CYRIL CONTRE GOLIATH donne à voir le combat étonnant d’un homme face à un puissant de la haute couture, qui interroge autant sur l’engagement citoyen que sur le vivre ensemble et la transmission.
On connait Pierre Cardin, grand couturier depuis plus de soixante ans et l’un des inventeurs de la mode futuriste dans les années 1960. Derrière l’homme d’affaires qui n’hésite pas à dire que son nom vaut un milliard, se cache aussi un gourmet qui possède le restaurant Maxim’s et un collectionneur d’art passionné. Mais ne nous y trompons pas, CYRIL CONTRE GOLIATH est bien loin d’être une ode à celui qui est aujourd’hui âgé de 97 ans. Bien au contraire. Le documentaire co-écrit et co-réalisé par Thomas Bornot et Cyril Montana fait plutôt le portrait à charge d’un homme qui s’est approprié depuis 20 ans un petit village dans le Luberon, Lacoste. Est d’abord tombé dans son escarcelle le château du Marquis de Sade, mais son action de mécène s’est bornée à sa rénovation, puisqu’il s’est gardé égoïstement l’usage des lieux pour lui-même.
Puis Pierre Cardin, insistant lourdement auprès des propriétaires, s’est mis à racheter à prix d’or une quarantaine de maisons et une dizaine de boutiques du village. Il les a également rénovées, mais les laisse désespérément vides, refusant de louer les maisons ou de trouver des gérants aux commerces. Il veut ces lieux uniquement dédiés à ses œuvres ou aux amis qu’il reçoit, notamment lors de son festival. Même s’il n’a pas été au bout de tous ses projets, seul son bon plaisir semble le guider. Un reportage le donne d’ailleurs à voir, goguenard, expliquant qu’il collectionne des maisons et que « les petites gens n’ont pas cette envergure internationale qu’il possède ». En quelques mots, tout est dit de son mépris pour les villageois d’un village qui se meurt et de la captation par un privilégié sans vergogne de biens du domaine public.
CYRIL CONTRE GOLIATH est un documentaire passionnant, à plus d’un titre. D’abord parce qu’il aborde d’une manière originale un sujet rarement abordé de la sorte dans un documentaire : l’orgueil. L’orgueil d’un homme de culture, d’argent et de pouvoir qui peut encore s’octroyer ce qu’il veut dans ce monde moderne sans avoir de comptes à rendre à personne, et s’en vanter avec l’arrogance des nantis. Puisque tout est fait dans les règles et le respect des lois. Mais il est aussi question dans le film de l’orgueil de celui-là même qui révèle « l’affaire » au grand public : Cyril Montana, très attaché à son village d’enfance, et qui va oser croire qu’il peut faire bouger les lignes et amener Pierre Cardin à changer d’avis.
CYRIL CONTRE GOLIATH se révèle un documentaire captivant doublé d’une belle leçon d’humilité, qui montre parfaitement que ce n’est pas le but qui compte, mais bien le chemin.
Accompagné du réalisateur Thomas Bornot -qu’il ne cite bizarrement jamais, même lorsqu’il évoque la solitude de son combat- le tout jeune cinquantenaire recueille ainsi les témoignages des villageois, de l’ancien et du nouveau maire, des agriculteurs mais surtout des artistes. Car Lacoste a une longue tradition artistique cosmopolite, depuis René Char et Picasso à tous les jeunes artistes d’Europe du Nord, venus s’installer dans le village et y trouver l’inspiration. Une mixité sociale culturelle pourtant non exploitée par un homme féru d’art lui-même. Encore un mépris de classe sociale.
La scène d’ouverture montre le fils de Cyril Montana, le comédien Grégoire Montana-Laroche, croisé dans Les Grands, lui reprochant de n’être qu’un « bobo gauche caviar », sans aucun engagement. Piqué au vif dans son orgueil, l’homme se saisit alors de cette histoire hors norme et en a fait son cheval de bataille. Car l’autre sujet de CYRIL CONTRE GOLIATH, c’est précisément l’engagement citoyen, d’où il vient et comment il naît et se matérialise. Le film en décrit très bien la légitimité, les limites, les questionnements sur les moyens d’action ou encore le benchmarking avec d’autres causes.
Ce qui est enthousiasmant dans CYRIL CONTRE GOLIATH, c’est de partager le parcours de cet homme attachant, et de le voir porté par ses révélations dans la presse, se dépasser, faire de belles rencontres, se tromper, motiver les villageois, assumer ses flops, rêver son utopie, douter mais surtout se découvrir profondément. Il ne se ménage pas, en termes d’action, ni d’autoflagellation car la défense de cette cause lui permet de faire aussi le point sur sa vie et de se livrer à certaines confidences, créant l’empathie du spectateur. On le voit ainsi peu à peu se débarrasser de ses fameux oripeaux de bobo pour aller à sa propre rencontre.
Bien sûr, on éprouve un peu de gêne pour Cyril quand on le voit essayer d’amadouer Rodrigo, le neveu de Cardin, alors qu’on a très vite compris que tous deux l’éviteront toujours, lui et ses mises en demeure, ne daignant jamais lui accorder l’importance qu’il croyait mériter. Et d’ailleurs, on se demande bien pour quelles raisons Cardin ferait-il l’effort, vu son grand âge et son état d’esprit, d’aller à l’encontre de ce qu’il a décidé et de qui il est ? Car on sait bien que tous les combats ne sont pas bons à mener et que certains n’atteignent pas le résultat escompté. Par contre, l’un des combats gagnés par Cyril, et c’est sans nul doute le plus beau, c’est l’évolution du regard sur lui de son fils Grégoire, devenu plus admiratif qu’empreint de jugements. CYRIL CONTRE GOLIATH se révèle donc un documentaire captivant, doublé d’une belle leçon d’humilité, qui confirme parfaitement que ce n’est pas le but qui compte, mais bien le chemin.
Le film est à voir en exclusivité e-cinéma le 13 mai 2020 via la plateforme “La 25ème heure”, puis en VOD, avant de pouvoir retrouver le chemin des salles.
Sylvie-Noëlle
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