À l’occasion de la présentation de BANG GANG au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux en octobre dernier, nous avions rencontré la réalisatrice Eva Husson, qui nous avait parlé avec sincérité et enthousiasme de ses intentions dans le film et de son engagement féministe.
Pour quelles raisons avoir rajouté au titre BANG GANG « Une histoire d’amour moderne » ?
– Eva Husson : Je voulais parler des histoires d’amour des adolescents, qui sont à un moment de construction émotionnelle et sociale de leur vie. Mes personnages traversent des choses très dures. Je souhaitais évoquer les difficultés des adolescents à faire face à l’altérité et à l’appartenance à un groupe. Ado, je n’étais pas moi-même à l’aise avec l’idée du groupe, je voulais appartenir à quelque chose de plus grand. C’est un film qui fait réfléchir à la façon dont on trouve sa place, les limites que l’on se pose à soi-même et comment on s’y prend pour y parvenir, même par des moyens un peu extrêmes.
Vous revendiquez votre féminisme, avez-vous voulu faire passer un message à ce propos ?
– E H : Pour moi, la question de la représentation de la femme est fascinante et peu traitée à l’écran. Je ne voulais pas montrer des filles en permanence victimes, et tenais absolument à sortir du storytelling classique aux mains d’un système patriarcal. J’ai voulu parler de la puissance sexuelle féminine qui se construit à l’adolescence, de la façon dont les jeunes filles explorent leur désir et leur sexualité et s’autorisent à le faire, sans pour autant êtres taxées de putes. C’était important de réfléchir à la trajectoire de construction de ces jeunes filles et qu’elles sortent grandies de cette expérience extrême. Il est bien sûr question de pouvoir dans BANG GANG : George va tenter de récupérer le contrôle, mais elle s’y prend comme un manche ! Cette histoire n’est pas sulfureuse, elle est avant tout sensuelle et douce. Ce qui m’a intéressée, c’est d’aller vers le côté un peu cru, parce que pour moi, le rôle du cinéma est là : repousser constamment les limites.
Pour autant, je n’ai pas de message à faire passer, je ne crois pas au message. Je parle humblement de ma relation au monde, de ce qui m’intéresse, de ce qui me semble pertinent et juste. Le film a plusieurs portes d’entrée et des couches différentes d’obsessions personnelles, dont la sensibilité qui peut résonner sans cliver, d’une génération à l’autre.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
– E H : Kids de Larry Clark m’a bien sûr inspirée (NB: le film aborde en 1995 des relations sexuelles non-protégées et le VIH) , même si les ados de ce film sont plus jeunes que les miens. Dans les années 60, on a assisté à un changement de paradigme de la libération du corps, avec le risque de tomber enceinte. Dans les années 90, la peur du Sida était omniprésente et Kids évoquait très bien le spectre de la mort pour cette génération. En 2015, grâce aux avancées médicales, on n’a plus peur ni d’attraper la syphilis, ni de mourir du Sida. En mettant en scène cette fiction inspirée de ce fait divers de 1996, je ne prétends pas parler d’une génération mais je force le trait pour faire apparaître une tendance.
C’était important pour vous d’intégrer les nouvelles technologies dans ces vies d’adolescents ?
– E H : Oui, aujourd’hui, il y a une surexposition sur internet via les réseaux sociaux, y compris notre propre auto-surexposition. Je trouve fascinant la question de comment retrouver et réapprivoiser l’intimité de cette époque.
L’absence d’implication des parents est-elle responsable du désœuvrement de ces adolescents ?
– E H : Je dirais que les parents sont absents non pas parce qu’ils se désintéressent de leurs enfants, mais parce qu’ils souhaitent ne pas être intrusifs, ils les laissent respirer. C’est toujours compliqué pour des parents pleins de bonnes intentions de fixer les bonnes limites au sein du cadre familial. Ici, il y a plusieurs situations de parentalité.
Vos acteurs ont-ils participé au scénario et était-ce difficile pour eux de tourner nus ?
– E H : J’ai en effet confronté le scénario à leur regard et ils m’ont aidée à sortir du vocabulaire standard des adolescents, mais à lui donner une couleur du moment. Ils étaient plutôt à l’aise avec la nudité, de toute façon, ils ne l’ont pas acceptée avec un pistolet sur la tempe ; certains m’ont même remerciée !
Pour quelles raisons avoir situé l’histoire dans ce lieu de bord de la mer et dans un temps ponctué de catastrophes telles l’accident ferroviaire ?
– E H: Le bord de l’eau, c’est un peu le No Man’s land de l’extrême, qui renforce mon côté contemplatif, presque obsessionnel, à vouloir m’échapper. Je voulais montrer une ville de classe moyenne, ne pas faire de misérabilisme. On a envoyé le scénario à plusieurs régions en bord de mer (Aquitaine et Normandie) et la région Aquitaine a accepté de nous aider et on a tourné à Biarritz.
A propos du contexte, je voulais renforcer l’impression de sensibilité et de fragilité de cette phase de mue adolescente intérieure en la confrontant à ce monde accidentel évoluant autour de mes personnages.
Pensez-vous que votre film est moralisateur ?
– E H : Pas du tout ! Je suis très énervée de voir que certains voient une morale dans mon film ! Bang Gang n’est ni un film voyeur, ni moralisateur, et ça, il a fallu le faire comprendre aux producteurs. Je ne détiens pas la vérité, mais je positionne mon film à hauteur de mes personnages.
Que ressentez-vous en participant au FIFIB qui revendique ne répondre à aucun critère et dont l’objectif essentiel est de promouvoir l’indépendance d’esprit et la liberté de création ?
– E H : Ça me fait plaisir d’avoir été sélectionnée dans un festival dont la ligne éditoriale est claire avec un goût prononcé pour les films qui questionnent et qui parlent à des subjectivités.
Que signifie pour vous gagner un prix ?
– E H : Ce qui m’importe, c’est que mon film rencontre son public. Je m’en fous un peu des prix, je pense qu’avoir un prix n’a pas forcément à voir avec la qualité d’un film, mais plutôt avec un moment et un jury.
NB LBDC : BANG GANG n’a pas remporté de prix au FIFIB mais vient de remporter au Festival des Arcs le double prix du Jury et Jury jeune
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• Réalisation : Eva Husson
• Scénario : Eva Husson
• Acteurs principaux : Finnegan Oldfield, Marylin Lima, Daisy Broom, Lorenzo Lefebvre
• Pays d’origine : France
• Sortie : 13 janvier 2016
• Durée : 1h38min
• Distributeur : Ad Vitam
• Synopsis : Les faubourgs aisés d’une ville sur la côte Atlantique. George, jolie jeune fille de 16 ans, tombe amoureuse d’Alex. Pour attirer son attention, elle lance un jeu collectif où sa bande d’amis va découvrir, tester et repousser les limites de leur sexualité. Au milieu des scandales et de l’effondrement de leur système de valeurs, chacun gère cette période intense de manière radicalement différente.
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https://youtu.be/YOuFJkwIczU