L’Affaire Harvey Weinstein : un drame en trois actes

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Il existe des anniversaires qu’on aimerait éviter, à la manière de Rachel fuyant ses bougies de jeune trentenaire dans Friends ou de Tree Gelbman essayant de survivre à sa perpétuelle fête dans Happy Birth Dead. Parmi les commémorations épouvantables qu’on souhaiterait oublier, il y a également celle de l’affaire Harvey Weinstein qui a débuté il y a deux ans.

Dans un récent billet pour France Culture, Aurélien Bélanger évoquait des liens entre l’affaire Harvey Weinstein et une certaine hiérarchie des cultures : « On n’avait pas inventé mieux que le féminisme pour trancher, une dernière fois, le débat un peu rance sur la hiérarchie entre les civilisations : l’Afrique avait l’excision, l’Islam lapidait les femmes, la Chine les tuait à la naissance, l’Inde les violait aux toilettes et nous, nous avions inventé la mini-jupe. […] La condition féminine aura été, pour faire simple, notre dernier impérialisme — dont le choc de l’affaire Weinstein. » Selon lui, la façon dont les femmes étaient traitées dans la société occidentale marquait l’avancée morale et civilisationnelle de cette dernière. L’achèvement de la parité serait ainsi une étape de plus vers le progrès visé par toutes les nations. Cependant, cet état de fait n’existe plus. C’était celui de « l’avant » Harvey Weinstein qui a entraîné une prise de conscience aussi violente que politique.

Acte I : La chute du dernier nabab

Le 11 octobre 2017, Hollywood se réveille avec la gueule de bois. Ronan Farrow, fils de Woody Allen et Mia Farrow, a publié la veille une enquête dans The New Yorker, qui corrobore les accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles attribuées à Harvey Weinstein. Ce dernier, l’air patibulaire et lourdaud, est alors un célèbre producteur de cinéma américain, fondateur de la Weinstein Company dont la réputation n’est plus à faire. Pourtant, celui qu’on surnomme « l’Homme aux soixante statuettes » est accusé par plusieurs dizaines de femmes de harcèlement, d’agression sexuelle et de viol. Parmi elle : Lysette Anthony, Rosanna Arquette, Kate Beckinsale, Gwyneth Paltrow, Rose McGowan, Angelina Jolie, Salma Hayek, Eva Green, Léa Seydoux ou encore Lupita Nyong’o. Pendant des semaines, alors que la divulgation de témoignages encourage la parole d’autres femmes à se libérer, la liste des victimes présumées de l’ancien magnat de Hollywood semble s’allonger indéfiniment…

Les langues se délient et les mouvements de soutien commencent à apparaître. Dans la nuit du 14 au 15 octobre, Alyssa Milano reprend, sans le savoir, le hashtag #MeToo utilisé par Tarana Burker en 2007 pour dénoncer les violences sexuelles à l’encontre des minorités victimes de discriminations intersectionnelles. Les femmes sont encouragées à raconter ce qu’elles ont pu vivre que ce soit de façon privée ou publique, sur les réseaux sociaux ou des plateaux de télévision. Plus de soixante mille messages feront écho à l’appel de l’actrice de Charmed, et ils n’épargneront aucune classe sociale ni aucun milieu. En France, ce mouvement se retrouve dans #balancetonporc qui rappelle les violences sexuelles commises envers les femmes, notamment dans des situations d’inégalités hiérarchiques. Malheureusement rapidement comparé à de la délation, ce mouvement consiste pourtant à « dénoncer des faits (et non leurs auteurs) de harcèlements », comme le rappelle Mathilde Damgé dans ce manuel pour lutter contre les idées simplistes sur le harcèlement sexuel.

