Ad Astra est un film passionnant, porté par une mise en scène inspirée et une écriture de l’intime, le rendez-vous incontournable de cette rentrée 2019. Une plongée dans l’espace infini, derniers miroitements des réflexions d’un auteur virtuose.
Impossible d’y échapper, à chaque space opera la comparaison est jetée sur la table, l’Alpha et l’Omega, 2001: L’odyssée de l’espace, continue d’exercer sa toute puissance. Tandis que l’on fête ses 50 ans cette année, le chef d’œuvre de Stanley Kubrick est omniprésent, constamment cité, célébré, emprunté, malmené par des réalisateurs en tout genre…
Film matriciel qui plane tel un fantôme, parfois encombrant, sur l’histoire du cinéma. Alors James Gray ne lutte pas, à l’instar de son personnage Roy McBride, il accepte ce lourd héritage et part à la recherche de ce père disparu dont la mémoire guide la vie des vivants.
Cependant, un autre film s’impose de manière encore plus évidente dans les références fondamentales du film, Apocalypse Now. Bien entendu l’influence du cinéma de Coppola dans l’œuvre de James Gray est incontestable, mais AD ASTRA apparaît presque comme un travail de réécriture tant cette présence semble manifeste.
En effet la mission de sauvetage confiée au major MacBride rappelle par de nombreux aspects celle du capitaine Willard à la recherche du colonel Kurtz. L’exploration spatiale va vite s’apparenter à une plongée abyssale dans les méandres de l’âme humaine. James Gray n’aura d’autres intentions que de suivre cette longue expédition à la recherche du monstre qui s’est affranchi de son humanité.
La mission du capitaine Willard (…) ne se déroule pas selon moi au Vietnam, pas plus qu’au Cambodge, ni dans aucune région de l’Asie du Sud-Est, mais dans un lieu qui ne figure sur aucune carte : ce point effrayant – sacré – où la vie et la mort se rencontrent.
Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne.
Tout au long de sa filmographie, James Gray n’a eu de cesse d’explorer les relations père/fils. Entre déterminisme, destin et sacerdoce. Les fils portent en eux les rêves, parfois déchus, de leurs aînés. Ils portent en eux leurs aspirations mais aussi leurs pêchés. On avait quitté le réalisateur au coeur de l’Amazonie dans un récit filial déchiré par une folle quête idéaliste.
AD ASTRA dialogue avec ce précédent film tout en tirant de nouvelles pistes, celle de l’émancipation du fils. Toute la tension dramaturgique du film réside dans la réalisation de ce destin. L’enjeu intime pour le personnage interprété par Brad Pitt, se libérer de la figure du père pour affirmer son identité propre. À travers une odyssée contemporaine, James Gray utilise le registre mythologique pour illustrer le vieux concept psychanalytique du symbolique parricide.
Alors que les paysages de forêt tropicale offraient un reflet métaphorique aux aspirations mystiques de ses personnages, l’espace intersidéral devient le décor idéal pour projeter cette nouvelle quête métaphysique. En s’extirpant de New York, James Gray se libérait de ses attaches culturelles afin de transposer ses problématiques dans une intrigue plus universelle. Le choix de la science fiction avec AD ASTRA participe d’un même mouvement. Le réalisateur épure encore davantage son récit et dématérialise le décor pour se retrouver dans l’espace infini. À resserrer de la sorte son cinéma sur l’essentiel, Il y a une volonté, un geste qui ressemblerait presque à une forme d’abstraction.
Et c’est peut-être ce qui conduit au seul bémol du film. À trop vouloir recentrer, égrainer, il finit parfois à assécher son film. Il est évident que James Gray n’a que faire du film de genre, il se désintéresse totalement du côté SF, ce qui le passionne par dessus tout c’est la quête existentielle tournée vers cette relation originelle et fondatrice. Quitte à parfois délaisser l’intrigue principale qui sert uniquement de canevas. Les personnages secondaires ne sont que des faire-valoir et les rebondissements scénaristiques sont souvent vite réglés voire expédiés. AD ASTRA est néanmoins une pure réussite, alternant en permanence des scènes d’action haletantes et des séquence introspectives envoûtantes.
A l’instar de ses prédécesseurs, Interstellar, et plus récemment High Life, l’odyssée spatiale est abordée comme une exploration de l’espace intérieur. Une approche introspective, initiatique et centrée sur l’émotion, qui n’est pas sans rappeler également le Solaris de Tarkovski. Le but du voyage cosmique n’est plus la recherche de vie extra-terrestre, devenu simple prétexte, l’exploration est l’unique quête, l’explorateur l’unique sujet, à la recherche de ce moi intérieur, ou plutôt cet autre-moi, changé par le voyage. Un retour probable au célèbre connais-toi toi-même de Socrate.
Tout au long du film il est d’ailleurs question des émotions, de leur gestion, leur refoulement ou au contraire leur compréhension. Roy McBride est un personnage froid, méticuleux, procédurier et pragmatique, c’est ce qui fait de lui un bon astronaute, à l’image de son père. Cette distance émotionnelle est au début un atout qui le sauve et lui permet de survivre dans l’espace. Mais plus il plonge dans les profondeurs intersidérales, plus il deviendra nécessaire de se reconnecter avec ce qui compose son humanité afin de ne pas sombrer dans la folie de la solitude. Retrouver le chemin des émotions et des blessures intimes pour peut-être mieux rompre les liens qui le rattachent à une figure paternelle surplombante. Se libérer pour guérir et retourner au seul endroit de l’univers où l’existence a un sens.
Hadrien Salducci
• Réalisation : James Gray
• Scénario : James Gray, Ethan Gross
• Acteurs principaux : Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Ruth Negga, Donald Sutherland, Liv Tyler
• Date de sortie : 18 septembre 2019
• Durée : 2h04min