Photo du film CITY OF DARKNESS
Crédits : Well Go USA Entertainment

CITY OF DARKNESS, la ville sombre à l’âme lumineuse – Critique

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4.5

L’été 2024 passera à la postérité pour avoir été celui de Soi Cheang. Nous avions initialement déposé nos bagages avec Mad Fate dans un Hong-Kong folklorique dominé par des puissances extérieures. Le voyage se poursuit et se conclut à travers le temps, CITY OF DARKNESS nous plongeant dans une région n’étant pas encore restitué à la Chine. L’arrivée à destination était attendue, bien plus que l’excursion, et elle ne nous a aucunement déçu. Cette citadelle de Kowloon dans laquelle nous avons passé deux heures nous laissera des souvenirs impérissables.

Les légendes de « La Perle d’Orient »

Le Hong Kong que présente Soi Cheang dans CITY OF DARKNESS est celui des mythes et des légendes. Les premières minutes n’y manquent pas avec des textes explicatifs racontant le passé de Kowloon et venant décrire les affrontements à l’écran dans une sorte de décor de théâtre. Nous nous croirions presque face à une fresque chinoise à la Creation of the Gods I de Wu Ershan avec ces luttes de pouvoir et ce rapport à la paternité entourant cette citadelle imprenable. Le film reprend la construction de ces récits par le biais d’un héros perdu entreprenant une quête initiatique qui va le mener à découvrir la vérité sur ses origines et à combattre pour ses nouveaux idéaux. Les combats sont d’ailleurs ce qui rend CITY OF DARKNESS si mythique. Des êtres semblant provenir de temps immémoriaux s’affrontent dans des confrontations hors du commun. L’épique des mythes et des légendes est respecté bien que certains mortels peuvent se sentir lésés. Les femmes sont celles à le plus en pâtir, elles qui ne manquent pourtant pas dans les anciens récits. Malgré tout, la réinterprétation moderne des codes d’écrits séculaires est juste car elle sert à Soi Cheang pour rendre hommage à une époque précise de son enfance.

Souvenir de l’âge d’or

Des néons qui brillent, une salle de danse endiablée sur une chanson cantonaise et une bagarre violente orchestrée par des grands pontes des triades… aucun doute, nous sommes bien dans le Hong Kong des années 1980. Soi Cheang honore une région, mais surtout un cinéma d’arts martiaux et d’action qui, à l’instar du personnage de King, était intouchable à cette époque. Le réalisateur a grandi au milieu des armes de John Woo et des machettes de Ringo Lam, et ça se voit. Dans ce groupe de quatre amis nous pouvons notamment y voir du Chang Cheh, et dans ces chorégraphies les « trois frères », un trio composé de Jackie Chan, Yuen Biao et Sammo Hung, ce dernier étant même présent dans le métrage. Soi Cheang va carrément plus loin dans le temps, comme faisant un état des lieux des quarante dernières années du cinéma hongkongais, en citant presque Stephen Chow dans ces affrontements digne d’animé. Le protégé de Johnnie To a assimilé toutes ces images et tous les thèmes qui en découlent pour décorer son CITY OF DARKNESS. En revanche, le métrage n’est pas que la copie d’une maison que nous connaissons déjà. En grattant les murs nous y trouvons des fondations nouvelles, chose à laquelle le réalisateur nous avait habitué dans ses précédentes productions.

