Quand on veut tuer un chien on dit qu’il a la rage… Pourquoi veut-on à ce point descendre Maïwenn et son nouveau film MON ROI ? Les critiques se déchaînent, parfois à coup de défauts techniques, parfois en lui reprochant sa « méthode de réalisation », ou encore en l’attaquant personnellement, de façon totalement subjective et sans lien réel avec le film (on voit souvent revenir le terme d’hystérique par exemple).
Par ailleurs, on notera que la majorité de ces critiques négatives émanent d’auteurs masculins et sont parfois d’un excès ou d’une mauvaise foi telle que cela en devient suspect (dans l’Obs le plus, les Cahiers du Cinéma, Télérama, Ecran large, Libération, Charlie Hebdo…).
Maïwenn dérange, Maïwenn fascine, pourquoi ? Oui c’est une femme réalisatrice et elle réussit, mais il faut espérer que ce n’est pas pour ça. Ce qui suscite tant d’émois c’est que Maïwenn ose être elle-même, qu’elle s’assume, avec son histoire et ses failles (dont elle rit et parle librement, notamment lors de son passage au Petit journal de Canal + ou dans Conversation secrète avec Michel Denisot), et qu’elle s’en sert. Elle n’écoute qu’elle et son instinct, et son cinéma est fait de ça. Maïwenn ne cherche ni la reconnaissance, ni à faire à la manière de. Ce qui l’intéresse c’est de proposer un point de vue singulier, le sien, sur un sujet qui lui tient à cœur, même quand on la met en garde sur les risques d’échec. Plus que tout elle reste fidèle à elle-même… et ça fonctionne (il n’y a qu’à constater le succès de Polisse). La différence dérange, oser « sortir du cadre » exaspère (consciemment ou pas) ceux qui sont prisonniers de la norme, enfermés dans leurs clichés, notamment sur ce que doit être le cinéma.
Mais le cinéma n’est-il pas appelé le 7ème art ?
Un art n’est-il pas un moyen d’expression personnel, propre à chacun, sa façon à soi de mettre en scène une idée ou des émotions ?
Chaque film est l’œuvre de son créateur, empreint de sa personnalité et de son désir propre, que cette façon de faire nous touche ou pas est affaire de sensibilité, de vécu et de personnalité mais il n’en reste pas moins le travail qu’un artiste nous livre.
A ce titre on se demande bien pourquoi Maïwenn n’aurait pas le droit d’entrer au panthéon des grands réalisateurs parce que ses films ne suivent pas tel ou tel du cinéma ?
Depuis quand y a-t-il des règles ou des méthodes pour encadrer un art ? On lui reproche beaucoup une absence de mise en scène, un manque de direction d’acteurs, un grand n’importe quoi en somme.
Et si c’était juste son style, une sorte de négligé travaillé qui donne au film sa force et sa singularité ?
Sur l’absence de mise en scène, que l’on ait aimé ou pas, force est d’admettre que l’on a plus l’impression d’avoir assisté au quotidien réel d’un couple en souffrance que d’avoir regardé un film et c’est ça qui est incroyable. C’est le réalisme et la crédibilité de cette histoire d’amour ou plutôt devrait on dire de cette rencontre de symptômes qui battent leur plein, ce que l’on appelle communément une passion (issu du latin Patior qui signifie subir, souffrir d’une chose contre laquelle la volonté ne peut rien).
En revanche, la justesse et le naturel des protagonistes sont peu contestés, voire encensés, notamment la performance d’Emmanuelle Bercot puisqu’elle a reçu le prix d’interprétation féminine à Cannes. Cette crédibilité dans le jeu, dans le couple, dont l’actrice elle-même avoue avoir douté au départ, ne résulte-il pas de la « méthode Maïwenn » justement ? Du fait qu’elle leur ordonne d’improviser les dialogues qu’elle a pourtant écrits, de ce qu’elle les pousse à se dépasser, à aller puiser dans leurs ressources personnelles pour ne pas s’en remettre à la facilité de réciter un texte ou suivre une mise en scène figée ? N’est-ce pas cela la direction d’acteurs ?
On ne peut d’ailleurs s’empêcher de penser que les répliques de chacun soient quelque peu autobiographiques tant elles sont justes et témoignent d’une réalité existante. Il faut même avouer que la question de savoir si Vincent Cassel joue un rôle ou pas peut traverser l’esprit…
Enfin, concernant le sujet traité, qui là encore a fait couler beaucoup d’encre, on accuse Maïwenn de tomber dans la facilité en abordant le sujet redondant du désormais tristement célèbre « pervers narcissique ». Ce n’est pourtant pas sous un angle usité qu’elle l’évoque dans son film. En effet, la plupart du temps il s’agit d’en faire son procès mais pas ici. Il semble qu’elle ait au contraire voulu que l’on comprenne plutôt que de juger, celles et ceux qui se retrouvent malgré eux prisonniers d’une relation douloureuse. Il est aussi clairement question de montrer que l’on persiste parfois, non par folie ni masochisme tel que cela est supposé de l’extérieur, mais simplement car il est très difficile d’accepter l’idée que deux êtres qui s’aiment ne peuvent réussir à vivre ensemble. Elle dépeint ainsi la façon dont chacun est victime de ses propres névroses qui l’enchaînent à l’autre.
Un homme « hors normes » aussi séduisant qu’odieux, qui choisit une femme qu’il admire (une avocate), envers laquelle il alternera les phases de grande séduction et de destruction. Dans les deux cas il est sans limites, pourvu que l’image qu’il a de lui ne soit pas altérée, chose qu’il ne serait pas en mesure de le supporter. Dès qu’il se sent minable ou rejeté, il tente, par des mécanismes de défense pervers narcissiques, de rejeter la faute sur l’autre avec une conviction et un aplomb tels qu’il lui en fera perdre toute raison et confiance en elle. Maïwenn souligne cependant dès le départ le malaise interne de cet homme sous anti-anxiolytique… De l’autre côté une femme qui paraît forte et intelligente mais que le manque de confiance en elle conduit à s’engager dans une relation avec un homme qui la fascine par ce côté exceptionnel justement et qui, insidieusement, à force de réflexions et de manipulations, finit par lui faire perdre toute capacité de discernement. La volonté de protéger son enfant et de construire une famille vient alourdir ses chaînes et la rend définitivement esclave de celui même qu’elle a fait Roi.
On a pu lire que ce serait un film qui parlerait aux femmes plus qu’aux hommes, mais aux vues des nombreuses critiques masculines qui semblent davantage dictées par l’affect que par le bon sens critique, les hommes ne seraient-ils pas justement vexés ou effrayés de se reconnaître, parfois, dans le comportement de cet homme ?
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+ Interview de Maïwenn
+ Les autres films de la sélection officielle
• Réalisation : Maïwenn
• Scénario : Etienne Comar, Maïwenn
• Acteurs principaux : Vincent Cassel, Emmanuelle Bercot, Louis Garrel, Isild le Besco
• Pays d’origine : France
• Sortie : 21 octobre 2015
• Durée : 2h10
• Distributeur : StudioCanal
• Synopsis : Tony est admise dans un centre de rééducation après une grave chute de ski. Dépendante du personnel médical et des antidouleurs, elle prend le temps de se remémorer l’histoire tumultueuse qu’elle a vécue avec Georgio. Pourquoi se sont-ils aimés ? Qui est réellement l’homme qu’elle a adoré ? Comment a-t-elle pu se soumettre à cette passion étouffante et destructrice ? Pour Tony c’est une difficile reconstruction qui commence désormais, un travail corporel qui lui permettra peut-être de définitivement se libérer…
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