En 2001, la popstar Mariah Carey joue sa carrière avec un projet de longue haleine. GLITTER doit achever de l’installer comme une égérie pop après une décennie de succès. Malheureusement, le film comme l’album éponyme sont de tels échecs que cinq ans vont être nécessaires à la chanteuse pour s’en relever. Retour sur un drame annoncé.
Mariah V.S. Sony Music
A la fin des années 90, Mariah Carey compte parmi les popstars les plus influentes de sa génération. Plus grande vendeuse de la décennie, de l’album Mariah Carey en 1990 à Rainbow en 1999, elle a cumulé les disques d’or, de platine et de diamant, avec près de quinze singles numéro 1 des ventes. En 1998, sa carrière prend un tournant décisif lorsqu’elle se sépare de Tommy Mottola, son époux depuis 1991, également président de Sony Music. Alors âgée de 29 ans, l’artiste aspire à davantage de liberté, chose impossible sous l’égide de son ex-mari. Lequel entreprend d’ailleurs de lui mettre des bâtons dans les roues, en misant notamment sur une nouvelle arrivée chez Sony, Jennifer Lopez – d’où cette rivalité historique entre les deux chanteuses.
Malgré ce contexte hasardeux, Mariah Carey continue de travailler sur son projet le plus personnel, All that glitters, au grand dam de son ex-époux. En effet, Mottola est peu convaincu par ce pitch de film plus ou moins autobiographique et encore moins par l’album qui l’accompagne : un hommage aux sonorités funk et groove des années 80. A cette époque, les eighties sonnent ringardes et le funk fait encore figure de vestige kitsch, pas encore dépoussiéré par Mark Ronson, Pharell Williams et consorts. Qu’à cela ne tienne, Carey aura son film à sa gloire et son disque rétro-nostalgique. Elle s’en fait la promesse. Or, Sony l’a convainc de sortir d’abord la compilation Number #1’s, puis l’album Rainbow, plus pop-RnB, et davantage ancré dans la mouvance de l’époque.
Un contrat à 100 millions de dollars
Si Rainbow est un succès à sa sortie en 1999, Mariah Carey estime cependant que sa maison de disque s’est trop peu impliquée dans sa promotion. Et le torchon continue de brûler entre elle et Mottola lors du développement de l’album Glitter. La chanteuse apprend notamment qu’un mois seulement après avoir négocié les droits d’un sample du titre Firecracker du groupe japonais Yellow magic orchestra, son ex-mari et Jennifer Lopez ont acquis les droits du même sample pour composer le single I’m real. De plus, alors que Carey a fait appel à Ja Rule pour son titre If we, le même rappeur est invité sur le remix du titre de Lopez. Les bassesses de Mottola l’épuisent chaque jour un peu plus, si bien que la diva courroucée décide de claquer la porte pour rejoindre Virgin Records dès la fin de son contrat.
Virgin accueille Mariah Carey à bras ouverts et voit en elle une poule aux œufs d’or, compte tenu de ses ventes records dans les années 90. La diva signe alors un contrat de 100 millions de dollars pour cinq albums, l’un des deals les plus importants de l’histoire de la musique. La chanteuse constitue effectivement un bon investissement, dans la mesure où elle compose, écrit et embarque avec elle un public acquis et solide. En signant chez Virgin, Carey obtient également la promesse de voir le projet All that glitters aboutir. Renommé GLITTER en cours de développement, le film voit son tournage débuter dès septembre 2000 à New York et Toronto. Et bien que la réalisation soit confiée à l’acteur Vondie Curtis-Hall, la chanteuse va prendre l’ascendant sur de nombreux aspects. Elle se laissera, en effet, assez peu diriger, préférant rejouer sa partition de diva médiatique, quitte à (trop) s’éloigner de son personnage.
Loverboy implosion
Fait notable, l’écriture du scénario échoue à deux femmes noires, Cheryl L. West et Kate Lanier. Le duo fournit une version fantasmée des débuts de Mariah Carey en tant que chanteuse. Dans le film, elle incarne une certaine Billie Frank, auteure compositrice et interprète, originaire de New York et sans le sou. Dans ce scénario, Billie, enfant métisse, est confiée à l’assistance sociale après l’abandon de sa mère, d’origine afro-américaine. Étrange inversion, puisqu’en réalité, Mariah Carey est née d’une mère irlandaise et d’un père d’origine vénézuélo-afro-américaine. Dans les faits, c’est ce père qui s’est rendu coupable d’abandon. GLITTER dépeint certainement le contraire pour légitimer l’héritage musical de Carey, adoubée par un public en partie noir, qui préfère le récit d’une mère afro-américaine chanteuse de soul à celui d’une artiste lyrique blanche – profession de la véritable mère de l’artiste. Un rebranding essentiel, là où Mottola avait œuvré pour que l’image de Mariah Carey se confonde avec celle des popstars blanches.
La chanteuse termine le tournage de GLITTER sur les rotules, également éprouvée par son récent divorce. Virgin commence, de son côté, à découvrir le caractère impétueux de la star, jusque là contenu par Mottola. À cette époque, l’artiste ignore encore tout de sa bipolarité. Non diagnostiquée et sans traitement, la maladie de Mariah Carey exhausse ses travers de diva capricieuse. Et alors que sa santé mentale décline, la promotion de GLITTER démarre sous les pires auspices. Le premier single de l’album, Loverboy, sort en juin 2001. Et les Américains la voit débarquer en plateau sur MTV, faisant mine de retirer son T-shirt pour dévoiler finalement un crop-top. Bien que l’intervention avait été planifiée, l’attitude de Carey interroge. Elle semble déséquilibrée, en détresse morale, et laisse le public médusé devant ce happening raté.
