Le revenge movie halluciné MANDY sort cette semaine en VOD. Une œuvre hors-norme qui aurait mérité d’être distribuée en salles, d’autant plus qu’elle signe le retour en grâce de Nicolas Cage après une décennie de rôles embarrassants. Faut-il y voir là une chance pour l’acteur américain d’être enfin reconnu comme une figure majeure de la pop culture ? De « l’acid » pop culture ?
Quand Panos Cosmatos a contacté Nicolas Cage pour Mandy, il l’envisageait alors dans le rôle de Jeremiah Sand, le gourou de la secte responsable de la mort de la femme du protagoniste. Sans doute, Cosmatos percevait dans l’acteur, dont le jeu est réputé hystérique, la folie adéquate pour camper ce prédicateur manipulateur.
Finalement, Cage empoignera la tronçonneuse XL de Red, le protagoniste, et ravivera le bleu de ses yeux d’un regard plus hanté que jamais, dans un univers apocalyptico-psychédélique où on le sent totalement dans son élément. Comme si ce monde halluciné et hallucinant était un espace mental que partageaient déjà bon nombre des personnages emblématiques de la carrière de Cage, et que nous avions enfin l’occasion de plonger dans leur psyché malade.
Nicolas Coppola a choisi son pseudonyme en référence à Luke Cage, un super-héros Marvel qui a marqué son adolescence. Cet hommage patronymique peut être dès lors considéré comme une revendication du comédien à s’éloigner de la connotation Nouvel Hollywood et cinéma d’auteur du nom Coppola, pour s’inscrire plus largement dans la pop culture américaine.
Car oui, Nicolas Cage est un pur produit de la pop culture, collectionnant les comics, idolâtrant Elvis Presley au point d’épouser sa fille Lisa Marie en 2002, et s’inspirant de Woody Woodpecker pour se composer un look et une attitude dans Arizona Junior (Joel Coen, 1987). Qu’il vole des voitures de luxe dans 60 secondes Chrono (Dominic Sena, 2000) (dont une Mustang Shelby, considérée comme un totem de virilité depuis Bullit) ou qu’il enfourche la moto d’un super-héros au crâne enflammé dans Ghost Rider (Mark Steven Johnson, 2007), Cage a l’air d’un enfant qui vit ses fantasmes sur grand écran.
Il reconnaîtra d’ailleurs que le personnage de Cameron Poe qu’il interprète avec un marcel et une désinvolture adéquates dans Les Ailes de l’enfer (Simon West, 1997), est l’incarnation de son idéal de coolitude. Une sorte d’uber-lui-même à laquelle il rêvait de correspondre un jour, quand il n’était encore qu’un adolescent gringalet.
Après trente-cinq ans de carrière, Cage a finalement réussi à devenir une figure de la pop culture. La preuve en est dans l’épisode Safe House de la saison 5 de Brooklyn Nine Nine, où Jake Peralta tente de transmettre sa passion pour l’acteur à Kevin, qui semble quelque peu récalcitrant. Il suffit que Peralta prononce le nom de Cage pour que notre esprit parcourt sa filmographie de manière superficielle, et en dégage une impression globale de grotesque.
Certes, Brooklyn Nine Nine s’amuse à rappeler les pitchs improbables de Rock (Michael Bay, 1996), Volte-face (John Woo, 1997) ou de Ghost Rider, comme si Nicolas Cage personnifiait ce que le blockbuster hollywoodien peut avoir de plus dégénéré. Mais l’épisode se conclut néanmoins par l’évocation de Leaving Las Vegas (Mike Figgis, 1995) qui valut l’oscar au comédien, et la réplique final de Peralta réaffirmant avec plus d’enthousiasme que jamais que « ce mec peut tout jouer ».
Car c’est bien là tout le baroque du cas Nicolas Cage, une carrière aux variations spectaculaires, où l’oscarisé qui a fait ses armes chez Tonton Francis, Les Frères Coen et David Lynch, se retrouve propulsé héros de films d’actions au milieu des années quatre-vingts dix, endossant ainsi des rôles qu’aurait pu tenir Jean-Claude Van Damme ou Wesley Snipes. Il faut reconnaître que dans Rock, Cage réussit à trouver sa place entre les charismatiques Ed Harris et Sean Connery, en jouant davantage de sa tchatche que de ses muscles.
