petite maman
Crédits : Pyramide Films

PETITE MAMAN, cinéma de la réparation – Analyse

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Le film part d’une disparition, celle d’une grand-mère, pour aller vers une apparition, celle d’une relation sauvée entre une mère et une fille : une histoire de pleurs qui deviennent sourire ou le récit d’une blessure qui se soigne par ce qu’il y a de magique et de fantasmagorique dans le cinéma. C’est apprendre à dire « au revoir » pour ne pas marcher à contre-temps, pour ne pas fuir du regard la vie qui se meut et émeut sans relâche.

La grand-mère meurt. Et la mère répond aux nécessités inexpugnables de la vie par une profonde tristesse. Elle ne parvient pas à accueillir la mort dans son être qui se blesse. Son œil s’ouvre et s’exprime en laissant fuir des larmes. Sa fille tente en vain de les sécher avec ses paroles. C’est en fait une fille qui ne veut pas voir pleurer sa maman. Ainsi, la nuit, près d’elle, la petite fille boit ce verre d’eau comme si elle avalait les larmes maternelles. La mère disparaît et apparaît, au cœur de la forêt et construisant la fameuse cabane, la mère à l’âge de sa fille. Nelly et Marion se rencontrent dans le fantasme d’un temps partagé, lieu d’une réinvention de la relation mère-fille où l’insouciance, la futilité, la désinvolture et l’amitié règnent par-dessus le temps des horloges et au-dedans d’un présent qui ne peut pas durer. Dans le temps scellé d’une enfance partagée, elles prennent conscience de la fatalité du temps qui passe et donc de l’urgence de vivre ce qui ne peut pas survivre et du danger de fuir l’appel du présent. Le film trace une fuite spatio-temporelle vers un temps qui n’existe pas, trajectoire fantastique pendant laquelle les fillettes reconnaissent mutuellement la grâce du présent.

Ce sont les personnages qui construisent l’architecture de ces instants de bonheur, s’extrayant hors du temps tout en les éprouvant au plus-que-présent. En effet, il s’agit pour elles de bâtir puis d’habiter ces monuments intimes : la cabane dans les bois, les deux maisons similaires (l’une portant en elle ce qui se vide dans l’autre, les souvenirs se formant pour ainsi dire, se vivant et se consumant – au moment où la vie se donne à son paroxysme, elle brûle quand elle est réduite en cendres) ainsi que le film. On pourrait parler d’une spatialisation du temps et il appartient aux personnages de coudre les battements d’un temps à investir et à laisser derrière soi. Contrastant avec la position cartésienne du père, Nelly et Marion habitent en tant que créations cinématographiques le film. Elles sont des apparitions, des disparitions ; et rien n’est sûr dans la mesure où elles ne sont que des productions artificielles d’êtres de lumières et d’ombres.

A fortiori ce temps des rencontres est invraisemblable (à moins que ce temps ne se déroule dans l’imagination, comme si Nelly voulait échapper aux sombres prises tragiques de la vie en inventant un temps où l’on peut tisser une relation amicale avec sa mère qui a le même âge que soi) ; mais il serait davantage fantasmagorique car il commence avec ce verre d’eau qui rappelle la nouvelle fantastique d’Edgar Allan Poe, car il se déploie entre deux enfants dans une maison dans la forêt qui rappelle les contes merveilleux. Et le cinéma participe à générer ce temps fantastique avec ses coupes et ses montages qui relient des fragments peu ou prou autonomes grâce à sa capacité à projeter l’inexprimable et l’irréalisable. 

petite maman
Crédits : Pyramide Films

S’il est en puissance de produire de l’inexprimable et de l’irréalisable, le cinéma peut réparer. Il compose entre fusion et fission. La mise en œuvre de cette morale de la réparation semble être initiée par le geste touchant d’une enfant qui veut voir sa mère sourire. Si Marion paraît dans un premier temps triste et morne c’est aussi parce que Nelly ne voit que les blessures de sa mère. Entre la mère triste et la mère souriante, il y a sa petite maman et une amitié hors-normes et décomplexée (sortie du complexe) des âges, il y a Nelly qui partage les premières déchirures de Marion. “Des voix d’enfants chanteront de nouveaux rêves / Le rêve d’être enfant avec toi Le rêve d’être enfin loin de toi Le rêve d’être enfant loin de toi Le rêve d’être enfin avec toi.” Nelly joue avec sa petite maman. Mère et fille partagent le même cadre. Grand-mère et petite fille chantent à l’unisson. Puis Nelly revient à sa mère après avoir dit “au revoir”. Elles s’embrassent. Le film se referme. “Mais est-ce qu’il y aura des enfants pour jouer ?” (Marion). 

Dans PETITE MAMAN, il y a quelque chose qui génère sans cesse. Il y a toujours quelque chose qui tourne à l’image des bougies du gâteau d’anniversaire allumées une à une dans le sens des aiguilles d’une montre. Il y a la grand-mère, la mère et la fille. Il y a les arbres du bois. Il y a la naissance, la mort et la (re-)naissance. Ce sont les petits bruits du quotidien qui chuchotent à l’oreille des “au revoir” se succédant. Le cinéma reproduit cette chronologie des déliaisons que nécessite et produit la vie pour être. PETITE MAMAN est un film qui sort de l’ordinaire afin de l’accueillir. C’est fuir le présent afin d’avancer avec lui. C’est faire le deuil afin de rencontrer l’Autre et de renouer avec soi-même. C’est découvrir les blessures d’un être que l’on pensait connaître, qui pourtant nous échappait et qui nous échappera toujours un peu. C’est ne pas oublier de dire “au revoir”.

Luna DELORGE

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