« A WAR » : une guerre, des guerres, un grand film

« A WAR » : une guerre, des guerres, un grand film

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L’histoire : le commandant Claus M. Pedersen et ses hommes sont affectés dans une province d’Afghanistan, tandis qu’au Danemark, sa femme, Maria, tente de faire face au quotidien et d’élever seule leurs trois enfants. Au cours d’une mission de routine, les soldats sont la cible d’une grave attaque. Pour sauver ses hommes, Claus va prendre une décision qui aura de lourdes conséquences pour lui, mais également pour sa famille…

Si vous aviez eu la chance de découvrir le méconnu A Highjacking, film précédent de Tobias Lindholm, vous aviez déjà pu apprécier sa sensibilité. Son truc, c’est de construire par le détail ainsi qu’une mise en scène naturaliste, des quotidiens réalistes et immersifs. Puis, y observer patiemment et froidement, des personnages-éponges résolument positifs absorber en eux toute la violence de leur environnement.
Vient alors l’importance de l’alternance, dans le processus d’empathie envers ces personnages. Alternance entre le « terrain », et le « pays »; entre la description d’une famille professionnelle placée au cœur d’un environnement ultra-hostile, et celle d’une famille personnelle devant composer avec l’absence et la mise en danger de l’un de ses membres; alternance entre l’expérience du drame, et son interprétation… Entre psychologie et comportement, etc.
Ayant ainsi exposé une conséquente quantité de points de vue sur une situation complexe, Lindholm emmène ensuite ses personnages vers un point de rupture questionnant leur humanité. Dans A WAR, ce point de rupture est beaucoup plus climactique et central qu’à l’accoutumée, ce qui renforce son rôle inquisiteur quant aux notions de famille, de société, d’instinct, de morale, ou d’éthique, intelligemment installées jusque là.

Choisir la guerre comme motif dans A WAR décuple alors l’ambition réflexive du cinéma de Tobias Lindholm. Et c’est fas-ci-nant.

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Une victoire ? Un grain de sable ? Le début d’une déliquescence psychologique ? A WAR © Studiocanal GmbH

A WAR traite donc, de ces nombreuses impasses qui peuvent naître du conflit.

D’un coté, il y a cette volonté internationale et donc ici danoise, d’endiguer le terrorisme post 11/09. Celui-ci, très pragmatiquement, est montré comme une menace omniprésente mais quasi-invisible car maîtrisant parfaitement son terrain, et dont l’idéologie reste, même au bout de 15 ans après, difficile à concevoir. Les Talibans rappellent ces indéfectibles adversaires que furent les Japonais ou les Vietnamiens, donnant au conflit afghan cette intemporelle aura de bataille vouée à l’échec;
De l’autre, toute l’ironie de l’enjeu humanitaire de la présence militaire en Afghanistan est soulignée à chacune des interactions entre terroristes talibans, soldats danois et villageois Afghans: comment améliorer une situation que l’on dégrade par sa simple présence ? Comment dans ces conditions, concilier le but humanitaire et la sécurité du soldat lui-même ? Le sentiment altruiste est il compatible avec la stratégie militaire ?  Doit-on systématiquement déconsidérer l’individu quel qu’il soit, au profit du groupe ? De l’état ?

Toutes ces questions sont ramenées au domaine de l’intime à travers les choix d’un commandant, Claus, dont l’humanité est mise en perspective par son inévitable hiérarchisation des empathies; agirions nous autrement en temps de guerre ?

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Claus, commandant au bord de la rupture A WAR © Studiocanal GmbH

A WAR place ainsi son protagoniste Claus, dans quelques situations à la TWD*: il lui faudra effectuer dans l’urgence d’une situation, différentes sortes de choix moraux situés en dehors de toute zone de confort physique, émotionnel, ou psychologique. Accomplir l’objectif militaire et donc se doter d’une vision d’ensemble ? Assurer la sécurité de son escouade, indissociable d’une certaine empathie ? Assumer ses responsabilités officielles en termes humanitaires ? Aucune issue positive: chaque choix est synonyme de mise en danger voire de mort, pour les deux autres.
Tobias Lindholm nous montre à travers une succession d’événements à la logique implacable, comment le formatage militaire le plus abouti et la psychologie la plus cimentée, peuvent céder face à la violence de cette guerre. Finalement, tel est le but des terroristes talibans : faire perdre à leur ennemi ce qu’il a de plus cher. Ses convictions, sa morale, sa famille (généalogique, militaire, patriotique). Cette perte de repères se traduit en une erreur de jugement venant d’UN individu, menant à la mort de nombreux autres. Et à plus grande échelle, à la corruption, puis la chute d’un système.

Si un film comme Entre deux mondes traitait également de la présence militaire européenne en Afghanistan et tenait un discours certes humaniste, mais naïf… Tobias Lindholm prend quant à lui le parti de montrer la réalité d’un conflit par de multiples aspects anti-manichéens, dont une vision allégorique mais glaçante des puissances inaliénable du terrorisme et de l’embrigadement. Une guerre, parmi d’autresmais qui paraît impossible à gagner.

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Un climax à la fantastique intensité A WAR © Studiocanal GmbH

Cette réflexion à la fois palpable et philosophique sur la guerre ne s’arrête pas à l’immersion dans le quotidien militaire.