Cependant, dans Rock comme dans les autres blockbusters dans lesquels il apparaîtra au cours des deux décennies suivantes, on ressentira toujours une gêne lorsque notre héros se retrouvera en charmante compagnie. Cage s’inscrit dans une catégorie de séducteurs pas vraiment identifiable, et difficilement raccordable à celle des stars de sa génération : Johnny Depp, Brad Pitt et autres Tom Cruise. Sans doute parce qu’il ne présente pas une beauté classique, et plus certainement parce que son débit de parole accidenté et ses regards fiévreux lui donnent l’air d’un psychopathe.
Oui, quelque chose dissone franchement chez Nicolas Cage, et dès lors ce ne fut guère étonnant de voir la star devenir un symbole du grotesque à la fin des années deux mille, lors de l’avènement des réseaux sociaux, où l’on moque ses choix capillaires les plus audacieux, ainsi que ses répliques les plus impétueuses, dont la célèbre » Not the bees ! » (pas les abeilles) extraite de la scène de torture de The Wicker Man (Neil Labute, 2006).
Cette réputation coïncide avec une période nouvelle dans la carrière de l’acteur, qui est de moins en moins appelé par les cinéastes intéressants et peine de plus en plus à convaincre dans les blockbusters. Il est progressivement déclassé vers la série B, et s’il peut encore espérer tenir des premiers rôles, ça sera désormais principalement dans des productions direct-to-video oubliables quand elles ne sont pas embarrassantes.
Le public s’était-il donc trompé jusqu’alors sur Cage ? Fallait-il regarder la vérité en face et admettre qu’il n’avait été qu’une fausse gloire au jeu d’acteur mal calibré, qui ne mérite guère mieux que les DTV aux titres interchangeables (Vengeance, Usurpation, Suspect) dans lesquels il cachetonne à présent ? Force est de reconnaître que son acting est tout sauf un exemple de sobriété ; pourtant lorsqu’il est invité dans les late shows de la télévision américaine, il adopte une attitude calme, presque nonchalante. Il comprend qu’il est là pour divertir le public autant que pour faire sa promo, et se lance avec un certain flegme dans des anecdotes cocasses, notamment sur sa vie personnelle mouvementée.
Quand le public et le présentateur le gratifient d’éclats de rire, Cage se contente de lever un sourcil et de dessiner un léger sourire en coin, comme un gentleman pince-sans-rire. C’est à croire qu’il cherche volontairement à détourner les attentes provoquées par l’image qu’il donne sur grand écran, ce qui rend son personnage public d’autant plus savoureux.
Reste à savoir si Nicolas Cage est constamment conscient de la dissonance, du décalage esthétique qu’il crée, surtout lorsqu’il endosse le costume d’un héros hollywoodien manichéen et propre sur lui. Prenons l’exemple de Benjamin Gates qu’il incarne dans deux divertissements familiaux lourdingues. Si ce personnage fonctionne un tant soit peu à l’écran, c’est parce qu’il est joué par un hystérique accro aux casinos, qui ressemble davantage à Sailor de Sailor et Lula (David Lynch, 1990) qu’à un archéologue made in Disney. Car s’il y a bien une arme à double-tranchant que l’acteur aura manipulé tout au long de sa carrière, c’est celle du mauvais goût.
De sa moustache digne d’un acteur porno sur le retour dans Deadfall (Christopher Coppola, 1993) à ses cheveux longs décolorés façon chanteur emo-gothic-métal-romantique dans L’Apprenti Sorcier (Jon Turteltaub, 2010), en passant par sa chemise aux couleurs discutables dans Snake Eyes (Brian De Palma, 1998), Cage aime travailler le mauvais goût comme une texture reflétant une certaine Amérique. L’Amérique bigger than life, l’Amérique de la démesure, l’Amérique de l’excès.
