Du 12 au 19 octobre, le Festival Lumière 2025 célèbre le cinéaste américain Michael Mann. L’occasion de (re)voir tous ses films dans les cinémas de Lyon. Or, le réalisateur de Heat n’est pas la seule vedette de l’événement. En effet, le Festival Lumière se consacre, d’une manière plus large, au cinéma de patrimoine et reçoit de nombreux invités, comme Natalie Portman ou Guillermo Del Toro. Durant toute la durée de l’événement, nos chroniqueurs vous livrent leurs meilleures séances.
Lundi 13 octobre 2025

HARD BOILED – À TOUTE ÉPREUVE (John Woo – 1992)
Dernier film réalisé à Hong Kong avant le départ de John Woo pour les États-Unis, HARD BOILED – À TOUTE ÉPREUVE s’inscrit dans un contexte socio-économique troublé. À l’approche de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, les triades prolifèrent dans un climat de corruption et de violence. Une atmosphère chaotique que retranscrit le film de John Woo, lui-même tourné dans un rush constant, et qui va s’imprégner de cette sensation d’urgence. Histoire de flics et de voyous singulière, HARD BOILED – À TOUTE ÉPREUVE s’ouvre dans l’accalmie d’un concert de jazz, avant de nous précipiter dans sa course folle, entre gunfights chorégraphiés, explosions en tous genres et bande son au charme suranné. Le tout, dans une maîtrise parfaite et époustouflante de l’espace et du rythme propre à son réalisateur. L.N.

LE DERNIER DES MOHICANS (Michael Mann – 1992)
Michael Mann, fin observateur de l’âme humaine au style unique, transpose cette fois son regard habituel des mégalopoles contemporaines vers les montagnes embrumées de l’Amérique du Nord des années 1750, pour raconter les luttes de peuples indigènes face aux empires coloniaux. Avec la puissance qu’on lui connaît, mais aussi et surtout une humanité et une émotion qu’on ne lui soupçonnait pas, Michael Mann raconte l’humain violent et destructeur, traître et aveuglé, mais aussi courageux, spirituel et romantique. Porté par une musique inoubliable semblant jaillir du plus profond de son être, Mann travaille la puissance de son art dans un environnement nouveau en déplaçant ses caméras dans des étendues sauvages pour la première fois de sa carrière, jusqu’ici jalonnée de grandes cités tentaculaires. Et malgré quelques aspects peut-être moins réussis (la dimension romantique poussée à la limite de la sobriété ou le montage des combats, rugueux mais laissant peut-être sentir les chorégraphies), les élans de ses protagonistes ont la capacité de traverser le brouillard des montagnes qu’ils contemplent et d’arriver jusqu’à nous pour nous toucher en plein cœur. S.B.
Mardi 14 octobre

AMERICAN GRAFFITI (George Lucas – 1973)
Second long-métrage de George Lucas, AMERICAN GRAFFITI naît d’un pari avec Francis Ford Coppola. Le deal : sortir de la science-fiction – genre déjà privilégié par Lucas – et réaliser un coming of age, bluette plus légère sur le passage à l’âge adulte. Pour ce faire, le cinéaste écume ses souvenirs d’adolescence et en tire une fresque sixties, avant tout centrée sur la bagnole – synonyme de liberté et d’émancipation pour toute une génération d’adolescents américains. Bagnole qui devient ici le cadre de drames, de joies et de remises en question existentielles. Tout se déroule le temps d’une nuit, essentiellement dans le carcan de la tôle montée sur quatre roues. Une époque en mouvement, comme sa jeunesse, et comme le film de Lucas qui ne cesse jamais de rouler dans les rues de Modesto en Californie. Une prémisse aux grandes virées en vaisseaux de Star Wars en quelque sorte. L.N.

