Si Bradley Cooper apporte à son premier film derrière la caméra une touche de modernité intéressante, c’est avant tout la performance bluffante de naturel de Lady Gaga qui sauve ce scénario prévisible et sans surprises pour le spectateur.
Pour son premier passage derrière la caméra, Bradley Cooper a choisi de s’attaquer à un mythe du cinéma américain : A STAR IS BORN. Réalisée pour la première fois en 1937 par William A. Wellman, cette histoire a déjà été ré-adaptée deux fois avant la version de l’acteur de Very Bad Trip, la dernière étant en 1976 avec Barbra Streisand et Kris Kristofferson. Mais pourquoi réaliser un troisième remake de ce film ? « Une chanson, c’est toujours les douze même accords, en boucle », Bradley Cooper fait-il dire à son personnage Jackson Maine dans le film. Ainsi, le scénario d’A STAR IS BORN est celui d’une fiction universelle qui peut être raconter à toutes les époques : l’histoire d’une star qui naît alors qu’une autre se meurt.Dès le début de cette nouvelle version, on est directement plongé dans le cœur du sujet. Le film s’ouvre sur un imposant concert et dès les ovations terminées, le rockeur (Bradley Cooper) se réfugie dans sa voiture avec pour seule compagnie une bouteille de whisky et de la drogue. Alcoolique, Jackson Maine est très clairement au bout du rouleau. C’est sa rencontre avec Ally (Lady Gaga), une jeune interprète, dans un cabaret qui va le transformer mais surtout la transformer elle. Bénie d’une voix incroyable et encouragée par le chanteur, elle va devenir une star reconnue à travers le monde. Mais l’ascension de la jeune femme va entraîner la chute de son mentor. Ainsi, le scénario d’A STAR IS BORN reprend les codes classiques des rise and fall movie au risque de devenir prévisible et de ne surprendre aucun spectateur.
Cependant, le magnétisme et la performance bluffante de Lady Gaga sauvent ce film de l’accident. Depuis son premier album Fame en 2008, personne n’a connu autant de transformations physiques et musicales que la chanteuse. Et pourtant, cette dernière semble se révéler au naturel dans ce premier rôle au cinéma. Elle est un diamant brut, de même que son personnage Ally dont la voix transcende l’écran dès qu’elle prend le micro. La sensibilité irrésistible et touchante dégagée par Lady Gaga rend l’alchimie avec son partenaire d’autant plus émouvante qu’elle est présente dès leur rencontre dans le cabaret. À l’instar de tous les autres couples maudits, leur premier échange de regard est électrisant. C’est le coup de foudre. Et grâce à Jackson Maine, « la chenille [va se changer] en papillon » mais ne risque-t-elle pas de se brûler les ailes en voulant se rapprocher trop près des projecteurs ?
Si A STAR IS BORN reprend les codes classiques du rise and fall movie et ne surprend que par la performance prometteuse de Lady Gaga, l’actualisation de l’histoire au XXIe siècle initie des réflexions pertinentes. En effet, toutes les adaptations ne sont pas les mêmes et les différences avec le précédent remake sont intéressantes. Premièrement, dans cette version l’alcoolisme est abordée comme une maladie et non pas comme un excès ou un caprice de star comme c’était le cas pour Kris Kristofferson (A Star is born, 1976). L’histoire évoque régulièrement l’enfance difficile de Jackson Maine et l’influence néfaste de son père qui le conduiront à l’alcool dès son plus jeune âge. Aussi, cette addiction n’est pas facilitée par la présence de Jackson Maine (Bradley Cooper) dans un star system évoluant trop vite pour lui comme le suggère déjà « Shallow », la chanson thème du film: « Tell me something girl / Are you happy in this modern world ? » (Dis moi quelque chose / Es-tu heureuse dans ce monde moderne ?). Si Ally (Lady Gaga) rejetait le star system, se battait pour éviter des photos et fuyait les projecteurs, elle va pourtant devenir l’incarnation de ce nouveau monde dont Jackson Maine ne fait plus partie.
Enfin, l’évolution néfaste de la relation entre Barbra Streisand et Kris Kristofferson dans la version de 1976 a souvent été vue comme les conséquences d’un chanteur jaloux du succès de sa femme et ne le supporte pas. Cependant, ici, une lecture plus féministe peut apparaître. Ce n’est pas la jalousie maladie du chanteur égocentrique qui détruit leur relation mais la peur d’un homme amoureux de perdre sa femme aux mains manipulatrices du star system. Jackson Maine était déjà condamné par ses problèmes d’acouphène et sa carrière était déjà sur le déclin, ce qu’il n’arrive donc pas à supporter c’est la métamorphose d’Ally en vedette glamour et fascinante, échangeant ses chansons délicates et son physique naturel pour des hits pop aux paroles plus que douteuses, des cheveux colorés et des chorégraphies dignes de Beyoncé. Ally représentait une vision du monde auquel le chanteur s’accrochait et en se transformant pour se plier aux demandes du star system, le monde qu’elle incarnait disparaît avec elle.
Sarah Cerange
• Réalisation : Bradley Cooper
• Scénario : Bradley Cooper
• Acteurs principaux : Bradley Cooper, Lady Gaga
• Date de sortie : 3 octobre 2018
• Durée : 2h07min