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Crédits : Macall Polay / Netflix

TICK, TICK… BOOM !, crise de la trentaine explosive sous forme de comédie musicale déjantée – Critique

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New-York, 1990. Jonathan Larson a une semaine chargée devant lui : il est à un tournant de sa vie d’homme et de sa vie d’artiste (car oui, il faut séparer les deux, mais c’est un tout autre débat). Il a six jours pour accomplir trois missions : il doit d’abord écrire la dernière chanson pour finir l’œuvre de sa vie, une comédie rock sur laquelle il travaille depuis 8 ans. Jon doit aussi prendre une décision sur sa vie sentimentale et parler avec sa copine du job qu’elle a trouvé, pour lequel elle doit déménager loin de New-York. Et surtout, il doit surmonter son anniversaire et fêter ses 30 ans.

On se retrouve totalement embarqués, avec ce personnage passionné, dans ce compte à rebours aux airs de folle spirale qui porte le doux nom de « crise de la trentaine ». Pas de doute, le héros ressent tous les symptômes de cette pathologie : dans un état émotionnel fragile et transitoire, Jon a le sentiment de ne pas avoir accompli tout ce qu’il voulait, qu’il y a un décalage entre ce qu’il s’était promis et ce qui est réellement possible. On s’accroche à cet homme et on a très envie de connaître sa fin de semaine, sensée sceller son destin.

Cette introspection du personnage est très intelligemment symbolisée dans la réalisation par les apparitions de Jonathan Larson, seul sur une estrade de théâtre, en transition entre les scènes principales. Il fait le « Monsieur Loyal » du film, de sa propre histoire, présentant les personnages et les scènes à venir. Cette mise en abîme intense se fait sans briser le quatrième mur. Jon ne parle pas aux spectateurs de Netflix, il parle à son public imaginaire, en tant que compositeur.

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Crédits : Macall Polay / Netflix

Ce film raconte l’histoire vraie de Jonathan Larson, compositeur qui est devenu célèbre grâce à sa troisième comédie musicale, « Rent » (1996), pièce incroyable, jouée pendant des décennies à Broadway. Et comme la vie est souvent plus tragique que la fiction, Jon Larson n’a jamais pu prendre conscience de son énorme succès : il est décédé le matin de la première représentation de « Rent », d’un anévrisme aortique, à 35 ans.

Plus précisément, ce film est une adaptation de la seconde comédie musicale composée par Jonathan Larson, « Tick, tick… Boom ! », qui est autobiographique et raconte justement ses peines professionnelles, amoureuses à New York, notamment l’absence de succès de son œuvre « Superbia » (1989).

Ce premier long-métrage en tant que réalisateur pour Lin-Manuel Miranda est extrêmement réussi. Il faut dire que c’est un sujet qu’il maîtrise, puisque c’est lui qui a créé la fameuse comédie musicale « Hamilton » (2015), qu’on ne présente plus.
Lin-Manuel Miranda s’est illustré en composant des chansons, pour l’univers Disney notamment. Il tente ici un genre nouveau, plus torturé qu’à l’habituel, mais toujours très juste, dans lequel il réussit encore à créer de la magie.

Tandis que le West Side Story de Steven Spielberg sort au cinéma, comédie musicale culte, classique et très attendue, TICK, TICK… BOOM !, sorti sur Netflix, se démarque par son excentricité non conventionnelle. C’est comme aller à Avignon et assister au festival “off”. C’est plus cool.

Andrew Garfield, également à l’affiche de Spider-Man : No Way Home, joue Jon Larson à la perfection. L’acteur ne nous a pas habitués à ce genre de rôle, il apparaît plus déjanté, sensible et littéralement « décoiffé » que l’homme-araignée, pour notre plus grand plaisir. Sa prestation est impressionnante et il réussit à nous emporter dans toutes les émotions qu’il traverse dans sa semaine d’anniversaire mouvementée.

Le film est aussi porté par une flopée de second rôles charismatiques, cyniques, rafraîchissants et par leurs répliques cinglantes. Mention spéciale pour Vanessa Hudgens qui s’illustre dans un duo musical infernal avec Andrew Garfield, caricature des conversations entre couple, dont l’énergie a enflammé TikTok, reprenant partout cet extrait.

Ce film fait évidemment penser à Birdman, réalisé par Alejandro González Iñárritu, non seulement parce qu’il traite de Broadway, mais surtout pour l’effet mise en abîme, mélange entre réalité et fiction dans lequel le personnage principal se perd, proche de la folie. C’est une autre œuvre qu’on peut prendre au second, troisième voire quatrième degré tellement il y a de couches métaphysiques.

Un film d’opposition et de paradoxe, rythmé par ce déséquilibre constant.

Opposition d’abord entre ceux qui veulent rester libres, ne pas utiliser leur « don » pour des métiers concrets et ceux qui acceptent de travailler pour avoir plus de confort, se résignent à ce que leur passion soit un passe-temps. En effet, cette fable musicale interroge également la définition même d’un artiste. Jonathan Larson épouse sa vie de bohème, revendique sa liberté et est en contradiction avec ses amis qui acceptent des jobs moins artistiques. Jon a l’impression qu’ils gâchent leur potentiel et il a peur de finir comme ça. C’est une course contre la montre pour prouver qu’il peut réussir à avoir du succès grâce à son œuvre musicale, avant d’avoir 30 ans.

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Crédits : Macall Polay / Netflix

Paradoxe ensuite, assez fascinant, entre les thématiques objectivement sombres de ce film, du temps qui passe, de la peur de l’échec, de la fin d’une époque, et de l’autre côté, la musique optimiste, entraînante et rock & roll. Malgré les sujets traités très profonds – par exemple, celui du sida, fléau à New-York dans les années 1980 – le ton adopté est si enjoué et dynamique qu’on n’a pas le temps ni le droit de déprimer. L’espoir n’est pas dans l’histoire, mais dans l’énergie des chants et des danses. Dans l’Art, donc.

Cet hommage à Jonathan Larson est un hymne à la persévérance, un de ces feel good movie qui vous laissera, deux heures plus tard, comme après une crise existentielle passagère : avec plus d’envie et de motivation que jamais.

Agathe ROSA

Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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Titre original : Tick, Tick... Boom!
Réalisation : Lin-Manuel Miranda
Scénario : Steven Levenson, Jonathan Larson
Acteurs principaux : Andrew Garfield, Vanessa Hudgens, Bradley Whitford
Date de sortie : 19 novembre 2021 sur Netflix
Durée : 2h01min
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