C’est une véritable icône de la Nouvelle Vague qui nous conviait aujourd’hui à sa masterclass : Madame Anna Karina. Thierry Frémaux, de plus en plus cabotin, est venu présenter la dame en rouge : « C’était une évidence de l’inviter ». Et nous de répondre à l’invitation.
Invitée du Festival autour de trois films – Une femme est une femme de Godard, son film Vivre ensemble qu’on pourra découvrir demain et le documentaire de son réalisateur de mari Dennis Berry (fils de John) Souviens-toi Anna Karina – Anna Karina est apparue après un court film la présentant à travers des morceaux choisis où elle danse, chante, vit sa vie chez Godard, le tout sur fond de la délicieuse chanson d’Une femme est une femme. Vêtue d’un manteau rouge et de son immuable chapeau, c’est par une standing ovation qu’elle fut accueillie. Difficile de ne pas avouer avoir eu une larme à l’œil.
La masterclass animée par Virginie Apiou démarre par la question de la place du cinéma dans sa vie. « Mon tout premier film ? Bambi ! J’avais 5 ans et j’ai voulu courir vers l’écran l’embrasser ». Plus tard Anna découvre les comédies musicales et Bergman, en particulier Monika. Née au Danemark, Anna Karina a 17 ans quand elle arrive en France. Elle apprend le français en regardant des films.
« J’ai très vite compris que quand Gabin disait “Salut ma vieille“, ça voulait dire la même chose que quand Gérard Philippe disait “Bonsoir Madame“ ».
« Moi, je ne me déshabille pas ! »
Après des débuts au théâtre avec Jacques Rivette où elle interprète La religieuse de Diderot et quelques clips publicitaires pour des savons, Godard la remarque et lui propose un petit rôle dénudé dans A bout de souffle. Elle refuse. « Moi je ne me déshabille pas ! ». Finalement Godard lui proposera le rôle principal dans Le petit soldat, sans lui faire faire d’essai et fait venir sa mère de Copenhague pour signer son contrat, Karina étant encore mineure. Le film sera interdit par André Malraux, alors ministre de la culture. La suite on ne la connaît que trop. Godard tombe amoureux, lui glisse un papier sous la table lui disant « Je vous aime, rendez vous à minuit au café de la paix à Genève ». Non seulement elle le rejoint mais ils se marieront et tourneront plusieurs films inoubliables ensemble. « Il y avait quelque chose de magnétique entre nous, ça ne se décrit pas».
«Quand je suis triste je me cache »
Elle tourne par la suite une comédie avec Michel Deville Ce soir ou jamais. Alors que Godard n’arrêtait pas de la décourager tant il trouvait le texte inepte, elle fonce. Le film est génial et Godard avoue plus tard le trouver très drôle. Il lui propose même dans la foulée de tourner Une femme est une femme ou l’histoire d’Angela qui veut un enfant tout de suite, au grand bonheur d’Anna qui aime les films plus légers aussi.
Anna Karina aime danser et chanter. Godard le sait et s’en est formidablement servi. Mais ce n’est pas le seul. Maurice Ronet la fait chanter dans son film Le voleur de Tibidabo et la simple évocation de ce film lui fait entonner La vie est magnifique. Frissons dans la salle. Karina qui chante, là aussi c’est indescriptible. Anna Karina est chaleureuse, généreuse et extraordinairement vivante. Elle se livre aussi sans rougir. «Quand je suis triste je me cache ».
La rencontre se poursuit autour de sa filmographie et de ses collaborations avec Rivette (l’adaptation de La religieuse au cinéma sera elle aussi interdite par Malraux), Luchino Visconti avec qui elle tourna L’étranger d’après Camus. «C’était comme un papa pour moi » puis sa période hollywoodienne sous la caméra de George Cukor. Elle raconte avec beaucoup d’humour comment Cukor est venu sauver le film après que le premier réalisateur amateur ait été viré du tournage par Zanuk. Pendant un mois elle reste à Hollywood en “stand by“ et un jour elle reçoit un coup de fil : le tournage reprend et c’est Cukor aux manettes. Alors qu’elle fond en larmes quand la femme du producteur hurle en voyant son maquillage outrancier pour le rôle, Cukor, en vrai gentleman, la console et la ramène chez elle en Rolls Royce. « Comme j’aurai aimé qu’il y ait des photographes pour immortaliser ce moment ! » avoue t-elle.
En 1973, avec ses économies américaines, Anna Karina décide de tourner son propre film. « Au moins je ne ruinerais personne, c’est mes sous » plaisante-t-elle. Ce sera Vivre ensemble, l’histoire d’une femme un peu légère et bohème qui tombe amoureuse d’un professeur marié. Elle avait pensé à Trintignant pour le rôle mais tétanisée à l’idée qu’il puisse refuser, elle se rabat sur le journaliste Michel Lancelot.
