À Paris, du 27 au 30 juin 2019, se tenait la sixième édition du Festival du Film de Fesses. Cette année, le festival de cinéma(s) érotique(s) invitait le genre du fantastique à proposer de nouvelles formes de sensualité et des terrains de jeu propices aux délires sensoriels.
SPERMULA
Un festival comme le FFF est l’occasion de découvrir sur grand écran des films restés rares voire introuvables jusqu’alors. C’est le cas de Spermula programmé en ouverture du festival, qui quarante-trois ans après sa sortie, apparaît comme un véritable objet filmique non identifié. Son titre annonçait une sorte de série B héritière de la science-fiction des années cinquante, augmentée d’une dimension sexy pour correspondre aux critères du cinéma d’exploitation érotique des années soixante-dix; et pourtant après visionnage, ça n’est chose aisée que de vouloir ranger le film de Charles Matton dans une catégorie identifiable et prédéfinie. Alors certes, l’étrangeté de ce récit d’invasion provient de prime abord de son montage improbable, où une succession de scènes décousues essaie de nous présenter tant bien que mal la multitude de personnages. Ajoutons à ça, les voix off qui alourdissent la narration avec des considérations mystico-philosophiques sur la liberté que nous ôte le sentiment amoureux. Cependant, si on fait fi de ces défauts, on profite d’un spectacle aux contours et aux reflets soyeux, où s’entrecroisent divers courants esthétiques, allant des peintures de Bosch jusqu’à l’art déco. Tantôt le film pense et parle en conséquence, tantôt il divague en rêvant; disons qu’on préfère quand il rêve.
L’ÉTRANGE COULEUR DES LARMES DE TON CORPS
Il faut reconnaître que selon l’état d’esprit ou d’éveil avec lequel on pénètre dans L’Etrange Couleur des larmes de ton corps, on risque de se perdre dans cet impressionnant labyrinthe sensoriel. Quasiment chaque plan est une expérimentation, distordant la narration au gré du puits vertigineux qui se creuse dans la psyché de son protagoniste. En parcourant ce somptueux immeuble art nouveau, on découvre également des passages secrets d’une mémoire enfouie, reliant de manière tantôt abrupte, tantôt insidieuse, la sensualité au ressenti venimeux d’un crime. A la façon de Peter Strickland (The Duke of Burgundy, In Fabric), Hélène Cattet et Bruno Forzani recompose un ensemble de motifs et d’impressions qui ont accompagné leur parcours de cinéphile, davantage dans le but de délivrer la quintessence d’un exercice esthétique, d’en travailler la forme la plus radicale et la plus intense, plutôt que de servir un type de récit « vintage », pour l’estampiller d’un label « giallo », « post-giallo » ou « néo-giallo ». Comme si le couple de cinéaste cherchait à superposer à notre mémoire de spectateur, la mémoire d’un vécu partagé et cristallisé le temps de leur film, grâce à des traumatismes paradoxalement obscurs et éblouissants.
SOCIETY
Brian Yuzna, heureux producteur de Re-Animator, passe derrière la caméra pour délivrer un portrait au vitriol des nantis californiens accros au carotène et à la laque à cheveux. Il faut avouer que dans les premières minutes, on plisse douloureusement les yeux en éprouvant les cadrages tristounets et l’acting digne d’un soap opera. On supporte dès lors la qualité discutable du spectacle, en percevant son ironie sournoise, et en comprenant que le vernis va progressivement se craqueler et faire basculer le récit vers l’angoisse, puis l’horreur. Progressivement, puisqu’une majeure partie de l’intrigue s’inscrit davantage dans le genre du thriller, et n’exacerbe la paranoïa du protagoniste et du spectateur que par touches d’étrangeté disséminées çà et là, reposant sur d’habiles effets de dissonances, dans la position d’un corps, la contorsion d’un membre qui pourrait simplement passer pour une hallucination furtive. Ainsi, le tournant vers le genre du body horror est longtemps retardé ; il nous est annoncé une orgie, une histoire d’inceste et on appréhende le pire à mesure que la tension monte. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le final, festival de practical effects signé par le maquilleur Screaming Mad George, confine à ce que l’on aura vu de plus dégoûtant et de plus malsain au cinéma.
Dr. CALIGARI
A la fin des années quatre-vingts, Stephen Sayadian était l’un des créatifs les plus en vue aux Etats-Unis. Directeur artistique aussi bien pour les productions de Larry Flint, que les habillages de MTV, l’artiste cherche un espace où il pourra donner libre court à ses talents pluridisciplinaires, et obtient un micro-budget pour un tournage intégralement en studio. C’est justement en tenant compte de son modèle de production et surtout de son utilisation des décors, que l’on comprend pourquoi Sayadian a choisi d’intituler son film Dr. Caligari. Il s’agit moins d’une garanti de fidélité au récit du classique de Robert Wiene, que d’un hommage aux expérimentations esthétiques du cinéma expressionniste. Avec leur gestuelle ultra-maniériste et leur total look qui nous rappellent que les années quatre-vingts sont la décennie de l’avènement du vidéo clip, les personnages déambulent dans des décors surréalistes qui donnent l’impression d’un rêve éveillé ou d’un cauchemar grotesque. On retiendra plus particulièrement la scène hallucinante où une porte se déforme pour aguicher une patiente nymphomane avec son énorme bouche, et d’autres attributs anatomiques tout aussi délirants.
THE LOVE WITCH
Judicieuse idée de la part des organisatrices, que d’avoir clôturé le festival sur le délicieux The Love Witch d’Anna Biller. On quitte la salle de cinéma sur une dernière note charmante, à savoir un pastiche des archétypes glamour et désuets d’un cinéma Hollywoodien en technicolor, ré-agencés pour composer l’univers mental d’une sorcière aussi meurtrière que naïve. Un dispositif qui encourage grandement le fétichisme, en occupant sans cesse le cadre avec des accessoires d’un kitsch éhonté. Ainsi notre magicienne incarnée par une Samantha Robinson graphique au point de paraître dessinée sur la pellicule, vient minauder dans un salon de thé intemporel et surchargé de couleurs pastel, entre deux strip-teases laissant apparaître sa lingerie noire assortie à sa chevelure digne de Barbara Steele ou de Morticia Addams. Mais malgré son plaisir évident à chapeauter cette direction artistique, la réalisatrice n’en oublie pas pour autant de montrer que ce décorum est un carcan phallocratique dont notre sorcière d’amour se retrouve prisonnière, à force de vouloir cocher les cases de la séduction sur une grille de lecture archaïque et oppressante.
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