Figure culte de la série B horrifique, Bruce Campbell a souvent essayé de sortir des sentiers battus avec des rôles où l’on ne l’attendait pas, bien qu’il reste à jamais gravé dans les mémoires sous les traits de Ash Williams, star de la saga Evil Dead. En ce jour d’Halloween, retour en quelques films sur la carrière de l’une des vedettes les plus populaires du cinéma d’horreur.
Le mythe : la trilogie EVIL DEAD
Au début des années 70, à Royal Oak dans le Michigan, Bruce Campbell est embauché comme comme baby-sitter chez les Raimi. Il s’occupe alors du jeune Ted, puis se lie d’amitié avec les deux aînés de la fratrie, Yvan et Sam. Les trois gamins vont au même collège et s’acoquinent avec un quatrième, Robert Tappert. Ensemble, ils vont découvrir la caméra super-8. Bien que Campbell soit passionné de théâtre – à l’instar de son père – il préfère encore à cette époque passer derrière la caméra. Tandis que les trois frères Raimi, ainsi que l’ami Tappert, font les zouaves devant l’objectif.
De cette adolescence passée à échafauder nombre de courts-métrages, les cinq potes conservent la passion de la mise en scène. Plus tard, Sam Raimi et Bruce Campbell se retrouvent à l’université, avant de fonder leur propre société de production, Renaissance Pictures, en compagnie de Tappert. Sur une idée de Raimi et avec un budget minime, ils tournent la première mouture d’EVIL DEAD : Within the woods. Grâce à ce moyen métrage, ils parviennent à appâter les investisseurs et réunissent 350 000 dollars qui vont servir à réaliser le tout premier EVIL DEAD. À sa sortie en 1982, le film fait le tour des festivals et connaît un succès d’estime notable. Il bénéficie notamment de l’aura de Stephen King, qui qualifie alors l’ouvrage de « férocement original ».
Sublimant l’art de la débrouille et décuplant la créativité de Raimi à la réalisation, EVIL DEAD donne également à Bruce Campbell le rôle de sa vie : celui de Ash Williams, le final boy à la tronçonneuse. Encore jeunot dans ce premier volet, il dévoile un talent plus marqué dans EVIL DEAD 2 en 1987, où l’on apprécie le Campbell cabotin et frénétique, qui marque définitivement le personnage de sa patte. Il y ajoute un caractère frimeur et idiot dans L’ARMÉE DES TÉNÈBRES, troisième volet de la trilogie en 1992. Dès lors, l’image de l’acteur se confond peu à peu avec celle de Ash. Tant et si bien qu’il ne parviendra jamais tout à fait à s’en défaire.
La série B : Moontrap et Maniac Cop
En parallèle d’EVIL DEAD, Bruce Campbell va, grâce au label Renaissance Pictures, continuer à évoluer dans la production indé dès le début des années 80. A l’exception du drame Going back qu’il co-produit en 1983, Campbell continue de travailler avec Raimi et ses autres acolytes sur différents courts et longs-métrages. Et notamment sur Intruder de Scott Spiegel en 1989, sur Blood Simple des frères Coen en 1984, ainsi que sur Mort sur le grill de Sam Raimi en 1985, où il retrouve encore une fois les Coen au scénario. Bien qu’au cours de cette période, Campbell s’illustre dans différents registres, de la comédie au film d’aventure en passant par le polar, il n’en reste pas moins identifié comme un acteur de série B horrifique. En raison d’EVIL DEAD d’une part, mais aussi de MANIAC COP, puis de MOONTRAP, sortis coup sur coup en 1988 et 1989.
Devenu culte pour ses aspects nanar, MOONTRAP de Robert Dyke oscille entre science-fiction et film d’horreur, avec son armée d’aliens robotiques dissimulés sur la lune depuis des milliers d’années. Dans le rôle de l’astronaute Ray Tanner, Bruce Campbell tombe dans ses pires travers, et livre une composition de macho grande gueule et tête-à-claques, dépourvu de la bêtise crasse d’un Ash Williams, qui avait su attiser la sympathie. MOONTRAP se prend en effet bien trop au sérieux, en dépit de son scénario halluciné. Le film bénéficie tout de même de décors lunaires assez honorables pour leur petit budget et, malgré une interprétation en demi-teinte, la présence de Campbell au générique contribue à lui donner un minimum de saveur.
À l’inverse, MANIAC COP de William Lustig offre à l’acteur un rôle avec un tant soit plus d’épaisseur. Bien que Lustig à la réalisation et Larry Cohen au scénario ne comptent pas parmi les artistes les plus subtiles du genre – un pléonasme dans la série B -, le personnage de l’inspecteur Jack Forest comporte néanmoins suffisamment de nuances pour permettre à Campbell d’étoffer davantage son jeu. Écrit comme un flic de polar typique, Forest trompe sa femme avec une collègue et se voit accusé d’une série de meurtres, en réalité perpétrés par un ancien officier mort-vivant tombé pour bavure. S’il correspond effectivement à un archétype, Forest se distingue cependant par une posture d’anti-héros assez marquée, cherchant bien plus à s’en sortir qu’à faire triompher la justice. Le film flirte ainsi plus volontiers avec le genre de l’horreur qu’avec celui du polar. L’occasion aussi pour Bruce Campbell de s’installer un peu plus en tant qu’acteur d’action, une tâche où il excelle.