En janvier 2018, une lettre est publiée dans le Time pour soutenir les victimes d’Harvey Weinstein, mais aussi pour décrire les expériences d’agression et de harcèlement vécues par des femmes travaillant dans le secteur agricole. Sans le savoir, l’Alianza Nacional de Campesinas, à l’origine de ce message, vient de contribuer au lancement de Time’s Up : un mouvement international contre le harcèlement sexuel. Les stars ne tardent pas à rejoindre les rangs de cette lutte (Emma Watson, Lady Gaga, Eva Longoria, Reese Witherspoon…) alors que les femmes qui étaient jusque là restées dans l’ombre passent sous la lumière des projecteurs : les femmes de ménage, les serveuses, les agricultrices… Au programme de cette campagne :

  • 13 millions de dollars, levés par des femmes célèbres afin de pouvoir venir en aide aux plus démunies — sans couverture sociale solide ou moyens financiers pour faire appel à un avocat
  • une législation mise en œuvre pour pénaliser les entreprises qui tolèrent des comportements abusifs
  • un plan d’action pour rendre égaux les droits entre les femmes et les hommes
  • une volonté de « réveiller les consciences » en commençait par porter du noir aux Golden Globes

Mais malgré ce scandale, dont les secousses impactent toutes les parties du monde, la saison des récompenses reste sacrée. Outre les nombreux discours d’engagement et de soutien, les stars manifestent leur approbation par des tenues noires et des pin’s Time’s Up aux Golden Globes, puis des roses blanches aux Grammy’s. C’est sur le tapis rouge de ce dernier évènement que la chanteuse Lorde défile avec une robe sur laquelle est cousu un texte de l’artiste féministe Jenny Holzer : « Réjouis-toi! Nos temps sont intolérables. Prenez courage, car le pire est un signe avant-coureur du meilleur. Seule une situation désastreuse peut précipiter le renversement des oppresseurs. L’ancien et le corrompu doivent être mis aux ordures avant que le juste puisse triompher. La contradiction sera élevée. Le jugement sera accéléré par la mise en scène des perturbations des graines. L’apocalypse fleurira. » Mais quelques jours auparavant aux Golden Globes, sur un tapis rouge identique, saluant la foule d’un geste presque héroïque et gratifiant les photographes de son sourire immaculé, un acteur n’aurait pas dû afficher sa solidarité au mouvement Time’s Up

James Franco, fraîchement récompensé du Golden Globe du Meilleur Acteur de Comédie (The Disaster Artist) fait les gros titres non pas pour sa récompense mais pour son hypocrisie. Car si l’interprète arbore fièrement un pin’s Time’s Up en foulant le tapis rouge, il n’a pas fallu longtemps pour rappeler les propositions indécentes qu’il avait fait à une adolescente de 17 ans sur Instagram quelques années auparavant. Une conduite qui fait écho à une réflexion de Seth Meyers sur le plateau de son Late Night quelques mois précédemment : « C’est un dinosaure qui essaie de s’adapter. Mais si tu es un dinosaure, alors c’est ton âge de glace mon pote. Et contrairement aux dinosaures, personne ne va essayer de faire revivre Harvey Weinstein. » Car si l’intouchable Harvey Weinstein est tombé, il n’est pas le seul dinosaure d’Hollywood et il va rapidement entraîner beaucoup d’autres personnalités médiatiques dans sa chute…

Acte II : Derniers feux sur Hollywood

La divulgation de l’affaire Harvey Weinstein est désormais considérée comme la flamme qui a mis le feu au poudre qui se cachait derrière les paillettes et le glamour d’Hollywood.