QUAND HARRY RENCONTRE SALLY (Rob Reiner – 1989)
Présenté dans le cadre du programme « Grands films sur grand écran« , qui recoupe des films proposés par le public au Festival Lumière, QUAND HARRY RENCONTRE SALLY reste l’une des comédies romantiques les plus acclamées du 20e siècle. Si elle a pris quelques rides, avec une injonction au mariage un peu trop présente et un Harry à la limite du harcèlement, le sel des dialogues demeure, de même que l’attendrissement suscité par les saynètes des couples qui racontent leurs histoires et entrecoupent le long-métrage. Dans un New-York automnal influencé par Woody Allen, bande-son jazz à l’appui, QUAND HARRY RENCONTRE SALLY a su redéfinir les codes de la comédie romantique en son temps et ainsi initier ceux de la romcom moderne. Une matrice pour toutes celles survenues ensuite. L.N.
La comédie romantique nécessite de la subtilité, pour ne pas tomber dans un mélange de guimauve/niaiseries inintéressantes. Conçu avec une vraie sincérité, et joliment écrit et interprété par Billy Cristal et Meg Ryan, QUAND HARRY RENCONTRE SALLY utilise le même dispositif que Richard Linklater déploiera sur sa trilogie Before quelques années après. QUAND HARRY RENCONTRE SALLY n’a pas besoin d’intrigue et choisit plutôt de montrer l’évolution des relations hommes-femmes au fil des ans et de moments de vie. Dans le milieu des années 80, Reiner a divorcé et enchaîne les rencontres sans suite, traînant avec lui une dépression qui ira se nicher jusque dans les lignes du scénario écrit par Nora Ephron qui, de son côté, interrogera des gens de l’équipe pour son travail. Et c’est donc dans les situations banales du quotidien que se jouent les enjeux du film, dans les dialogues, les regards, les hésitations… Pour un résultat irrésistible, car le duo est imparable. Les remarques cyniques mais hilarantes et révélatrices de Harry, contrées sans relâche par Sally, orchestrent ainsi un programme délicieux. Avec sobriété et réalisme (cf. : les interviews des couples qui parsèment le film), Reiner et Ephron ont réussi à s’adresser aux gens avec humour, finesse… et quelques scènes et répliques devenues cultes. S.B.
Mercredi 15 octobre

LE VAMPIRE DE DÜSSELDORF (Robert Hossein – 1965)
Auréolé du label Lumière Classics, qui récompense les meilleures restaurations de l’année, LE VAMPIRE DE DÜSSELDORF prend place dans l’Allemagne de 1930. À Düsseldorf, un tueur sévit et terrorise la gente féminine. Un parcours meurtrier, mis en parallèle avec la montée progressive du nazisme. Réalisé par Robert Hossein, LE VAMPIRE DE DÜSSELDORF se distingue comme une œuvre étonnante, tant pour son époque que pour son auteur. D’une violence rare, avec le tueur comme personnage principal, il préfigure avec brio le psycho killer movie moderne. Brillant et glaçant dans le rôle, Robert Hossein se détache aussitôt de l’image romantique que lui a collé Angélique Marquise des Anges à peine un an plus tôt. Grand metteur en scène de théâtre, il évite également l’écueil du plan par plan scolaire de ses contemporains, pour servir une réalisation dynamique et pleine d’idées – en tout point remarquable pour 1965. L.N.

LA MARQUE DU TUEUR (Seijun Suzuki – 1967)
Grand auteur au sein de la société de production emblématique Nikkatsu au Japon, Seijun Suzuki fait l’objet d’un programme en cinq films durant le Festival Lumière. Sont ainsi projetés La Barrière de chair, Histoire d’une prostituée, Carmen de Kawashi (ladite « Trilogie de la chair »), Le Vagabond de Tokyo et LA MARQUE DU TUEUR. Ce dernier fait d’ailleurs figure de point de rupture entre Suzuki et la Nikkatsu. Car LA MARQUE DU TUEUR substitue volontiers la narration à la forme. Expérimental et surréaliste, un brin parodique et d’une beauté sans pareille, le long-métrage verse effectivement dans le symbolisme, là où le studio espérait un projet vendeur en salles. Bien qu’il suscitât le renvoi de Suzuki, LA MARQUE DU TUEUR va achever d’inscrire son réalisateur comme l’un des plus irrévérencieux et audacieux du cinéma japonais. À raison. L.N.

AUX CŒURS DES TÉNÈBRES : L’APOCALYPSE D’UN METTEUR EN SCÈNE (Fax Bahr, George Hickenlooper – 1991)
Le tournage d’Apocalypse Now fut complètement fou, comme tout le monde le sait. Mais le documentaire, AUX CŒURS DES TÉNÈBRES : L’APOCALYPSE D’UN METTEUR EN SCÈNE a une dimension qui l’est peut-être encore plus. Conçu à partir du journal d’Eleanor Coppola, compagne du cinéaste, pendant le tournage et finalisé par Fax Bahr et George Hickenlooper des années après (ce sont eux qui filmeront les interviews contemporaines des membres de l’équipe, offrant du recul sur les évènements), le document est presque incroyable. Voir un réalisateur de cette envergure confesser devant une caméra, complètement lâcher prise et se sentir lamentable est une vision rare et une expérience puissante. L’authenticité de la démarche est d’autant plus forte qu’on sent la sincérité de la femme du réalisateur. Personnalité discrète, à l’opposé de son mari lancé dans une croisade comme seul le Nouvel Hollywood semble avoir pu en créer la possibilité, elle ne savait pas, au départ, s’il essayait “simplement de m’occuper ou s’il souhaite éviter d’engager une équipe supplémentaire pour une production déjà surchargée. Peut-être les deux”. Des années plus tard, une fois le périple (presque) digéré, l’honnêteté avec laquelle Martin Sheen, Dennis Hopper ou autres se livrent face caméra a posteriori sur les conditions de tournage hallucinantes du film en font l’un des making-of/documentaire les plus saisissants de toute l’histoire du cinéma. S.B.
Jeudi 16 octobre