Breakdown
Et le vernis continue de craquer. La chanteuse, en état d’ébriété, publie des messages alarmants sur son site Internet, où elle explique avoir trop de travail et être mal considérée par Virgin Records. Le 25 juillet 2001, elle s’effondre pour de bon et est hospitalisée, les deux poignets bandés. La presse s’emballe et avance l’hypothèse du suicide. En réalité, elle se serait blessée avec des débris de verre et de vaisselle. Privé de promotion, le single Loverboy peine à décoller et la maison de disque se voit forcée de renflouer les ventes en le bradant pour quelques dollars. De son côté, Mariah Carey passe plusieurs semaines à l’hôpital, en raison d’un « état de fatigue extrême ». Dans cette situation, le label est contraint de repousser la sortie de l’album, ainsi que du film… au 11 septembre 2001.
L’image a profondément marqué les Américains. Cette photo des deux tours qui s’effondrent avec, au premier plan, un immense panneau publicitaire annonçant la sortie de GLITTER. Où l’on peut voir une Mariah Carey souriante, dans un décor rose violet, saupoudrée d’une surcouche de paillettes. Dans le contexte maussade des attentats, le public rejette l’ensemble du projet, teinté d’une insouciance eighties et nappé d’un visuel sucré et sirupeux. La princesse pop des années 90 ne fait définitivement plus recette. Déjà à la sortie de Loverboy, le contenu plus osé et volontairement sexuel des paroles et du clip réalisé par David LaChapelle avaient dérangé. La douleur infligée par le 11 septembre achèvera de rendre la diva désuète et passéiste aux yeux des Américains. Encore pire : à la sortie du film, les critiques l’assassinent. On parle alors d’un « des pires films jamais réalisés ». GLITTER vaudra ainsi un Razzie Award de la pire actrice à Mariah Carey.
Du mauvais film au nanar sympathique
Dans les faits, GLITTER constitue effectivement un nanar savoureux, érigé à la gloire de son actrice principale. Carey donne tout. Elle survole le film d’un air impérieux, mimant tantôt mal l’émotion, tantôt trop l’enthousiasme. De plus, la photo est laide à faire peur, au même titre que le cadrage s’avère hasardeux. Le contexte des années 80 transparaît assez peu à l’écran et l’intrigue se perd en un capharnaüm de saynètes, où tout réussit sans entrave à l’artiste. Au point que des éléments-clés du scénario, comme l’assassinat de son producteur ou les retrouvailles avec sa mère, se voient rushés au possible en fin de métrage. Néanmoins, GLITTER ne méritait pas tant de haine. S’il est objectivement loin du chef-d’œuvre, il n’est cependant pas pire que certains navets où ont figuré Elvis Presley, les Beatles ou Johnny Hallyday par chez nous.
Au regard de la personnalité de Mariah Carey et de ce qu’elle a sciemment voulu transmettre, GLITTER se révèle même intéressant. On note des personnages masculins effacés, qui ne peuvent exister que par rapport à elle ou à son talent. À en devenir possessifs et toxiques. Rare dans ce genre de romance téléphonée, l’héroïne préfère s’en aller plutôt que de subir la jalousie de son compagnon. Sa famille se compose, par ailleurs, exclusivement de femmes – en la présence de ses deux meilleures amies d’enfance et de sa mère. Elle ne recherchera d’ailleurs jamais son père, pourtant lui aussi absent. Évocateur, à une époque où la chanteuse s’émancipe de son puissant ex-mari. Mariah Carey tente assurément d’expliquer au public qu’elle est une femme libre et indépendante, qui doit sa réussite essentiellement à son talent. Un message remarquable dans une décennie 2000, où les philosophies féministes ne sont plus vraiment à la mode.
#JusticeForGlitter
Malheureusement, il faudra cinq ans au public pour l’entendre. En raison de l’échec critique et commercial de GLITTER, l’artiste quitte Virgin Records, en empochant 28 millions de dollars au passage. En 2001, la presse préfère titrer qu’on la paye pour s’en aller… L’histoire retiendra qu’on ne vire pas Mariah Carey sans en subir les conséquences. Après le discret Charmbracelet sorti en 2002 chez Island Records, la star revient avec fracas sur le devant de la scène avec l’album The Emancipation of Mimi en 2005. Vendu à plus de dix millions de copies dans le monde, ce disque lui offre une première revanche. Sa grande victoire, elle l’obtient cependant en 2018 où, 17 ans après sa sortie, l’album Glitter connaît un regain de popularité fulgurant, avec le lancement du hashtag #JusticeForGlitter. Initié par le public et la presse spécialisée, le mouvement loue les qualités de l’album et salue son caractère précurseur.
GLITTER ne sera cependant – et heureusement – jamais considéré comme un grand film. Il n’empêche qu’il constitue désormais un petit bout de pop culture. Premier échec de Mariah Carey, il est aussi le terreau de son spectaculaire come-back. Également un prisme sous lequel observer l’industrie du spectacle américaine au début des années 2000. La pop sucrée, la dance, s’essoufflent. On écoute la mélancolie de Norah Jones, de Dido, la douleur de Mary J. Blidge, la douceur de Usher. L’Amérique panse péniblement ses plaies et brûlent ses idoles passées. Quand soudain, certaines entreprennent de se sur-sexualiser pour se donner une image plus adulte et émancipée, à l’instar de Christina et de Britney. Mariah Carey avait effectivement un train d’avance, mais est malencontreusement restée sur le quai avec sa pop rétro nostalgique…
Lilyy Nelson