Les grands écarts : Un Nouveau départ pour la coccinelle et La Patinoire
La carrière d’acteur de Bruce Campbell reste néanmoins jalonnée d’occasions manquées. Et notamment, à la télévision. Malgré le succès des séries Xena et Hercule, où il co-produit, réalise et interprète des rôles secondaires, il connaît plusieurs déconvenues à compter des années 90. D’abord, la série Brisco County Junior, produite par la FOX, où il tient le rôle principal, est annulée après seulement une saison. Malgré des audiences prometteuse à son démarrage, ce western fantastique ne fait pas le poids face au raz-de-marée X-Files. Campbell s’y essaye néanmoins une seconde fois. Or, Jack, le vengeur masqué, spin-off à la toute aussi malchanceuse Cleopatra 2525, est interrompue en pleine saison 2. Enfin, le rôle de l’inspecteur John Doggett, remplaçant de Fox Mulder dans la saison 8 de X-Files, lui échappe au profit de Robert Patrick.
De cette période semble émaner une envie manifeste de diversifier ses rôles et de faire oublier son image d’acteur de série B – bien qu’effectivement, Campbell a toujours été un interprète versatile. En 1996, il accepte de reprendre le volant de Choupette dans UN NOUVEAU DÉPART POUR LA COCCINNELLE, produit pour Disney Chanel. Si l’idée d’apercevoir Ash Williams dans une comédie familiale estampillée Disney peut paraître saugrenue, l’acteur témoigne bel et bien d’une grande aisance dans son rôle. Il surplombe même l’ensemble du casting avec un personnage plus en retenue qu’à son habitude. Loin de se révéler honteux, le téléfilm de Disney Chanel offre à Campbell l’occasion de se détacher de son image de macho idiot, grâce à une love story – certes édulcorée selon le cahier des charges de Disney – mais remarquablement moderne pour son année de sortie.
Plus surprenant encore, l’Américain de série B se voit proposer en 1997 le rôle de « l’Acteur Sylvester Barrymore » dans une production française, LA PATINOIRE. Réalisé par l’écrivain belge Jean-Philippe Toussaint, le film est une comédie caustique sur le milieu du cinéma francophone. Pour interpréter Barrymore, vedette américaine, le choix de la production se porte initialement sur Jean-Claude Van Damme. Or, le kick-boxer renonce finalement au projet après de longues négociations. À la recherche d’un acteur similaire à Christopher Reeve, Jean-Philippe Toussaint se laisse alors conseiller par un assistant, qui lui recommande Campbell, après avoir visionné la trilogie EVIL DEAD. Sur base d’une photo portrait en noir et blanc et d’une bande démo sur VHS, Toussaint valide ce second choix et Ash Williams débarque à Paris en juillet 1997.
Mise en abîme d’un tournage, LA PATINOIRE retrace le processus de production d’un film français, hâté par l’approche imminente de la Mostra de Venise. De la mégalomanie du réalisateur à la sensiblerie des acteurs, il repose sur une écriture douce amère plus littéraire que potache. Connu (et apprécié) pour ses travers cabotin, Campbell capte néanmoins parfaitement le ton du film et livre une interprétation comique plus subtile qu’à l’accoutumée. D’après le réalisateur, l’acteur a su se montrer « très précis, très professionnel ». S’il paraît improbable de le voir partager l’écran avec Jean-Pierre Cassel et Tom Novembre, le cocktail détonnant fonctionne, puisque que le personnage de Sylvester Barrymore incarne justement le contraste entre le système hollywoodien et l’intelligentsia du cinéma français. Parmi ces grands écarts artistiques, LA PATINOIRE donne certainement à voir l’une des meilleures propositions de Bruce Campbell. Et ce, bien qu’il s’agisse d’un rôle secondaire.
La réalisation : Man with the screaming brain et My Name is Bruce
Alors qu’il s’agissait de sa première ambition, ce n’est qu’au début des années 2000 que Bruce Campbell revient véritablement à la réalisation. En 2005 sort son premier long-métrage, MAN WITH THE SCREAMING BRAIN, produit pour une diffusion sur la chaîne de télévision Sci-Fi. L’histoire d’un Américain débarqué en Europe de l’Est, dont certaines parties du cerveau sont remplacées par un savant fou. Or, les deux consciences du donneur et du receveur en viennent malencontreusement à partager le même corps. Si le film se hisse au-dessus de la moyenne des diffusions Sci-Fi, connue pour retransmettre principalement du nanar, MAN WITH THE SCREAMING BRAIN n’a pour autant rien du chef-d’œuvre. En tant qu’acteur, Campbell se repose sur ses acquis et nous rejoue son éternelle partition du comique de geste et d’expression – où il excelle, bien qu’on s’en lasse rapidement. En tant que réalisateur, il fait le job, sans pour autant se distinguer par un génie sidérant. En effet, le budget limité de MAN WITH THE SCREAMING BRAIN se ressent fortement au visionnage.
