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Un boucher qui tue des vegans pour les vendre en jambon dans sa boutique… Autant dire que le pitch de BARBAQUE n’a pas grandement séduit dans les rangs de la protection animale. Le film de Fabrice Éboué est-il pour autant pro viande et anti végétalisme ? En tant que végétarienne et ancienne militante, j’en doute sincèrement. J’ai même aimé ce film.
La mauvaise réputation
Sorti dans une période post-Covid quelque peu confuse, BARBAQUE, le quatrième film de Fabrice Éboué, est un peu passé sous les radars en 2021. Moi, dans mon petit monde, j’en ai pourtant beaucoup entendu parlé. En effet, j’ai longtemps travaillé pour une association de protection animale. Une expérience qui m’a durablement fait passer le cap du végétarisme, en raison des horreurs auxquelles j’ai pu être confrontées. Mes feeds Instagram et Twitter se révèlent donc en partie composés de recettes végétales et d’informations militantes. Or, voyez vous, dans cet univers, le film de Fabrice Éboué a fait des émules.
Comme Grave de Ducournau avant lui, BARBAQUE a effectivement froissé les sensibilités des défenseurs de la cause animale. Ce que je peux comprendre. Car le film met tout de même en scène un boucher tueur en série, qui commercialise la chair de ses victimes. En l’occurrence, des personnes vegans. Une communauté suffisamment moquée et pointée du doigt pour ne pas avoir besoin qu’on en rajoute une couche. À sa sortie, les réseaux sociaux vegans et sympathisants avaient donc fustigé le long-métrage.
French psycho killer movie
À ce propos, je tiens à préciser une chose : sachez qu’un végétalien ne se nourrit d’aucun produit d’origine animale, tandis que le végétarien ne mange ni viande, ni poisson, mais peut tolérer le lait, les œufs ou le fromage. Le vegan, lui, ne consomme aucun produit d’origine animale autant dans l’alimentation, que dans l’habillement, le mobilier, l’hygiène… Cela signifie qu’on exclut certaines matières, comme le cuir ou la laine, par exemple. Cette distinction faite, on peut comprendre l’agacement de ce groupe de personnes, qui ne représentent qu’une infime partie des communautés prises à parti dans BARBAQUE.
J’avais beau avoir bien compris et entendu ce point de vue, il n’empêche que le film me faisait sincèrement envie lors de sa sortie en salles. En premier lieu, j’ai une certaine sympathie pour Éboué et son humour de petit con devenu un peu boomer. Ensuite, l’affiche me faisait littéralement hurler de rire. J’entretiens effectivement un humour assez noir, au point que ma mère s’inquiétait de me savoir « si glauque » à 6 ans déjà. De plus, au cinéma, j’aime l’horreur, l’épouvante et tout particulièrement, les psycho killer movies – soit les « films de tueurs en série ». Or, BARBAQUE en est une itération française – chose assez rare et remarquable pour le souligner.
L’abject ne vient pas d’où l’on croit
Cette affiche où Éboué, fusil en mains, pose le pied sur un pauvre mec raide mort, Marina Foïs toute sourire à son bras, déclenchait nécessairement chez moi quelques spasmes au niveau des muscles zygomatiques. J’ai donc foncé sur BARBAQUE comme le vegan sur sa salade de lentilles (trololo). Et j’ai adoré ce film. D’un amour sincère. En premier lieu, je fus incroyablement surprise de la mise en scène gore et outrancière. Éboué n’hésite pas une seule seconde à pousser les curseurs à fond, quitte à répugner son spectateur. BARBAQUE donne effectivement la nausée. En raison des meurtres de personnes vegans certes, mais aussi – et c’est là que le film devient brillant – en raison de l’étal constant de viande à l’écran.
En effet, la chair humaine s’y voit placée au même niveau que la chair animale. Et le dégoût ressenti reste le même. Le film souligne même l’aspect violent du métier de boucher, avec des gros plans cliniques et froids sur le travail de la viande. Détaillée au couperet ou moulinée au hachoir… Sous l’œil de la caméra, bœuf, porc et être humain se révèlent tous composés de la même chair et du même sang. Bien sûr, il subsiste un aspect outrancier, volontairement là pour choquer, et conforme au caractère impudent de Fabrice Éboué. Qu’on imagine grassement se marrer derrière l’objectif. Il n’empêche qu’en tant que végétarienne et ancienne militante, je ne me suis pas sentie insultée. Au contraire. Car BARBAQUE a su se saisir de son sujet avec intelligence.