Les impressions du New Yorker sont encore chaudes quand Kevin Spacey, acteur d’American Beauty et House of Cards, est accusé à son tour de harcèlement sexuel et d’agressions sexuelles par plusieurs hommes. Alors que les dénonciations se multiplient, Netflix choisit de ne plus faire apparaître l’acteur dans sa série et annule également la sortie d’un long-métrage qu’il venait de réaliser. De son côté, Ridley Scott, Monsieur Propre en puissance, décide purement et simplement de l’effacer du film qu’il venait de tourner (Tout l’argent du monde) et de refaire toutes les scènes dans lesquelles il apparaissait. Sauf que Kevin Spacey n’a pas dit son dernier mot et l’acteur choisit alors de justifier ses gestes en faisant son coming out sur Twitter : « Les personnes qui me sont proches savent que j’ai eu des relations amoureuses avec des hommes et des femmes dans le passé et que je me considère maintenant comme gay« . Visiblement décidé à creuser sa propre tombe, l’acteur essuie alors de vives critiques de la part de la communauté LGBTQ+ ainsi que de l’Olympe médiatique dans lequel il est désormais persona non grata. Le coup de grâce arrive lorsque des internautes déterre un extrait d’un épisode de 2005 de la série Family Guy, dans lequel on voit Stewie Griffin, le plus jeune membre de la famille qui court nu, « s’échappant de la cave de Kevin Spacey. »

Après Harvey Weinstein et Kevin Spacey, c’est au tour de Luc Besson (plainte pour viol, mai 2018), Gilbert Rozon (accusations d’agression sexuelle et de séquestration), Morgan Freeman (huit accusations de harcèlement sexuel), Louis C.K. (plusieurs accusations d’exhibitions sexuelles) , Dustin Hoffman (cinq accusations de harcèlement et d’agression sexuel), Sylvester Stallone (deux plaintes d’agressions sexuelles), James Toback (mis en cause de harcèlement sexuel par 38 femmes) ou encore Casey Affleck (accusation d’abus sexuel) de faire l’objet de dénonciations. Ce dernier avait par ailleurs suscité une polémique en 2017 lorsqu’il a remporté l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans Manchester by the sea et que Brie Larson, qui venait de lui remettre le trophée, avait refusé de l’applaudir en raison de cette accusation.

À une vitesse affolante, les dénonciations ont commencé à dépasser le microcosme du cinéma : les photographes de mode Bruce Weber et Mario Testino ont été accusés, suivis de Jean-Claude Arnault, personnalité influente de l’Académie suédoise qui décerne les prix Nobel. Le mouvement s’est également émancipé du monde occidental: Claudia Morales, journaliste colombienne, a accusé l’ancien président Alvaro Uribe de l’avoir violée, alors qu’au Pérou, chacune des 23 candidates à l’élection de Miss 2018 a non pas annoncé ses mensurations mais un chiffre correspondant à des crimes faits aux femmes dans leur pays. Au pays du soleil levant, c’est la journaliste Shiori Itō qui a fait scandale après avoir accusé le biographe du Premier ministre japonais de l’avoir violée. Cependant, son arrestation a été annulée sur demande d’un responsable de la brigade criminelle proche de l’homme politique dont il a fait le portrait. La liste des personnalités publiques accusées continue de s’allonger quand le Saturday Night Live décide d’organiser une cérémonie des Harassment Awards, dans la tradition de la passion hollywoodienne pour les récompenses :

Puis en septembre 2018, sous le soleil brûlant de Californie, ce fut au tour de Bill Cosby, créateur et héros du Cosby Show d’être condamné à dix ans de prison après avoir été accusé par plus de soixante femmes d’agressions sexuelles. Aussitôt exclu de l’Académie des Oscars, le présentateur a rapidement été rejoint par Roman Polanski qui a été reconnu coupable de détournement de mineure en 1977 avant de fuir des États-Unis. En janvier 2019, Lady Gaga, récemment récompensée pour son rôle magistral dans A Star is born, s’est excusé pour son duo avec le rappeur R. Kelly. Ce dernier est accusé depuis 1990 de harcèlement et de violence sexuelles, de pédophilie, ainsi que d’avoir été à la tête d’un « temple sexuel ». Un mois après cette énième affaire dans le monde des célébrités et presque deux ans après la divulgation du scandaleHarvey Weinstein, ce dernier est toujours aussi présent sur la scène publique alors qu’un char monumental à l’effigie du producteur déchu défile au Carnaval de Nice.

