baby, Mémoires De Nos Pères, Lettres D’Iwo Jima, L’Echange, Gran Torino, J.Edgar, American Sniper et Sully. En attendant les suivants.
Certains films tournés dans les années 80 annonçaient Unforgiven: Honkytonk Man, Pale Rider, Bird, Chasseur Blanc Coeur Noir. Je pourrais également ajouter des films comme Josey Wales Hors-La-Loi et Bronco Billy qui constituent un virage ou une rupture de ton dans la carrière de Clint.
Virage commencé avec des films comme Les Proies, Un Frisson Dans La Nuit et Breezy.
C’est dire la qualité des films de Clint avant Unforgiven qu’une partie de la critique et des cinéphiles n’a pas su apprécier, influencée et aveuglée par son mépris de L’Inspecteur Harry.
Je dois d’ailleurs dire que L’Inspecteur Harry, le film original realisé par Don Siegel, est non seulement un très bon divertissement mais aussi une oeuvre majeure dans la carrière de Clint.

Alors c’est avec beaucoup de joie, de plaisir et d’émotions que j’irai en salles revoir Unforgiven.

P.S. Lorsque Clint apparaît dans la série Maverick pour un episode aux côtés de James Garner, la série Rawhide était déjà diffusé depuis quelques semaines.

Quant au scénario de Unforgiven, il avait été acquis par Francis Ford Coppola au cours des années 70.
Quand son option expira, Clint s’empressa d’acheter les droits au début des années 80.

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20 juin 2017 23 h 10 min
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