L’excès comme vérité de l’être, comme hypertrophie de l’angoisse contemporaine, auquel ses personnages tentent de donner toute une maestria. Qu’il s’agisse de l’alcoolique de Leaving Las Vegas, du toxicomane de Bad Lieutenant, escale à la Nouvelle-Orléans (Werner Herzog, 2009), de l’obsessionnel des Associés (Ridley Scott, 2003) ou du paranoïaque d’Embrasse-moi vampire (Robert Bierman, 1989), ses personnages donnent à leurs existences l’ampleur d’une symphonie chaotique, comme une manière éperdue de reprendre de la place, d’imposer leur présence dans un décor, un contexte ou un genre de récit qui tendent à les étouffer. Le drame moderne permet deux approches de ses anti-héros dépressifs ; soit on se dit que ses personnages ne sont pas totalement impliqués dans leur présent, que leur esprit n’est pas totalement là et qu’il dérive au fil du récit vers un ailleurs salutaire, un idéal inatteignable.
Soit, a contrario, on accepte l’excès à la Nicolas Cage où les personnages prennent leur présent en pleine gueule, le sniffent à pleines narines et réagissent avec une violence et une folie proportionnelles à cet écœurement. Peter, le protagoniste d’Embrasse-moi, vampire se prend pour un suceur de sang ? Nicolas Cage relève le défi et expérimente pour l’occasion une interprétation et des mines inspirées des vampires du cinéma expressionniste allemand.
On peut ainsi concevoir l’acting de Cage, comme sa place dans notre imaginaire collectif, en superposant deux moments marquants de sa carrière. Souvenons-nous de Hell Driver (Patrick Luissier, 2011) qui à sa sortie avait consterné ceux qui attendaient un film d’action spectaculaire, et sont alors passés à côté de sa véritable nature de pinacle du bis décomplexé.
Souvenons-nous plus précisément de la scène où Nicolas Cage se déplace dans une chambre de motel pour éviter les balles de ses ennemis, avec un pistolet dans une main pour riposter, et une bouteille de Jack Daniel’s dans l’autre, sans pour autant interrompre son coït avec une prostituée. A ce délire frénétique et outrancier, il faut associer un autre délire extrait de Bad Lieutenant, où un mafieux est abattu par ses rivaux. Cage s’exclame alors « Son âme danse encore ! » et effectivement, un danseur hip hop personnifie l’âme du défunt dansant et tournant sur la tête, juste à côté du cadavre. En contre-champ, Cage affiche une mine souriante, presque apaisée, laissant à penser qu’il ressent enfin de la satisfaction en voyant se dessiner dans ce monde frénétique et outrancier, des images absurdes en accord avec les délires qui traversent son esprit.
Les personnages de Nicolas Cage ne jouent pas les fous, ils se savent fous et laissent transparaître leur folie, ce qui dans leur cas, n’est pas un signe de sagesse ou de lucidité, mais plutôt un aveu d’irresponsabilité autant que la prémonition d’une déchéance et d’une fatalité prochaines.
Dans Volte-face, l’acteur joue deux rôles, celui du terroriste Castor Troy et celui de l’agent du FBI Sean Archer, qui par une opération de chirurgie invraisemblable a échangé son visage contre celui de Troy. Quand Pollux Troy commence à se demander si la personne face à lui est bien son frère Castor, Nicolas Cage redouble d’hystérie dans son jeu, et voilà Pollux rassuré de voir un fou. Au-delà d’Archer prétendant ainsi être Troy, on peut voir dans cette outrance Nicolas Cage qui prouve qu’il est bien le Nicolas Cage qu’on attend de lui.
Il serait hardi de penser que la triste période du cachetonage va bientôt s’achever dans la carrière de Cage. On connait les multiples addictions de l’acteur, et elles semblent jouer fréquemment sur ses choix professionnels. Mais Mandy semble néanmoins avoir redoré son blason, en lui offrant une aura de star alternative, prête à s’engager dans des projets genrifiques alléchants, tels que les prochains Prisoners of the Ghostland de l’audacieux Sion Sono (Suicide Club, Love Exposure) et La Couleur tombée du ciel, adapté d’une nouvelle de H.P.Lovecraft.
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