Adaptation d’un ancien scénario co-écrit avec Sam Raimi, cette première réalisation souffre également des travers d’écriture de Bruce Campbell. Le bougre a effectivement tendance à se laisser aller aux gags scatophiles lorsque l’inspiration vient à lui manquer. Il nourrit, par ailleurs, une passion malsaine à affubler Ted Raimi d’accents étrangers du plus mauvais goût. Ceci dit, le frère Raimi s’en sort à merveille dans son personnage d’assistant du savant fou. Bien que la caricature tienne des aspects dérangeants, les anciens soviets bulgares dépeints dans MAN WITH THE SCREAMING BRAIN servent en partie à opposer capitalisme américain et héritage socialiste. L’Amérique de Trump est étonnement prise pour cible, bien qu’on ne puisse, à proprement parler, pas qualifier le film de brûlot politique. Comédie gentillette aux accents vaguement horrifiques, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un téléfilm sympathique, sans grandes ambitions artistiques, sinon que d’amuser la galerie pendant une heure et demie.
Plus tendre et mieux intentionnée, l’auto-parodie MY NAME IS BRUCE sortie en 2007 raconte comment Bruce Campbell, l’acteur, est enlevé par un jeune fan pour sauver son village, aux prises avec un démon chinois ressuscité d’entre les morts. Ecrit par Mark Verheiden, scénariste des comics Evil Dead parus chez Darkhorse (maison d’édition également productrice du film), MY NAME IS BRUCE se regarde comme on lit une fan fiction. Un fantasme de fan, auquel Bruce Campbell se prête volontiers, visiblement résolu à assumer son statut de star de la série B. Le personnage se confond d’ailleurs avec celui de Ash Williams, tant par sa bêtise que par son arrogance. Si Ted Raimi nous fait cette fois-ci le coup de l’accent chinois, le film reste néanmoins bien inoffensif. Bruce Campbell n’y brille toujours pas par son talent de réalisateur. Toutefois, la blague fonctionne et l’acteur s’en donne à cœur joie dans un show taillé sur-mesure pour ravir son public. Une jolie déclaration d’amour à sa fan-base, sans aucune autre prétention.
BUBBA HO-TEP, le pinacle d’une carrière
De toute la filmographie de Bruce Campbell, un film sort particulièrement du lot. Sorti en 2002, BUBBA HO-TEP tient effectivement une grande place dans le cœur des fans de l’acteur. En témoigne ce savoureux dialogue de MY NAME IS BRUCE, où un adolescent s’exclame : « Mais tout le monde aime Bubba Ho-Tep ! », face à une avalanche de critiques dirigées contre son idole. Ecrit et réalisé par Don Coscarelli, cinéaste adulé pour la série des Phantasm, BUBBA HO-TEP ressemble à une mauvaise blague. En effet, Bruce Campbell y interprète un Elvis Presley vieillissant, après avoir pris la place de l’un de ses imitateurs pendant sa résidence à Las Vegas. Il n’est donc pas mort le 16 août 1977 à Memphis et termine ses jours dans une maison de retraite du Texas, un triste mouroir où il peine à quitter son lit. Il y fait la rencontre de John F. Kennedy, transformé en homme noir par ses opposants politiques. Les deux vieillards vont alors combattre une momie égyptienne déguisée en cow-boy, qui aspire l’âme des résidents de leur maison de repos par leurs orifices rectaux.
Délires séniles ou non, là n’est pas la question. En effet, si BUBBA HO-TEP passe, dans un premier temps, pour une comédie excessivement potache, force est de constater que le propos se révèle bien plus sensible au visionnage. Leurs dignités mise à mal par un inéluctable déclin physique, les deux hommes voient leur vie réduite à attendre la mort, chacun dans une chambre vétuste. Qu’ils soient de véritables personnages illustres importe peu, le troisième âge les réduit à leur condition de vieillards, avec leurs existences derrière eux. Jusqu’à l’arrivée de cette momie, échouée au Texas loin de sa sépulture. Dès lors, s’immisce en eux un nouveau souffle de vie. Grimé en Elvis grisonnant, Bruce Campbell interprète le rôle le plus touchant de sa carrière. Plus encore, dans une comédie horrifique, genre qui l’a rendu populaire auprès d’un certain public. Car, s’il n’est jamais parvenu à se dégager de cette image de vedette du cinéma d’horreur, l’acteur est tout de même parvenu à en devenir une figure majeure, capable de briller dans la plus crasse des séries B, comme dans le plus improbable des films d’auteur.
Lilyy Nelson