FRANKENSTEIN
© Metropolitan FilmExport / Twentieth Century Fox France

FRANKENSTEIN / DOCTEUR FRANKENSTEIN – Critique

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Coïncidence dans le calendrier des sorties VOD, ce mois-ci, les spectateurs peuvent s’amuser à comparer deux adaptations du mythe de Frankenstein.

Si depuis la parution du roman en 1818, l’inconscient collectif situe la Prométhée Moderne dans l’Angleterre victorienne, en réalité, elle fut imaginée par Mary Shelley à l’époque romantique, précédent la révolution industrielle. En se rappelant les origines de cette œuvre extraordinaire, on prend non seulement conscience de son caractère précurseur dans le domaine de la science-fiction, mais également du relief métaphysique questionnant à la fois les idéaux libertaires et les carcans puritains qui s’affrontaient à l’époque de l’auteure adolescente.

Quand Frankenstein a investi le média cinéma au vingtième siècle, l’aspect monstrueux de la créature a davantage marqué l’esprit des spectateurs que le destin du créateur, et le récit appartient aujourd’hui au folklore de l’épouvante gothique, représenté aussi bien par la Hammer Films que par le Frankenweenie de Tim Burton. Mais après tant d’exploitations du roman, tant d’adaptations et de rééditions, le public est en droit de se demander si de nouvelles versions peuvent être à la fois novatrices et pertinentes. Cela explique sans doute pourquoi les spectateurs ont boudé Docteur Frankenstein de Paul McGuigan à sa sortie en salles en novembre dernier, et pourquoi Frankenstein de Bernard Rose n’a même pas connu d’exploitation sur grand écran.  Pourtant ces deux approches du mythe possèdent suffisamment de points de divergence pour ne pas passer pour des doublons, à commencer par leurs budgets différents qui déterminent autant leurs factures visuelles respectives, que l’ambition de leurs scénarios.

Photo du film FRANKENSTEIN
© Metropolitan FilmExport

Là où Bernard Rose dispose d’un budget modeste, le contraignant à une réalisation brute de décoffrage et une transposition dans le monde actuel, son compatriote britannique Paul McGuigan bénéficie d’un confort de production lui permettant de déployer un dispositif technique et narratif imposant, et de porter à l’écran sa vision fastueuse de l’Angleterre du dix-neuvième siècle. Mais il ne s’agit pas là de la différence fondamentale entre les deux films, puisqu’ils ne constituent pas deux variations sur le même thème, l’une contemporaine, l’autre victorienne, l’une fauchée, l’autre opulente; ils possèdent chacun leur sujet : l’un se consacre à la créature, l’autre au créateur. Cette différence d’intention est à ce point visible, que Docteur Frankenstein apparaît comme une « origin story », genèse de l’histoire mainte fois contée, quand Frankenstein expédie au contraire l’expérience et ses détails en un quart-d’heure pour mieux en développer les conséquences.

Les films possèdent chacun leur sujet : l’un se consacre à la créature, l’autre au créateur.

Bernard Rose choisit ainsi de filmer au plus près son personnage principal interprété par Xavier Samuel, jeune éphèbe défiguré et sali, pour mieux épouser son point de vue et nous faire ressentir la violence avec laquelle le monde l’accueille. Et ce monde revêt ici l’aspect hostile de la Californie contemporaine, où l’horreur du climat urbain apparaît au grand jour sous un soleil accablant. Une contre-proposition aux ténèbres gothiques intéressante puisqu’elle permet au réalisateur de Candyman, de donner à nouveau dans le fantastique à caractère social, notamment en approfondissant le rôle de l’homme aveugle et l’importance de l’amitié dans le récit. Hélas, la naïveté du film, à l’image de celle de la créature, prive l’ensemble de l’épaisseur et des sous-textes essentiels à une adaptation du livre de Mary Shelley. Alignant les agressions de la société contre un être dont elle ne comprend ni la laideur, ni la beauté, sans s’attarder sur ses origines scientifiques, le cinéaste oublie les questions que soulève le roman. Ici, la créature pourrait être Pinocchio, E.T, Chappie ou un enfant abandonné, cela ne changerait pas vraiment l’esprit du film. Il s’agit surtout d’un film sur la rupture du lien maternel (et non paternel : originalité ou contre-sens ?)

Photo du film DOCTEUR FRANKENSTEIN
© 20th Century Fox France

Lors de la première heure de Docteur Frankenstein, Paul McGuigan semble tenir compte des questions évacués par Bernard Rose. Il faut cependant passer outre la première impression d’une entrée en matière tape-à-l’œil, car le cinéaste applique à son travail de dépoussiérage d’un mythe, le même traitement survolté que celui de Guy Ritchie pour Sherlock Holmes, à grand renfort d’effets visuels et d’effets de montage. Mais curieusement, ce traitement s’estompe peu à peu de la mise en scène, la narration devient plus convenue et l’on réussit ainsi à comprendre pourquoi le point de vue choisi est celui de l’assistant du docteur, Igor, interprété par un Daniel Radcliffe, plein de bonnes volontés mais pas encore aguerri. L’idée de donner plus de place à ce personnage, habituellement secondaire, serait vraiment judicieuse si les dialogues ne soulignaient pas avec aussi peu de subtilité ce que le public peut aisément comprendre par la dramaturgie, à savoir qu’Igor, est aussi d’une certaine façon, une création de Victor Frankenstein. Mais le concept d’origin-story s’essouffle dans la deuxième heure du film, car l’apparition du monstre est, par définition, constamment retardée; et sans monstre, peut-on vraiment parler de mythe de Frankenstein ?

Voila donc, la question qui me taraude après avoir vu et comparé ces deux films : Pourquoi faut-il voir deux films pour comprendre ce que veut le créateur et ce que vit la créature ? La richesse du message de l »œuvre originale vient justement de la confrontation entre les deux personnages, d’une relation tout aussi interdépendante que celle du sage et du candide dans un récit initiatique, de l’homme civilisé et du sauvage dans un conte philosophique, du père et du fils dans notre quotidien. Sans créateur, pas de questionnement existentiels de la créature, et sans créature, pas de prise de conscience de la mortalité et de la vanité du créateur. Aussi si vous souhaitez voir une adaptation de Frankenstein, je vous recommande plutôt le film de James Whale et sa suite, qui de plus possèdent le charme des vieux films noir et blanc.  Et si vous préférez voir ce qui a été fait d’intéressant autour du mythe récemment, alors je vous conseille la série Penny Dreadful, ou du moins sa première saison, qui tout en s’éloignant du récit de Mary Shelley, en comprend parfaitement les enjeux et l’atmosphère.

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