Bienvenue dans mon monde
Dans le film, Fabrice Éboué et Marina Foïs doivent infiltrer les réseaux de la protection animale pour chasser le gibier sur son territoire. Si voir un boucher et sa femme distribuer des tracts pro-vegan a quelque chose de cocasse, la situation le devient encore plus lorsqu’ils subissent les même écueils que les militants et en souffrent de la même façon. J’ai attendu des heures derrière un stand pour faire signer des pétitions. J’ai alpagué des gens pour leur demander s’ils avaient un peu de temps pour discuter de certaines conditions d’élevage. Je peux vous assurer que tout ce que l’on voit dans BARBARQUE est vrai.
Lorsque l’on fait ce métier, de manière bénévole ou rémunérée, on apprend à encaisser les agressions et les personnes instables. Il y a, bien évidemment, le viandard. Celui qui vous hurle de ne pas toucher à son saucisson et qui, parfois, vous insulte ou vous menace. Alors même que vous n’avez fait que lui sourire poliment derrière votre stand. Voir une femme de boucher lui répondre avec véhémence dans BARBAQUE prouve bien qu’en aucune situation, ce comportement n’est tolérable. Et pourtant, il n’est pas rare d’entendre des applaudissements parmi les badauds face à ce type d’agressions.
Dissonance cognitive
Mais il y a aussi le fanatique morbide de la cause. Celui qui pourrait basculer à tout moment. Celui qui fait froid dans le dos. Celui qui répond : « Ceux qui font ça aux animaux, on devrait leur faire pareil. » Un discours entendable et compréhensible. Mais lui va plus loin. Il décrit les tortures, il énumère les maltraitances… On dirait qu’il en jouit. Et bien qu’on lui réponde « oui, oui » d’un air médusé, il n’en a l’air que plus galvanisé. Marina Foïs et Fabrice Éboué en croisent différentes variantes dans le film. Ils en sont d’autant plus sidérés que plusieurs des personnes qu’ils côtoient dans la protection animale paraissent tout à fait aimables. Mais de là à penser que BARBAQUE tient un discours pro-végétarien, il n’y a qu’un pas que l’on ne franchira pas.
Puisqu’en effet, dans le film, les grands méchants ne sont ni les viandards, ni même les vegans, mais plutôt les industriels de la viande. Ceux qui vendent une bidoche de piètre qualité, surproduite dans des conditions déplorables. Éboué témoigne ainsi d’une certaine « dissonance cognitive ». Concept cher à la protection animale, la dissonance cognitive correspond à cet état de conscience où l’on reconnaît que manger de la viande implique un grand nombre de souffrances, en élevage comme en abattoir. Où l’on a conscience que ces choses sont problématiques, mais où l’on préfère encore trouver des parades, comme « aller chez le petit commerçant qui propose de la bonne viande, plutôt qu’au supermarché ».
Un psycho-killer movie parodique francophone comme rarement on en a vu depuis « C’est arrivé près de chez vous. »
Alors oui, de mon point de vue de végétarienne, BARBAQUE n’est effectivement pas parfait. Il n’empêche qu’il pose les bonnes questions. Loin de s’arrêter au cliché du vegan tête-à-claques qui sert de gendre à Fabrice Éboué dans le film, il ose tirer à balles réelles sur les deux camps. Et quitte à choisir un méchant, je préfère qu’il opte pour l’émissaire du grand capital, plutôt que pour une communauté d’ores et déjà stigmatisée. Subsiste un psycho-killer movie parodique francophone comme rarement on en a vu depuis C’est arrivé près de chez vous. Également une bonne tranche d’humour noir, à arracher ne serait-ce qu’un rire sarcastique au plus farouche des militants de la protection animale. Car figurez vous que nous avons de l’humour. Et de l’autodérision.
Lilyy Nelson