En parallèle, Tobias Lidholm nous raconte le quotidien également combatif, de Maria à Copenhague. Pourtant, si l’on pouvait penser qu’il s’agirait uniquement de donner un contexte émotionnel à Claus, ce contrepoint fonctionnel se révèle bien plus complexe: Tobias Lindholm capte les enjeux de Maria avec la même énergie, la même sensibilité, le même réalisme naturaliste que ceux de Claus. Mieux encore, dès la puissante première scène (une « attaque surprise »), Lindholm installe une ambiance et une tension très fortes, qui déteindront en cascade, d’une scène à l’autre. En termes d’intensité, cela place les différents contextes géographiques et affectifs du film, sur un pied d’égalité. Un accident domestique prend autant d’importance que l’échec d’une mission, l’ingérence d’une maman face aux névroses de son fils de 6 ans nous trouble autant que la perte d’un soldat; Afghanistan / Copenhague, commandant Claus / housewive Maria, questions de vie ou de mort / petites victoires et échecs de l’éducation monoparentale… Il y a une sorte de vase communicant sensoriel entre les différentes empathies qui se créent envers les personnages, malgré leurs fondations résolument différentes.

« Fascinant et maîtrisé de bout en bout, A WAR est une réflexion à la fois palpable et philosophique sur le concept de guerre« 

Ces empathies sont renforcées par l’attention de Tobias Lindholm aux détails, un moyen certain de rendre palpable un quotidien et de nous y immerger. Cela concerne autant les décors et les actions contextuelles, que les attitudes; Pilou Asbæk ou Tuva Novotny, acteurs aux émotions subtilement camouflées sous une façade monolithique, sont ainsi parfaits pour donner de l’importance à l’insignifiant. Tobias Lindholm fait confiance à l’expressivité corporelle de ses acteurs pour transmettre ce qui se cache dans les non-dits et l’absence de dialogues À ce titre, la mise en scène vient renforcer leur jeu. L’absence de contrechamp lors de scènes de vie conjugales par téléphone, les dialogues placés dans le hors-champ sonore (lorsque Claus explique « ce qu’il s’est passé là-bas« ), ou coupés inopinément au moment le plus émotionnel (« papa, as tu vraiment tué ces gens ? » « … …. … « ).
De manière générale, quels que soient ses choix de mise en scène, Tobias Lindholm laisse sa caméra s’imprégner d’un instant, qu’il soit trivial ou capital. En tant que spectateur, à nous d’additionner tous ces éléments pour décoder les personnages et transformer nos observations en empathie.

Puis Tobias Lindholm, sans prévenir, fait converger toutes ces empathies vers le climax du film.

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Claus et Maria réunis… Pour quoi ? © Studiocanal GmbH

Durant cette spectaculaire scène de guerre, Claus prendra une décision. Cette décision, autant philanthrope qu’instinctive et militaire, est une conséquence directe et logique de tous les choix précédemment effectués. Elle s’appuie également sur les différentes empathies construites par l’écriture et la mise en scène de Tobias Lindholm. Donc ce climax est littéralement un bilan et l’amorce d’une remise en question de la première partie. Tous ces éléments que nous avions auscultés (le « terrain », le « chez soi », la famille militaire, la famille généalogique, la famille afghane, la stratégie militaire, la santé morale, la santé sociale, la santé psychologique etc.) trouveront un judicieux et parfois même dérangeant contrepoint… Même les exactions talibanes. Rythme posé, distance avec les personnages, enjeux humains remisés, explications et justifications mises en avant… La seconde dynamique de A WAR troque violemment l’empathie pour la mise en relief de l’empathie. Par ces scènes ou l’humanité de Claus (et par extension, celle de Maria et de tous les autres) est jugée et questionnée, le film se fait métaphysique et nous invite à reprendre notre rôle d’humain au delà du rôle de spectateur du film, en interrogeant notre propre rapport à la justice et à la morale. Une fas-ci-nante rédéfinition !

A WAR au final, c’est à la fois un excellent « film de guerre » (on le répète, les scènes d’action sont d’une sécheresse et d’une intensité fantastiques), et une stimulante réflexion sur la nature de l’homme face à ce qu’il ne peut contrôler. Une réflexion qui transcende son matériau cinématographique pour se propager dans nos esprits, encore longtemps après le générique de fin. N’est-ce pas là, la marque des grands films ?

Georgeslechameau
Film visionné grâce à StudioCanal

D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?

[divider]INFORMATIONS[/divider]
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Titre original : Krigen
Réalisation : Tobias Lindholm
Scénario : Tobias Lindholm
Acteurs principaux : Pilou Asbæk, Tuva Novotny, Dar Salim
Pays d’origine : Danemark
Sortie : 1 juin 2016
Durée : 1h54min
Distributeur : StudioCanal
Synopsis : Le commandant Claus M. Pedersen et ses hommes sont affectés dans une province d’Afghanistan, tandis qu’au Danemark, sa femme, Maria, tente de faire face au quotidien et d’élever seule leurs trois enfants. Au cours d’une mission de routine, les soldats sont la cible d’une grave attaque…

[divider]BANDE ANNONCE[/divider]

*TWD = The Walking Dead le jeu vidéo (oui: chacun ses références).
Dans cette sorte de road movie par temps d’apocalypse zombie, l’interactivité inhérente au JV sert à construire l’empathie envers un certain nombre de personnages, que la cruauté de l’environnement viendra très souvent mettre en péril. Il nous incombera très souvent, à nous joueurs, de prendre parti dans une situation inextricable ou personne ne gagne mais où beaucoup de personnages meurent. En tant que somme de ces éléments, la conclusion de la première aventure est à ce titre, un sommet d’émotion.

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