midsommar
© 2019 Metropolitan Filmexport

MIDSOMMAR, l’enfer chez les païens – Critique

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Pour beaucoup de cinéphiles l’année 2018 a été marquée par la sortie d’Hérédité. Véritable succès critique, ce premier long métrage avait dès lors propulsé Ari Aster au rang des réalisateurs à suivre de très près. Un an plus tard, le prodige New-Yorkais débarque avec MIDSOMMAR, bien déterminé à assumer ce costume visiblement taillé pour lui.

Hérédité faisait déjà preuve d’une incroyable maîtrise formelle dans une revigorante réactualisation du genre. Conscient de ce qu’il est parvenu à accomplir dès son premier film, Ari Aster impressionne par son imperturbable ambition à prolonger son travail cinématographique. C’est ainsi qu’il prend le pari du contrepoint esthétique, développer l’horreur en pleine lumière, sous le soleil éternel d’un été Suédois. Un groupe d’amis, étudiants anthropologues, partent assister au festival néo-païen d’une communauté isolée à l’occasion du solstice d’été.

La petite troupe est accueillie au sein d’un village champêtre construit sur une prairie idyllique. Les villageois sont vêtus de longues toges blanches et vaquent à leurs occupations animés d’une sérénité rapidement anxiogène. À l’image, le réalisateur fait une nouvelle fois preuve d’une grande minutie pour construire cet univers de conte horrifique, un enfer paradisiaque aussi coloré que terrifiant. La direction artistique est éblouissante, les multiples détails, runes, peintures et autres sculptures apportent de l’épaisseur à l’univers. Cette collaboration avec le chef décorateur Henrik Svensson permet de donner une véritable existence à cette communauté païenne.

Photo du film MIDSOMMAR
© 2019 Metropolitan Filmexport

Bien avant d’opérer cette rupture radicale, la première partie du film s’inscrit dans l’exacte continuité d’Hérédité, qu’elle soit formelle, mais surtout thématique. On y retrouve d’abord la question de la famille. Dans l’élaboration de son portrait, Dani (Florence Pugh) est engluée dans une malédiction familiale de laquelle elle devra se sauver. Mais si le jeune metteur en scène convoque dès l’introduction ce même motif c’est pour mieux le détruire et s’en échapper. Sa volonté est d’agrandir le cercle, dépasser la cellule familiale primitive pour explorer de nouveaux liens dans cette problématique des relations toxiques. MIDSOMMAR est avant tout un film de rupture amoureuse, il se construit autour du délitement du couple en perdition que forment Dani et Christian.

Très vite le film pose la question de l’individu face au collectif, il met également en perspective la famille originelle contre celle que l’on se crée. Au cours de leur voyage, les relations entre les personnages se dégradent progressivement, jusqu’à l’éclatement définitif du groupe. Ari Aster fait ressortir l’individualisme et les aspirations égocentriques des uns face à l’homogénéité de la communauté païenne. Pour les Hårga rien n’est plus important que la communauté, à travers une scène rituelle magistrale, les individualités se fondent en une seule et même entité sociale. Les aspirations singulières n’existent pas, rien ne prévaut sur l’intérêt général et la pérennité du collectif.

Photo du film MIDSOMMAR
© 2019 Metropolitan Filmexport

Par ailleurs, la composante qui semble se dégager clairement du cinéma de Ari Aster c’est son obsession pour le rituel. Il n’en est pas seulement le motif central, ses films sont construits comme de gigantesques rites initiatiques imposés aux personnages principaux. Selon Michael Houseman, directeur d’études à l’EPHE et spécialiste des pratiques rituelles, l’efficacité du rituel réside dans la réalisation d’actions précises dans le but de créer des émotions pour celui qui le pratique. Ce qui compte c’est la répétition de gestes prescrits, impliquant une certaine forme de fixité, de rigidité dans l’exécution d’actions rituelles que l’on transmet de génération en génération. La notion d’héritage est alors fondamentale, qu’il soit culturel, social voire génétique.