MIAMI VICE : DEUX FLICS À MIAMI (Michael Mann – 2006)
Prix Lumière 2025, Michael Mann n’est pas qu’un homme de cinéma. C’est également un homme de télévision, et le producteur de l’une des séries les plus emblématiques des années 80 : Miami Vice. Attaché à ce projet, il entreprend au début des années 2000 de réaliser un film adapté du pilote de la série, mais dans une époque contemporaine, avec Jamie Foxx et Colin Farrell dans les rôles principaux. Farrell en prise avec ses problèmes de drogue et Foxx en plein ego trip, le tournage devient une épreuve mais Mann tient bon. En résulte un film moins clinquant et plus ancré dans le réel que la série originale, qui s’appuie sur une caméra HD pour obtenir un rendu bleuté naturel, à la fois terne et abrupt. Sombre et froid, MIAMI VICE manque effectivement de chaleur. Mais il retransmet cette mutation du boom économique local des eighties à la mondialisation des années 2000 dans le plus sincère des écrins. L.N.

INCEPTION (Christopher Nolan – 2010)
Christopher Nolan souhaitait déjà se frotter au monde des rêves dès 2001, alors qu’il n’avait réalisé que deux films. C’est vous dire l’ambition. Et c’est la grande force (et aussi parfois la faiblesse) du cinéma de Nolan : vouloir embarquer le plus grand monde dans des aventures extraordinaires – et peu en sont capables, surtout à son échelle. Faiblesse car oui, dans INCEPTION, les personnages (notamment Ariane) servent trop à Nolan à surexpliquer les enjeux et l’univers. Et oui, difficile d’ignorer les remarques de quelqu’un qui dira que Nolan devrait un peu desserrer les fesses, car pour un film sur les rêves, le monde imaginé aurait pu être encore plus surprenant – moins froid, selon certains. Mais quand un auteur peut vous mener à explorer des sujets tels que les rêves, la physique (Tenet), l’espace (Interstellar), la science (Oppenheimer) ou la mémoire (Memento), c’est que vous êtes en présence d’un artiste dont les expérimentations savent vous stimuler. S.B.
Samedi 18 octobre

CORALINE (Henry Selick – 2009)
Conçue par le studio Laika qui fête ses 20 ans en 2025, CORALINE est une œuvre artisanale remarquable. Parler de thèmes complexes et universels par le prisme de l’enfance est un exercice délicat, mais particulièrement enrichissant quand il est réussi. Et s’il faut quand même bien préciser CORALINE – et le roman de Neil Gaiman dont il est adapté – ne se destine pas aux plus jeunes, le film fait témoigne d’un travail impressionnant, dans sa façon de gérer l’équilibre entre toutes les émotions qu’il convoque. Traçant avec intelligence son chemin aux côtés d’autres histoires s’adressant à tous – comme un mélange jamais vu entre un Spielberg, un Zemeckis ou, bien sûr, un Burton – le premier long-métrage du studio fondé par Travis Knight transporte encore aujourd’hui par son utilisation de l’animation en volume. Et on vous laisse vous renseigner quant au processus passionnant mis en place pour sa réalisation, mais on ne saurait être que trop heureux de pouvoir pénétrer l’univers d’œuvres de ce calibre, car elles sont rares celles qui respectent les enfants tout en “réveillant les adultes”, comme le dit Virginie Apiou dans son article. S.B.
Dimanche 19 octobre

Séance de clôture : HEAT (Michael Mann – 1995)
Tout, ou presque, a sûrement déjà été dit à propos de HEAT, colossal polar urbain de la fin du 20e siècle, emmené par trois grandes figures du cinéma : un réalisateur et deux acteurs au sommet de leurs arts respectifs. Mais se pencher sur le travail du réalisateur est pourtant toujours intéressant, car derrière l’image de simples films de gangsters que peut avoir son travail, Michael Mann ne cesse d’orchestrer de belles et mélancoliques réflexions sur la nature humaine au sein de sa carrière. Derrière les récits musclés et peuplés – a priori – de salopards unidirectionnels, se cachent de passionnantes dissertations, partagées par un homme concerné par la condition humaine. Et comme votre humble serviteur le disait à propos de la cérémonie de remise du Prix Lumière, il ne connaissait finalement pas très bien le cinéma de Michael Kenneth Mann. Et avec les mêmes réserve et modestie affichées par le vieux sage qu’il est désormais à 82 ans, on se contentera de conseiller aux gens de ne pas hésiter à se pencher ou se repencher sur son travail. Une occasion de découvrir qu’on peut avoir beaucoup plus d’empathie pour les flics, les voleurs ou les gangsters qu’on pensait pouvoir en avoir. S.B.




