Shéhérazade Visuel 2 - SHÉHÉRAZADE, une histoire d'amour à la marge - Critique
Crédits : Ad Vitam

SHÉHÉRAZADE, une histoire d’amour à la marge – Critique

Remarqué lors de la Semaine de la critique au dernier festival de Cannes, le premier long-métrage de Jean-Bernard Marlin remporte le Valois de diamant au Festival du Film Francophone d’Angoulême ainsi que le prix Jean Vigo avant d’éblouir la presse pour cette rentrée ciné 2018.

Il est en effet difficile de ne pas se laisser embarquer par la vague d’émotion qui traverse le film. Éblouissant, flamboyant, incandescent… Tous les superlatifs semblent à présent éculés, mais le résultat reste le même. On sort de la séance marqué par cette romance passionnée qui prend vie sur les trottoirs lézardés de la cité Phocéenne. Une réussite que le film doit à une alchimie parfaite entre intrigue minutieusement menée, interprétation remarquable et mise en scène généreuse.

Photo du film SHÉHÉRAZADE
Crédits : Ad Vitam

Zachary (Dylan Robert) est un jeune délinquant fraichement sorti de prison. Rejeté par sa mère, il fuit les foyers et se retrouve à la rue. Le jeune homme rencontre Shéhérazade (Kenza Fortas), une prostituée mineure dont il tombe amoureux et devient le proxénète. Jean-Bernard Marlin construit une histoire d’amour d’une rare intensité, une véritable romance de cinéma, nourrie par la force et le désespoir d’une jeunesse perdue. Car ce qui caractérise les personnages, c’est bien l’abandon dont ils sont initialement victimes. Privés d’amour filial, ces adolescents sont livrés à eux-mêmes, forcés de survivre à la rue qui cabosse les individus. Shéhérazade et Zachary sont deux êtres à la dérive qui se croisent, s’entrechoquent et s’accrochent l’un à l’autre pour se sauver de la noirceur qui les entoure.

Animé d’un désir de réalisme désarçonnant, Jean-Bernard Marlin a fait appel à des comédiens amateurs dont la vie se mêle parfois à celle des héros du film. Un aller-retour vivifiant qui contribue à façonner une galerie de personnages construits avec une réelle épaisseur. Les émotions qui jaillissent ne sont pas feintes, elles sont déchirantes de vérité et témoignent de la sincérité d’un auteur envers son sujet. Un naturalisme du jeu qui peut parfois rappeler le cinéma d’Abdellatif Kechiche dans son utilisation du langage, de l’argot et de la gouaille, mais qui s’en éloigne dans ses finalités. Car si la recherche du réalisme sert ici de base à l’émergence d’une émotion véritable, un basculement progressif vers le cinéma de genre survient pour rajouter de la profondeur à cette émotion. Et c’est alors avec le cinéma de Jacques Audiard que l’on peut imaginer une hérédité possible. D’abord pris au piège de leur carcan social, Shéhérazade et Zac sont sauvés par le romanesque de leur histoire qui les sublime pour faire d’eux de vrais héros de cinéma. Ce mécanisme à l’œuvre est remarquablement illustré par l’utilisation de la musique, L’été de Vivaldi, qui contribue à la dimension dramatique du film.

Photo du film SHÉHÉRAZADE
Crédits : Ad Vitam

Pour continuer cette généalogie cinéphilique il faudrait se tourner du côté des États-Unis vers le Martin Scorsese des années 70 (Mean streets ou encore Taxi Driver) avec cette même fascination pour ces populations marginales qui peuplent les boulevards malfamés de la ville. Une atmosphère hypnotique baignée de couleurs saturées des enseignes lumineuses et des lampadaires blafards. On peut également faire un parallèle avec Mad Love in New York des frères Safdie, une histoire d’amour tumultueuse de deux marginaux ballotés entre passion, drogue et mendicité. On y retrouvera cet attrait pour le documentaire et le choix de comédiens amateurs qui partagent les expériences de leurs héros fictifs. Il y a cette même énergie formelle qui charrie une forte intensité émotionnelle, sans oublier l’enracinement dans une ville-décor iconique.

Mais SHEHERAZADE sait parfaitement s’élever au-dessus de ses références afin de proposer une expérience singulière et originale. Dans un paysage cinématographique français qui a trop souvent tendance à traiter ce genre de sujet sous un angle complaisant et misérabiliste. Jean-Bernard Marlin ne regarde pas ses personnages de haut, ils les canonise pour mieux les mettre dans la lumière qui leur manque. Le réalisateur s’inscrit dans une tradition littéraire et cinématographique qui s’efforce de transformer le réel en œuvre romanesque. Faire de l’histoire tragique de cette jeunesse sacrifiée autre chose qu’une brève sinistre dans un journal télévisé.

Hadrien Salducci

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AFFICHE HD JPG SHEHERAZADE WEB - SHÉHÉRAZADE, une histoire d'amour à la marge - Critique
Titre original : Shéhérazade
Réalisation : Jean-Bernard Marlin
Scénario : Jean-Bernard Marlin, Catherine Paillé
Acteurs principaux : Dylan Robert, Kenza Fortas, Idir Azougli, Lisa Amedjout, Kader Benchoudar, Nabila Ait Amer, Sofia Bent, Nabila Bounab
Date de sortie : 05 septembre 2018
Durée : 1h52min
3.5
intense

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