une pluie sans fin

UNE PLUIE SANS FIN, le polar de l’été – Critique

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Premier film du réalisateur Chinois Dong Yue, UNE PLUIE SANS FIN se fait remarquer en remportant le Grand Prix au festival du film policier de Beaune. Polar crépusculaire pour une société chinoise en mutation. Situé autour de l’année 1997, en pleine rétrocession de Hong-Kong à la Chine, le récit est celui de Yu Guowei, alors chef de la sécurité d’une usine, qui enquête sur une série de meurtres de jeunes femmes perpétrés dans les environs.

Dans UNE PLUIE SANS FIN, le recours au film de genre sert de toile de fond à un discours sur les mutations sociales de la Chine à la fin des années 90. Le cinéma de genre comme reflet de la société, c’est presque devenu un lieu commun, une recette récupérée un peu partout pour dresser des métaphores filées plus ou moins réussies sur à peu près tout et n’importe quoi. Alors pourquoi toujours revenir à cette mécanique formelle pour raconter le monde qui nous entoure ? D’abord parce que le film de genre (que ce soit d’horreur, thriller, polar ou autre) s’adresse généralement à un large public. C’est un cinéma qui, grâce à ses caractéristiques spectaculaires, s’exporte relativement bien. Ensuite parce que le genre nécessite la construction d’une mythologie sur laquelle le cinéaste fera reposer sa dramaturgie. Une mythologie qui renvoie à un inconscient collectif pour viser un langage universel. L’utilisation du film de genre c’est la possibilité de raconter une histoire particulière comprise partout et par tous. Le réalisateur peut donc insérer différents degrés de lectures afin de composer une œuvre riche et complexe.

Depuis les années 50, profitant d’un statut spécial et de ses liens avec la diaspora chinoise, le cinéma hongkongais se développe et propage sa production à travers l’Asie et le reste du monde. Dans les années 80-90 certains réalisateurs comme John Woo et Johnnie To contribuent à populariser le polar hongkongais avec des films tels que The Killer ou The Mission. Ce courant cinématographique à la fois artistique et industriel, reprend les codes du film d’exploitation Hollywoodien et le transpose à la culture asiatique. C’est ainsi que le cinéma de genre et plus particulièrement le film noir s’implante durablement en Asie, pour y développer une patte singulière. Avec l’émergence de la nouvelle vague du cinéma d’auteur sud-coréen qui s’empare des codes du film noir, un nouveau souffle est donné à un genre qui n’a de cesse de se réinventer. 2003 est une date symbolique avec les sorties de Old Boy de Park-Chan-Wook et de Memories of Murder de Bong Joon-Ho qui donnent ses lettres de noblesses au polar coréen.

Memories of Murder, chef-d’œuvre du cinéma empli de désespoir – Critique

En 2005 c’est Kim Jee Woon pour A Bittersweet Life, rapidement rejoint par une jeune génération de cinéastes dont le surdoué Na Hong-Jin (The Chaser, The Murderer, The Stranger). Les polars et autres genres issus du film noir vont servir à raconter la violence d’une société coréenne tout juste sortie d’une dictature sanglante et des années de guerre fratricide avec son voisin du nord. Les cinéastes exorcisent les angoisses et les obsessions collectives d’une génération, à travers des films à l’esthétisme très stylisé dans lesquels se déploie une violence cathartique. Le Chinois Dong Yue, qui réalise ici un polar hypnotique aussi déroutant qu’ambitieux, puise dans cette cinéphilie sud-coréenne et se retrouve dans l’héritage direct de ces auteurs précités.

Photo du film UNE PLUIE SANS FIN
© 2018 Wild Bunch Distribution

A l’instar de son compatriote Jia Zhang-Ke, le cinéaste chinois s’applique à capter les mutations politiques et économiques de son pays afin d’analyser la manière dont elles impactent la vie et l’intimité de la population. Lors de la séquence d’introduction, Yu Guowei (interprété par Duan Yihong) se présente et épelle son prénom en utilisant les termes « Vestige, Nation, Glorieux », l’axe et le ton du film sont alors donnés. L’intrigue se déroule dans le souvenir de l’ancien chef de la sécurité, autour de l’année 1997 alors que Honk Hong est rétrocédée à la Chine qui vit une période de mutation politique et économique profonde. Le réalisateur filme le délitement d’une classe sociale soudainement mise à l’écart du système. L’usine, qui représentait le cœur économique de la région, ferme, pour être remplacée par un centre commercial. Les ouvriers sont licenciés et sommés de trouver une nouvelle fonction dans la société, celle de consommateurs. Le film tend à cristalliser ce moment de changement, cette période fugace où la métamorphose est en cours. Le cinéaste fait ressortir les angoisses et joue avec les peurs inconscientes qui tiraillent des personnages en rupture.

