Benoit Delépine et Gustave Kervern s’alarment, avec humour, de toute l’aberration technologique qui pourrit nos vies.
Même pas besoin de forcer le trait. Il suffit simplement à Benoît Delépine et Gustave Kervern de nous restituer, sur grand écran, nos plus petites habitudes du quotidien, pour nous faire rire. Avec EFFACER L’HISTORIQUE, Ours d’argent au Festival de Berlin, les deux réalisateurs s’alarment, avec l’humour qu’on leur connaît, de toute l’aberration technologique dans laquelle la population est plongée. Vous savez, ces appels incessants de démarcheurs de vérandas, ces mots de passe toujours plus compliqués à mémoriser, ces « feux rouges » que l’on doit cocher pour qu’on prouve qu’on est pas un robot, ou encore ces « tapez 1 puis tapez 2, puis tapez 3 » avant les 30 minutes d’attente pour parler à un conseiller… qui n’aura pas la réponse à nos soucis.
EFFACER L’HISTORIQUE rit de toutes ces situations qui nous pourrissent la vie H24. De cette pollution incessante sur les esprits, encombrés par les problèmes de banque, d’abonnements, de séries et de confort numérique. Quand Blanche Gardin subit un chantage à la sextape, la fille de Denis Podalydès est harcelée sur les réseaux sociaux tandis que la chauffeuse VTC Corinne Masiero doit vivre au rythme des avis de ses clients postés sur l’appli. Ces trois voisins, partis en guerre contre les géants d’Internet, ne sont pas des gens exceptionnels dont le cinéma raffole, ils représentent nos vies banales, évoluant dans une société de plus en plus régie par le numérique.
On le connait, le cinéma social de Delépine et Kervern. Il frappe encore ici. Sans être un brûlot, encore moins un film réac’ sur la technologie, leur dixième film, léger et aucunement prétentieux, fait le triste constat d’un isolement croissant des populations, de plus en plus figées sur leur téléphone, parce que c’est comme ça, notre société d’aujourd’hui. La forme comique du long-métrage s’efface alors peu à peu face à son fond tragique. En s’affairant sur l’illusion du confort numérique, EFFACER L’HISTORIQUE dépeint la misère qu’il engendre.
A ce titre, la séquence du livreur à vélo (campé par Benoît Poelvoorde !) est d’une drôlerie bouleversante de vérités. Essoufflé par l’angoisse du rendement, il se mine la santé (aussi bien physique que mentale) pour la satisfaction superflue du client, qui ne sort plus de chez lui. Des nouveaux métiers qui nourrissent une solitude du canapé et l’exploitation des hommes. Où est, finalement, le bien-être, dans tout ça ? Quel sens donner à cette absurdité 2.0 ? Les auteurs du Grand Soir, d’I Feel Good et de Saint Amour interrogent. La communication physique en prend un sacré coup, tout comme la notion de groupe. Pour les papas de Groland, le numérique induit la fin précipitée des services publics, du contact chaleureux et vrai… surtout en milieu rural.
Pas étonnant que nos trois anti-héros soient Gilets jaunes ! Au-delà de tout aspect politique dont le film se fout bien, le long-métrage pointe juste lorsqu’il évoque la solidarité retrouvée sur les ronds points. Blanche, Denis ou Corinne incarnent ces nombreux voisins qui ne savaient pas qu’ils l’étaient, ou qui ne se seraient jamais liés d’amitié sans ces rendez-vous hebdomadaires. L’idée du film est cependant venue bien avant le début du mouvement, mais elle s’inscrit parfaitement dans la lignée : il met le doigt, sans le vouloir, sur un mal-être actuel, encore couvé ou inavoué.
Les derniers plans sont étrangement évocateurs. Blanche Gardin communique enfin un « je t’aime » à son fils, par le biais de deux pots liés par un simple bout de ficelle, le fameux téléphone arabe. Ici, les auteurs balancent un message certes un peu plan-plan mais là encore très ancré dans les revendications du temps : il suffit de retrouver des choses simples pour se reconnecter à l’essentiel.
Yohann
• Réalisation : Benoît Delépine, Gustave Kerven
• Scénario : Benoît Delépine, Gustave Kervern
• Acteurs principaux : Denis Podalydès, Corinne Masiero, Blanche Gardin
• Date de sortie : 26 août 2020
• Durée : 1h46min