Dans Hérédité le rituel servait à perpétuer la malédiction familiale, réaliser une prophétie annoncée et déterminée depuis les origines. Cette notion de reproduction sociale à travers la transmission de traditions, rites et coutumes est cette fois-ci transposée à l’échelle d’une secte séculaire. Pour les Hårga, l’importance du rituel est de l’ordre civilisationnel, sa pratique dépasse les aspirations individuelles pour s’inscrire dans une continuité spirituelle. En outre, le film répond à une logique divine, de la même manière que pour Hérédité, le déroulement de l’intrigue est manipulé par un démiurge discernable à travers la mise en scène. A l’image d’une divinité scandinave, évidemment, et donc ambivalente, amorale et versatile, à la fois généreuse mais capricieuse, perverse mais juste, implacable mais non moins miséricordieuse.

Nous venons de le voir, le rituel fait éprouver le concept de communauté, de groupe culturel ou cultuel. Cette rigidité et cette reproduction des gestes rituels c’est aussi une manière de faire appartenir à, mais c’est donc aussi exclure. Dès lors la secte sélectionne certains individus pour mieux en exclure d’autres et il sera fascinant d’en observer les rouages. Pour Dani, l’initiation au culte la libère de l’emprise néfaste de Christian, elle s’émancipe de son ancienne vie pour en embrasser une nouvelle.

Photo du film MIDSOMMAR
Christian et Dani (Jack Reynor et Florence Pugh) © 2019 Metropolitan Filmexport

Lorsque le groupe d’amis arrive en Suède, la caméra opère une suite de mouvements de basculement, l’horizon se renverse, c’est l’entrée dans un nouvel espace. On passe notamment d’un univers majoritairement masculin, compétitif et volontiers lubrique pour arriver dans une communauté matriarcale. Le réalisateur interroge subtilement l’aboutissement de ce retournement des rapports de domination. Dès le début des festivités, chaque rituel est précédé d’une prise de psychotrope, la perception de la réalité est ainsi altérée pour faciliter l’accès au nouveau monde. Les Anthropologues arrivent avec leur vision, la perte de contrôle se présente alors comme nécessaire au bon déroulement du rituel. Cette perte des repères favorise les glissements de terrain, on sort désormais du cadre scientifique pour entrer dans le territoire de l’horreur.

C’est sa capacité à créer des images profondément marquantes et terrifiantes qui a valu au jeune réalisateur son immédiate renommée. Une science innée pour les visions horrifiques, provoquant des incursions durables dans notre imaginaire. Ce qui faisait cruellement défaut au genre horrifique étouffé par les recours incessants aux stériles jump scare. L’Américain confirme ici son talent de metteur en scène en créant une ambiance anxiogène qu’il parvient à distiller tout au long du film.

L’horreur surgit par touche et vient progressivement révéler la véritable nature de cet univers a priori féerique. On retrouve cette même maîtrise de la durée des plans, le montage parfois incisif ou encore la frontalité des cadrages. Toujours cette utilisation virtuose du hors champ et de la tension qu’il installe dans les arrières plans. Chez Ari Aster l’image est pensée comme une révélation, la mise en scène engendre des catharsis nécessaires. L’horreur comme merveilleuse épiphanie.

MIDSOMMAR vient donner raison à nos pressentiments d’il y a un an. Ari Aster s’impose avec assurance dans le paysage cinématographique mondial. À l’instar de Jordan Peele, les deux compatriotes s’emparent du genre horrifique pour déployer leurs obsessions d’auteur. Vous voilà prévenus, à présent, que les festivités commencent !

Hadrien Salducci

Note des lecteurs2 Notes
Titre original : Midsommar
Réalisation : Ari Aster
Scénario : Ari Aster
Acteurs principaux : Florence Pugh, Jack Reynor, Will Poulter, William Jackson Harper, Vilhelm Blomgren, Archie Madekwe, Ellora Torchia
Date de sortie : 31 juillet 2019
Durée : 2h20min
4
Excellent

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