Le seul réalisateur avec lequel elle semble avoir eu plus de mal c’est Fassbinder avec qui elle tourne Roulette chinoise. Le génial cinéaste allemand à la filmographie impressionnante, mort à 37 ans, était aussi selon elle, dur et assez pervers. Elle évoque avec humour l’amant boucher de Fassbinder en train de découper la biche qu’il venait de renverser sur la route.
Enfin la rencontre s’est terminée sur l’évocation du film très personnel que Dennis Berry a consacré à sa femme et qui sera projeté jeudi à 19h, Anna Karina souviens toi. Ils avaient déjà tourné ensemble Last song en 1987. « Film formidable » lance-t-elle. « Et qui aurait besoin d’une belle restauration ». L’avis est lancé à l’Institut Lumière ! Pour clore la rencontre, la parole est laissée au public. Une femme très émue avoue être venue du Brésil pour la rencontrer, une autre très émue aussi tient juste à la remercier. « Vous me rendez heureuse ». On a envie de dire, nous aussi.
BLIND MASSAGE de Lou Ye
Le prix Lumière attribué cette année à Wong Kar Wai lui donne l’occasion de nous proposer une carte blanche de films asiatiques qu’il affectionne. Ce matin c’était BLIND MASSAGE de Lou Ye ou l’histoire d’un salon de massage tenu par des aveugles. Ours d’argent à Berlin d’un ennui mortel.Réalisateur du très beau Nuit d’ivresse printanière (prix du meilleur scénario au Festival de Cannes), Lou Ye semble avoir complètement ignoré la notion de temps dans BLIND MASSAGE. Le film raconte sur une durée incertaine (forcément) la vie d’un salon de massage tenu par Mr Sha, aveugle de naissance et ses autres camarades masseurs. Ils vivent et travaillent ensemble, réunis par leur handicap, leur amitié et même leur amour. On passe de l’histoire d’un personnage à l’autre, sans fil linéaire ni indication temporelle. En soi cela ne serait pas gênant si les mouvements de caméra incessants ne venaient pas s’accumuler de la sorte et nous confondre davantage. On ne sait plus qui l’on suit et surtout on finit par s’en foutre complètement. Chaque récit, chaque amour, chaque péripétie (parfois grotesque comme la scène où l’un deux se lacère au couteau pour ne pas avoir à payer les dettes de son frère) nous achève un peu plus tant elles ne semblent s’inscrire dans aucune matière. Même les tentatives de filmage sensoriel censées traduire le handicap des personnages sont ratées. Ajoutez à cette confusion visuelle et narrative, une voix off qui vient ponctuer le film et faire le point de ce que l’on vient de voir, et vous aurez l’un des films les plus ennuyeux qu’il soit. Une carte blanche dont on se serait bien passé.
CRUISING (LA CHASSE) de William Friedkin
Pour clore cette cinquième journée, direction le Cinéma comoédia pour aller découvrir (il était temps en ce qui me concerne) l’un des chefs d’oeuvre de William Friedkin, autre invité du Festival Lumière, LA CHASSE. Et pour couronner le tout, la séance était présentée par Friedkin lui-même secondé (et traduit) par le journaliste Samuel Blumenfeld. Un grand moment.
Friedkin arrive sur scène avec une décontraction inouïe et nous raconte la genèse de LA CHASSE, sa découverte des articles d’un journaliste du Village Voice sur l’univers SM des bars gays de New York, le live qui a inspiré le titre (mais pas le reste, le livre étant mauvais d’après lui). « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur La Chasse sans jamais oser le demander », s’amuse-t-il.Le film met en scène un jeune policier (Al Pacino) à qui l’on propose une promotion s’il accepte d’infiltrer la communauté gay SM pour appâter un mystérieux meurtrier dont les victimes lui correspondent physiquement. Al Pacino tout de cuir vêtu accepte et s’ensuit une chasse haletante pour retrouver le coupable. Friedkin qui avait pensé à Richard Gere « bien plus ambigu sexuellement que Pacino », se résout au choix du producteur, Pacino étant à l’époque déjà une star. Réalisé en 1980, LA CHASSE est un grand polar dans la lignée des films de Friedkin à la mise en scène magistrale, et formidablement interprétée par Al Pacino et Paul Sorvino. Les scènes tournées dans un bar de Lower East side sont tellement crues et authentiques, tournées avec de vraies gays SM, que Friedkin est contraint de remonter le film pour échapper à l’interdiction aux moins de 18 ans. Jusqu’au génial final que nous ne dévoilerons pas, le cinéaste joue l’ambiguïté et nous tient en haleine. Pour en savoir plus je vous renvoie à un article que Le blog du cinéma avait publié au moment de la rétrospective consacrée à William Friedkin en 2015. Et à noter pour les inconditionnels, ce soir, Nuit Friedkin à l’Institut Lumière à partir de 21h30 !
Anne Laure Farges
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