Casting électrisant, mise en scène explosive : avec CHIEN 51, Cédric Jimenez adapte Laurent Gaudé et signe un double coup de force. Explorer encore une fois la confrontation de l’homme et de la machine, tout en livrant un thriller futuriste aux effets spectaculaires. Pari gagné : CHIEN 51 est un film dense, nerveux, affamé.
Dans un futur proche, Paris s’est transformée en ville ultra-sécuritaire. Divisée en trois zones distinctes, la population, triée selon les classes sociales, est identifiée par un bracelet obligatoire et circule d’un secteur à l’autre en franchissant des checkpoints où la police procède à des contrôles faciaux et oculaires. À la tête de ce dispositif : Alma, une intelligence artificielle révolutionnaire, garante de l’ordre et de la justice. Algorithme surpuissant, doublée d’une brigade de drones armés, Alma est devenue le véritable cerveau de la police.
Une nuit, son créateur est assassiné. Salia (Adèle Exarchopoulos) et Zem (Gilles Lellouche), deux flics que tout oppose, sont contraints de faire équipe pour élucider cette affaire qui les mènera aux confins du pouvoir. Sans oublier les actions menées par Breakwalls, un groupuscule dirigé par Jon Mafam (Louis Garrel), bien décidé à lutter contre l’hégémonie de l’I.A..
En adaptant le roman de Laurent Gaudé, Cédric Jimenez relève un double défi : plonger le spectateur dans son thème de prédilection – l’homme broyé par la machine – et donner corps à un thriller futuriste aux effets visuels dignes des plus grands jeux vidéo contemporains (Arcane, Call of Duty…). Pari tenu : CHIEN 51 s’impose d’emblée comme un spectacle total, dense, tendu et furieux. Jimenez y reste fidèle à ce qui fonde sa virtuosité : un cinéma au rythme haletant, une mise en scène léchée, et un récit dont la tension monte jusqu’à l’asphyxie.
Le film s’ouvre sur une limousine noire glissant dans la nuit parisienne. Place des Vosges, le véhicule s’engouffre dans une demeure bourgeoise sous haute protection. Une fenêtre s’entrouvre. Un bracelet est scanné : le ton est donné. Dès les premières secondes, Jimenez nous agrippe et nous plonge tête la première dans un récit sombre et nerveux, porté par un casting d’une redoutable justesse. Adèle Exarchopoulos, coupe au carré et regard d’acier, incarne une lieutenante froide et insaisissable ; Romain Duris campe un Premier Ministre inquiétant ; Louis Garrel, en gourou charismatique, électrise chaque plan ; Artus, la belle surprise du film, en commissaire dépassé ; et Gilles Lellouche, muse de Jimenez (quatrième collaboration après La French, HHhH et Bac Nord), qui porte le film de bout en bout en Zem, flic peroxydé et éraillé par la vie qui impose et brille par son humanité brute et abîmée.
On pourra certes regretter une première demie heure où le film peine à trouver son ton, empilant un peu trop les effets visuels comme pour masquer la fragilité d’un scénario hésitant. Mais une fois l’élan trouvé, Jimenez revient à ce qu’il sait faire de mieux depuis Bac Nord : orchestrer la montée en puissance du son récit, jusqu’au chaos. La caméra s’accélère, le cadre se resserre, les courses poursuites et les décharges de violence s’enchaînent : le sang, la peur, la mort. Les pores de peau se dilatent, la pluie glace, la nuit ne finit jamais. Jimenez ne nous lâche pas. Il nous entraîne plan après plan au cœur d’une machinerie infernale qui broie les hommes, mais dans laquelle il continue, obstinément à traquer les sursauts d’humanité. Il en fait jaillir la matière. Le chaos prend forme et avale les corps, mais l’homme n’est jamais très loin.
Avec CHIEN 51, Jimenez embrasse les codes de l’anticipation et signe une dystopie où la fiction flirte dangereusement avec le réel : un cauchemar en puissance où il dénonce la déshumanisation d’une société gérée par l’I.A., la disparition des libertés et la guerre civile que sous-tend un monde où l’obéissance remplace la pensée, où l’I.A. est un nouveau dieu et la technologie une nouvelle divinité qui juge, condamne, sauve et détruit. Mais comme toujours, Jimenez filme à hauteur d’homme, à hauteurs de leurs histoires silencieuses, de leurs visages et de leurs âmes dont la foi s’est réfugiée dans les derniers gestes humains : partager un repas, chanter, aimer encore un peu. Alors, Jimenez nous offre des sursauts d’humanité comme des percés de lumière qu’il filme comme des miracles dans ce Paris noir qui n’en pleut plus de pleurer, nous rappelant que la beauté ne s’éteint jamais tout à fait.
La musique de Guillaume Roussel accompagne cette dialectique, percussions dures, cordes suspendues, nappes électroniques qui grondent, certaines scènes sont hypnotiques, comme cette scène en boîte de nuit d’une beauté apocalyptique, où tout devient rituel : les corps dansent, se fondent, s’effondrent, ou cette séquence quasi christique où Louis Garrel, crucifié d’un autre temps, semble offrir son visage au jugement divin.
Avec 42 millions d’euros, Jimenez fait du grand cinéma français : ample, fiévreux, politique et intime. Malgré quelques failles d’ouverture, CHIEN 51 s’impose comme une expérience sensorielle, un film qui brûle autant qu’il interroge. Le film est définitivement un excellent polar futuriste où Jimenez fait saigner le métal, où la technologie pleure, mais où l’humain résiste encore.
Sarah BENZAZON




