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BENNI, un drame social assourdissant – Critique

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Avec cette nouvelle variation sur le thème de l’enfance, Nora Fingscheidt alterne entre le très bon et le mauvais, mais donne surtout de l’espoir pour l’avenir du cinéma allemand.

Benni, neuf ans, passe d’un foyer d’accueil à l’autre dans l’attente d’une situation stable. Faisant preuve d’important troubles du comportement causés par des traumatismes de la petite enfance, elle a déjà épuisé la quasi totalité des options proposées par les services sociaux. Sa mère, une célibataire terrorisée par sa fille, manque le plupart des visites. Benni se tourne donc vers certains des accompagnants qui la suivent pour trouver l’amour dont elle a besoin. En vain. Crise après crise, Benni, aussi attachante qu’effrayante, enferme tout le monde dans un scénario qui semble sans issu, public inclus.

Réalisé et écrit par Nora Fingscheidt, diplômée de la Filmakademie Baden-Württemberg et de l’école berlinoise auto-gérée filmArche, le film a obtenu le pris Alfred Bauer 2019 qui récompense les perspectives cinématographiques novatrices lors de la Berlinale comme ce fut le cas en 1987 pour Mauvais Sang (Léos Carax), en 1997 pour Roméo + Juliette (Baz Luhrmann) ou encore l’année précédente pour Les Héritières (Marcello Martinessi).

Photo du film BENNI
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Fingscheidt pose bien ses bases et BENNI se révèle un premier film efficace. Le plus important traumatisme de Benni est rapidement introduit et ses premières crises nous plongent très tôt dans un climat anxiogène où le spectateur et les personnages secondaires se retrouvent tous à la merci d’une enfant intenable. Pendant près de deux heures, cette boule de colère pré-adolescente soumet tous ceux qui croisent son chemin à une imprévisibilité responsable de plus d’un haut-le-cœur.

Si les mauvais coups nous assomment et les cris nous transpercent, le film ne s’éloigne pas pour autant des personnages qui le composent. Le scénario assure avec rigueur le développement psychologique de Benni et de ceux qui l’entourent. Quitte à faire preuve de patience, on évite avec finesse les clichés et les négligences qui risqueraient de ramener le monde de l’enfance et des services sociaux au rang de simple faire-valoir. Vers l’heure de film, une porte de sortie semble finalement s’ouvrir pour Benni au travers de Micha, un éducateur initialement chargé de l’escorter à l’école pour éviter qu’elle ne fugue ou qu’elle ne massacre un camarade. Il accepte d’endosser un temps le costume de mentor, en attendant qu’une situation plus stable se présente pour la jeune fille. Benni serait-elle sur le point d’être sauvée ?

Photo du film BENNI
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Le problème, c’est que le film ne répond jamais véritablement à cette question. Le tournant majeur ne prend jamais forme, mais n’échoue pas complètement non plus. La narration tente de nous faire oublier son incapacité à établir des conséquences.

Le phénomène se répète à nouveau mais de manière beaucoup moins pardonnable lorsque Benni, coupable d’un acte particulièrement violent, est retrouvée plusieurs mois après l’évènement sans que le film n’ait pris le temps de digérer une scène quelque peu choquante. L’ellipse est trop facile et l’on se sent trahit par le réalisme initial du scénario. La réalisation et la narration se prennent respectivement au piège, la première étant parvenue à nous tenir en haleine au moment où la seconde décide d’interrompre la dynamique. Fingscheidt écarte sans motif valable la responsabilité de donner une suite aux évènements dès lors qu’un semblant de perspective morale menace d’entrer en jeu. On notera d’ailleurs quelques séquences très maîtrisées, mais c’est trop tard et on lui en veut…

Car la Vie, dont ce film nous a pourtant donné un aperçu jusque là sincère, n’enjambe pas les lendemains. À la rigueur, elle s’arrête. Et là encore, Fingscheidt évite longtemps la question, ne sachant pas vraiment quand ni comment placer un point final. La fin s’allonge sans raison, délaissant la vraisemblance poignante qui avait fait la force de l’ensemble pour des jeux de montage faits de superpositions d’images et des représentations pseudo-symboliques un peu niaises. Pour terminer, on nous propose une séquence irrationnelle probablement censée s’accorder à l’imagination troublée d’un personnage principal pourtant pas aussi bête et dénué de suite dans les idées qu’on chercherait maintenant à nous le faire croire. L’esprit fin ayant construit la psychologie de Benni et son entourage durant quasiment deux heures a totalement disparu. Le pacte est définitivement rompu. La conclusion rate le coche et provoque plutôt l’amertume que la joie.

Photo du film BENNI
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Reste du film la performance dominante d’Helena Zengel qui malgré son jeune âge transcende complètement un casting pourtant pas mauvais du tout et suffit à faire de BENNI un film à voir. Il faudra suivre avec attention cette jeune tête qui pourrait nous réserver à l’avenir de belles surprises. En insufflant une violence plus vraie que nature à tout ce que fait ou dit son personnage, elle réalise et représente tout à la fois l’inimaginable : pas un seul instant on ne se demandera s’il est possible qu’une si jeune enfant soit aussi terrifiante. Comment pourrait-on d’ailleurs, puisque Zengel et Benni sont là, face à nous, bien occupées à nous traumatiser en jouant avec nos nerfs ?

Pris dans son contexte local, BENNI est un film intéressant. Moins sec et plus dramatique que les traditionnels films de la Berliner Schule, il n’arrive pas non plus comme un cheveu sur la soupe et s’inscrit bien dans la continuité du cinéma allemand de ces dernières années en représentant une variation sur la famille déstructurée et un jeune personnages en clair manque d’amour, thèmes déjà récurrent chez des cinéastes comme Christian Petzold ou Fatih Akin.

On perçoit clairement le talent de la réalisatrice, et on aimerait qu’elle revienne nous prouver qu’elle n’est pas juste nihiliste par facilité. Elle préparerait actuellement un projet avec Sandra Bullock. Alors que Maren Ade s’apprête à collaborer au remake US de son film à succès Toni Erdmann, Nora Fingscheidt devrait donc avoir la possibilité de participer elle aussi à l’entrée du cinéma allemand dans ce qui pourrait être une nouvelle ère. C’est en tout cas tout ce qu’on lui souhaite.

Phil Isma GINTZ

notre critique de Toni Erdmann

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Titre original : Systemsprenger
Réalisation : Nora Fingscheidt
Scénario : Nora Fingscheidt
Acteurs principaux : Helena Zengel, Albrecht Schuch, Gabriela Maria Schmeide
Date de sortie : 24 juin 2020
Durée : 1h58min

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