Sur un mode plus consensuel que Ils sont partout, le réalisateur Yvan Attal continue à déconstruire les préjugés avec LE BRIO, son nouveau long-métrage.
LE BRIO, dernier film du réalisateur Yvan Attal est l’occasion de réviser ses classiques et sa philosophie : Rabelais, Nietzche et bien sûr Schopenhauer et les stratagèmes de son Art d’avoir toujours raison. Ces auteurs ont en commun la rhétorique -soit l’art de persuader par le discours- qui peut être mise en valeur par l’éloquence. On sait bien que convaincre est un exercice qui ne nécessite pas forcément de dire la vérité et que celle-ci peut être manipulée. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’éloquence qui intéresse Yvan Attal, rencontré à Bordeaux. Plus qu’un prétexte, c’est surtout la possibilité de montrer que « l’apprentissage du langage est une arme supplémentaire pour ne pas avoir les pieds cloués là où on est né et affronter un tas de choses dans la vie ».
Le réalisateur a été touché par le parcours de l’héroïne, arguant même « cette fille, c’est moi ! » C’est la seconde fois qu’il travaille sur un scénario écrit par d’autres auteurs, dont Victor Saint-Macary. Ce dernier, qu’on a interviewé, devait même à l’origine réaliser le film, mais a préféré se concentrer sur sa prochaine comédie Ami-Ami. Ancien étudiant à Assas et s’inspirant de quelques amis férus de concours d’éloquence, il voulait que LE BRIO soit un « film d‘arts martiaux, mais avec les mots qui remplacent les armes. » Yvan Attal, qui « apprécie de plus en plus de ne pas travailler tout seul sur un scénario et de confronter plusieurs imaginaires », a souhaité remanier la comédie avec les co-scénaristes, épurant l’intrigue pour la rendre plus dramatique.
Neïla / Camélia Jordana (qui vient d’être nommée aux Révélations des Césars 2018 pour LE BRIO et confirme son statut d’actrice depuis Cherchez la femme) vit donc dans une cité de la banlieue parisienne. Méritante, élevée par une mère célibataire qui travaille beaucoup, elle veut devenir avocate. Faire son droit à l’Université Panthéon-Assas est donc son choix. Un pied dans la cité et les copains qui ne font pas d’études. Et l’autre pied dans le monde des possibles.
LE BRIO montre très bien que chaque jour pour Neïla est une source d’écartèlement et de choix difficiles à faire. Un dilemme bien connu de cette troisième génération d’immigrés, attachée aussi bien à sa culture d’origine qu’à la France et à son ascenseur social. LE BRIO interroge ainsi sur la façon de se faire une place sans renier ses racines et de se construire une identité équilibrant ses origines et ses désirs. Car pour Yvan Attal, « le film raconte qu’il n’y a pas de déterminisme, qu’on peut s’en sortir et qu’il faut arrêter de se poser comme victime ».
Le premier jour, à cause d’un retard en cours, Neïla se fait remarquer malgré elle par le grand Professeur de droit Pierre Mazard/Daniel Auteuil (Au nom de ma fille). C’est le début d’une confrontation de milieu social, de couleur de peau, d’éducation, de mode de communication et de génération. Le mot racisme est prononcé. Mais Neïla a du caractère et ne se laisse pas faire. D’autant que le professeur est coutumier du fait: chaque année, il semble avoir besoin d’un bouc émissaire dans son cours, qui lui permet de fanfaronner et de se valoriser au détriment de l’étudiant.
Une jolie leçon de vie et une belle rencontre entre deux êtres que tout oppose.
On a tous connu un professeur ou un coach abusant de son pouvoir d’éducateur. L’humiliation, partie intégrante du harcèlement, est d’ailleurs un sujet souvent évoqué au cinéma (1:54 de Yan England ou plus récemment Maryline de Guillaume Gallienne). Yvan Attal n’a jamais lui-même été blessé par des professeurs de théâtre au point de l’empêcher de continuer. Mais il reconnaît que « certains ne peuvent pas s’empêcher de secouer les gens pour leur faire prendre conscience qu’il ne faut pas rester dans quelque chose de confortable et qu’il faut se faire violence ». C’est ce que va faire Pierre, d’abord pour de mauvaises raisons, à savoir adoucir sa sanction par le Conseil de Discipline pour être allé trop loin dans ses propos.
Forcé de prendre Neïla sous sa coupe, il la prépare activement au concours d’éloquence universitaire. Il l’entraîne, la provoque, la pousse dans ses retranchements. Mais il lui apprend aussi à maîtriser ses émotions, la formant à plus long terme à l’exercice de son futur métier d’avocat. La mise en pratique des exercices par Neïla de la théorie rhétorique est d’ailleurs source de moments très drôles dans le film.
Digne d’une tragédie grecque, le chemin de la jeune femme sera parcouru de nombreuses autres humiliations en public, de déceptions, de mensonges, de doutes, de rédemptions. Il y a évidemment un petit air de déjà-vu avec d’autres films qui confrontent deux héros antagonistes. On pense notamment à L’étudiante et Monsieur Henri de Yvan Calbérac ou à Intouchables de Eric Toledano et Olivier Nakache. Mais, comme souvent, la transformation de la chrysalide en papillon sera réussie. Et elle n’est pas univoque puisqu’elle concerne aussi Pierre. Il va évoluer, ouvrir son regard et son cœur et rencontrer la bienveillance dont son éducation rigide et son prestige universitaire l’ont éloigné.
Car ce qui est réjouissant et confère à LE BRIO un caractère de feel good movie, c’est le respect mutuel et l’admiration réciproque que les deux personnages vont finalement éprouver l’un pour l’autre, à mille lieues de leur détestation du début. Il sera son mentor, elle sera son Jiminy Cricket. LE BRIO offre donc une jolie leçon de vie et grâce à la rhétorique, une belle rencontre entre deux êtres que tout oppose.
Sylvie-Noëlle
• Réalisation : Yvan Attal
• Scénario : Victor Saint-Macary, Yaël Langmann, Noé Debré et Yvan Attal
• Acteurs principaux : Camélia Jordana, Daniel Auteuil
• Date de sortie : 22 novembre 2017
• Durée : 1h35min