Car tous semblent en déshérence, ils ne reconnaissent plus leur pays et se sentent en décalage avec l’époque qui arrive. Yu Guowei est heureux à son poste de chef de la sécurité et il voudrait que rien ne change. Aveuglé par l’enquête qui vire à l’obsession, il ne voit pas les bouleversements arriver et semble peu à peu s’éloigner de la vérité qu’il refuse de regarder en face. L’officier Zhang (Yuan Du) rêve de sa retraite loin de cette ville qui l’étouffe. Il est dépassé par l’enquête et par la nature des meurtres qu’il ne parvient pas à comprendre. Il observe les valeurs morales s’effriter pour laisser la violence s’immiscer dans les interstices de la société et ainsi faire voler en éclat la plus fondamentale structure sociale, la famille. C’est ce que le film suggère lors de l’arrestation d’un ancien ouvrier accusé d’avoir assassiné sa propre femme. Quant à Yanzi (Jiang Yiyan), la fiancée platonique de Yu, elle rêve de quitter la ville et partir réaliser ses rêves à Honk Hong. A la fin du récit, les personnages sont littéralement expulsés du film. Comme si la mécanique du système en marche, personnifiée par l’industrialisation frénétique, écrasait définitivement cette classe sociale vouée à l’oubli. L’idée se matérialise dans la scène du pont et du train, entre Yu Guowei et Yanzi, qui semble filmée en transparence, les personnages alors dissociés de ce décor surchargé et hostile. La rupture est totale entre les corps et l’espace qu’ils ne peuvent plus investir.

Photo du film UNE PLUIE SANS FIN
© 2018 Wild Bunch Distribution

La notion de duplication est, elle aussi, essentielle au film. L’affiche d’UNE PLUIE SANS FIN reprend ce motif fondateur autour duquel l’intrigue s’articule. La scène qui suit la découverte du premier cadavre sert de mise en place à cette thématique. Yu, qui vient de convoquer tous les ouvriers de l’usine au commissariat, invite l’officier Zhang à les interroger un par un puisqu’ils sont désormais tous de potentiels coupables. L’épisode de l’ouvrier qui tue sa femme viendra confirmer cette hypothèse, par un effet de contamination, ils sont dorénavant des meurtriers en devenir. La figure du tueur se duplique à l’infini et se perd dans une multiplicité uniformisée. Lors d’une séquence de course poursuite, Yu Guowei est aux trousses de celui que l’on pense être le tueur. Pour se protéger de la pluie, tout deux sont affublés de longues parquas noires, provocant une confusion chez le spectateur qui ne parvient plus à distinguer les deux personnages. Il faut alors garder en mémoire que le film se raconte à travers les souvenirs de Yu Guowei qui se révèle en narrateur pas tout à fait fiable. C’est un personnage dont l’obsession masque la vérité, de la même manière, le film brouille les pistes et opère de nombreux glissements. Le polar de Dong Yue fonctionne comme une réminiscence brumeuse où la pluie viendrait tout emporter sur son passage, elle est l’oubli qui finit d’engloutir ce décor industriel tentaculaire, vestige d’un monde perdu.

Photo du film UNE PLUIE SANS FIN
© 2018 Wild Bunch Distribution

La forte représentation du cinéma asiatique cette année au festival de Cannes est un indicateur intéressant, parmi les films ayant reçu les faveurs de la critique, on peut citer Burning du Coréen Lee Chang-Dong, Les Eternels du Chinois Jia Zhang-Ke et bien entendu la palme d’or, décernée au Japonais Kore-Eda pour Une affaire de famille. Dans une interview accordée au Film Français, Vincent Maraval (cofondateur de Wild Bunch, distributeur d’un grand nombre de films primés à Cannes) estime qu’« aujourd’hui, le 7e art se joue en Asie et Cannes a acté cela depuis longtemps ». UNE PLUIE SANS FIN, lui aussi distribué par Wild Bunch, a quant à lui remporté le Grand prix au dernier festival international du film policier de Beaune, tandis que le prix du jury était décerné au Coréen Wong Shin-Yu pour La mémoire assassine. Une hégémonie du cinéma d’auteur-asiatique sur le cinéma mondial qui n’est pas près de s’arrêter.

Hadrien Salducci

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Note des lecteurs10 Notes
Titre original : Bao xue jiang zhi
Réalisation : Dong Yue
Scénario : Dong Yue
Acteurs principaux : Duan Yihong, Jian Yiyan, Duan Yihong, Yuan Du
Date de sortie : 25 juillet 2018
Durée : 1h59min
3.5

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