Trouver l’extérieur dans son intérieur

D’apparence, le Hong Kong présenté dans CITY OF DARKNESS est identique à la vision que nous avons de cette glorieuse décennie cinématographique : une région sanglante et dominée par le crime. Soi Cheang va renverser la table, mettant fin à cette partie de mah-jong qui devenait de plus en plus familière. Avant, l’intrigue se formait autour de la fraternité, de la trahison et de la vengeance. Le moteur de ces grandes thématiques était au cœur d’un contexte politique qui effrayait leurs protagonistes : la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Dans CITY OF DARKNESS, les thématiques et le moteur sont les mêmes, sauf que le point de vue est différent, ce qui est dû en particulier à un regard postérieur à cet événement. La rétrocession est vécue comme une échappatoire et non comme une catastrophe. Dans School on Fire de Ringo Lam, Hong Kong est vu comme une prison à ciel où l’avion est un symbole à la fois proche et lointain de liberté. Le traitement de Kowloon est identique dans CITY OF DARKNESS sauf que l’avion qui survole la citadelle souligne l’accessibilité de la liberté, la rétrocession étant même une des clés pour l’atteindre plus aisément. C’est tout le propos du métrage car même si nous sommes asphyxiés par ces murs, il fait tout de même bon vivre, le sentiment d’enfermement étant de moins en moins fort au fil des minutes. La caméra est la première à être l’aise avec cet espace restreint. Les combats sont quasiment tous effectués dans des lieux clos, pourtant ils ne manquent jamais de dynamisme et de clarté. Soi Cheang aime profondément cette région, au point de faire quelque chose que les films dont il s’est inspiré ne font que très rarement : il s’intéresse à la population. Il est vrai que les personnages que nous suivons sont extraordinaires, toutefois ils le sont pour protéger ceux qui font vivre la citadelle, ceux dont la rétrocession va changer la vie. Pour les remercier, le générique de fin leur est dédié. Lorsque les dieux disparaissent, ils ne restent plus que les humains.

Poursuivre le cycle pour avancer

Hong Kong a de nombreux visages, notamment dans les mains de Soi Cheang. Le réalisateur poursuit ce qu’il a entrepris dans Mad Fate en mettant le destin au centre de son œuvre, bien qu’ici il traite de son aspect cyclique. CITY OF DARKNESS n’est fait que de symboles et d’événements qui se répètent. Cela peut donner la sensation que les personnages subissent leur destin, toutefois c’est tout l’inverse qui se produit. Chan Lok-kwan, le protagoniste, a toujours vécu entouré de barreau, que ce soit au milieu de la mer, dans les rues de Hong Kong ou dans la citadelle. Il est au centre d’un nombre incalculable de surcadrage, notamment pour marquer son enfermement. La première confrontation avec Cyclone est très représentative de cela, le champ / contrechamp étant cinglant sur sa condition. Le fait est qu’il ne fait pas un avec Kowloon, lui qui vient d’y entrer. Il regarde l’avion d’en bas, il dort au-dessus des immeubles… il n’est pas intégré. Ce n’est qu’avec le temps qu’il va se fondre avec la citadelle, les surcadrages soulignant cette fois-ci son appartenance. Ce qui va changer la donne, comme l’indique Cyclone, ce sont les habitants. En effet, bien que Chan Lok-kwan se retrouve de nouveau au milieu de barreaux, l’intérêt n’est plus celui de s’en défaire, mais de s’y sentir comme chez soi. Ce sera le cas pour le personnage grâce au groupe d’amis qu’il s’est créé. Reprenant le flambeau de Cyclone, ils vont ensemble devenir une lumière dans l’obscurité, un trait blanc dans une mer noire. Néanmoins, ils ne font pas que tourner dans leur cage. Les événements reviennent, mais changent pour le mieux, à l’instar du parcours de Dik Chau qui est identique en tout point à son passé, hormis la fin. Chaque jeune reprend alors le rôle d’un autre et ce pour le mieux. Le métrage se conclut ainsi au même niveau que l’avion que le protagoniste contemplait d’en bas. Le cadre ne s’ouvre toujours pas malgré cette hauteur, cependant la liberté est atteinte.

L’âge d’or du cinéma hongkongais est révolu depuis bien longtemps. Avec CITY OF DARKNESS, Soi Cheang le fait revivre l’espace d’un instant en faisant revenir en prime quelques gloires de ce passé. Ces images procurent une jouissance unique à laquelle le réalisateur ajoute une teinte de mélancolie. Nous ne pouvons cependant pas être tristes face à ce spectacle. Ce Hong Kong était sublime et il continue de l’être grâce à Soi Cheang qui confirme au fil des films être le digne héritier de cette période dorée.

Flavien CARRÉ

Auteur·rice

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