Acte III : Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, Ronan Farrow s’apprête à sortir un livre sur l’affaire Harvey Weinstein afin d’y dévoiler la méthode mise en place par le producteur pour couvrir ses arrières : recrutement d’ex-agents du Mossad, usurpation d’identités, manipulations, chantages, menaces, signature de contrats de non-divulgation… Si cet ouvrage intitulé Les faire taire : Mensonges, espions et conspirations : comment les prédateurs sont protégés promet sa dose de révélations et de scandales, il ne parvient pas à faire oublier que pour l’instant l’ancien magnat de Hollywood n’a été ni jugé, ni condamné. Concernant Kevin Spacey, ce dernier est à l’heure actuelle libre comme l’air, gambadant dans un champ de jonquilles alors que les dernières poursuites le concernant ont été abandonnées en juillet 2019.

Au moment où les touristes rangeaient leur parasol sur les plages de la Côte d’Azur, Emma Watson a ouvert une hotline pour que des femmes puissent témoigner des pratiques subies sur leur lieu de travail, et recevoir des conseils légaux. Et alors que l’insouciance estivale tirait elle aussi sa révérence, des métiers inédits ont fleuris à Hollywood à l’instar du nouveau poste de « coordinatrice d’intimité«  qui consiste à « créer un environnement sécurisant pour un travail dangereux. » Une profession qui aurait mérité d’exister en 1972 lors du tournage du Dernier Tango à Paris alors que la polémique autour de la scène de viol a refait surface en novembre 2018 suite à la mort du réalisateur Bernardo Bertolucci qui affirmait que ce qu’il voulait « ce [n’était] pas une actrice qui simulait le viol ou la douleur ; [il voulait] les vraies larmes d’une jeune fille. »

Mais un grand nom du cinéma américain manque encore à l’appel de cette polémique. Celui de Woody Allen, père de Ronan Farrow, celui par qui le scandale Harvey Weinstein est arrivé. Le réalisateur a souvent fait l’objet de polémiques, que ce soit au sujet de son premier divorce, qui a tourné en procès pour diffamation après une blague du cinéaste au sujet du viol de son ex-femme, ou par rapport à la liaison qu’il a entretenu avec Soon-Yi, sa fille adoptive par alliance, qu’il a fini par épouser en 1997. Mais c’est surtout, Dylan Farrow,  fille de Mia Farrow et sœur de Ronan Farrow qui a fait couler le plus d’encre. Les accusations d’abus sexuels de Woody Allen sur sa belle-fille ont refait surface lorsque son frère a publié une tribune dans le Hollywood Reporter en 2016 : « Je me souviens avoir été moi-même perturbé par le comportement de mon père : il montait dans le lit de ma sœur en pleine nuit et la forçait à lui sucer le pouce. » Si le réalisateur a été épargné par la tempête Harvey Weinstein, il n’empêche qu’aujourd’hui aucune maison d’édition américaine ne veut publier ses mémoires et qu’une majorité de ses films sont boycottés aux États-Unis. Il est de plus en procès contre Amazon qui a refusé de continuer de travailler avec lui suite au mouvement #MeToo; Penélope Cruz, une de ses anciennes muses, a par ailleurs demandé la réouverture de l’enquête d’agression sexuelle le visant.

Au final, beaucoup de revendications et d’appels n’ont pas encore été écoutés et ce, même si selon la sociologue Irène Théry « la honte, peu à peu, change de camp »: trois français sur quatre ne distinguent toujours pas harcèlement, blagues salaces et séduction alors qu’une femme sur sept dit avoir subi au moins une forme de violence sexuelle au cours de sa vie. Si les hommes qui étaient auparavant considérés comme « intouchables » le sont de moins en moins, le chemin semble encore bien long à parcourir…

Sarah Cerange

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