Redéfinir les fantasmes et la sexualité féminine, voilà la lourde tâche qu’avait Halina Reijn avec BABYGIRL. Le point de vue de la réalisatrice n’a fait que diviser au cours de ces dernières semaines, et risque de continuer à le faire au cours des prochains mois. Pourtant, nous ne pouvons reprocher à BABYGIRL d’avoir tenté d’aborder un sujet sensible, surtout qu’il a réussi à minimiser au maximum les dégâts.
Pas toutes les mêmes
Si BABYGIRL traite du désir féminin, il aborde également des types de sexualité peu connus. Le film le fait par le biais de Romy, une femme de pouvoir dont la vie parfaite est entachée par sa frustration au lit dû à un mari ne comprenant pas ses besoins. À partir de ce postulat classique, le métrage tente d’en ressortir le plus d’éléments signifiants possibles. Cela passe principalement par la réalisation avec une caméra épaule cassant le côté aseptisé de la vie de Romy, notamment quand elle prend son petit-déjeuner avec sa famille. Les plans sur trépied interviennent alors pour la ramener à la réalité, comme il est possible de le voir à son travail, ou même quand elle décide de ne plus revoir Samuel, son amant. Cela crée ainsi une distance naturelle avec ses proches, en témoigne la séquence de la soirée de Noël où Romy sort du cocon familial.
La PDG ne parvient pas à rentrer dans le moule malgré ses efforts. Ce qu’elle aime, c’est être dominé et qu’on lui donne des ordres. C’est quelque chose d’assez délicat à aborder, car BABYGIRL peut très vite basculer dans le cliché bien gras s’il ne sait pas expliquer son sujet. Heureusement, ce n’est pas le cas. Romy reste et restera toujours une femme forte. Ce qu’elle subit n’est pas de l’humiliation, juste un fantasme et une façon de faire qui lui plaît. Cela peut paraître assez gros, toutefois le film est justement sur le fait de respecter ses envies. Nous pouvons d’ailleurs noter que bien que cela soit très intense, nous n’avons pas un côté pornographique. C’est traité de manière très réaliste ce qui fait qu’au début la relation avec Samuel plutôt gênante, et ce n’est que peu à peu que les deux se libèrent comme nous pouvons le voir durant la séquence « George Michael ». Dans un sens, Romy garde toujours un certain contrôle, car c’est elle qui souhaite vivre ça. Ça se confronte directement avec la relation à la « papa » où c’est l’homme qui décide.
La première séquence souligne parfaitement cette frustration. Romy est au-dessus de Jacob, son mari, une position contrastée vis-à-vis d’elle, car même si elle domine, elle suit malgré tout les directives de son homme. Le fait d’avoir choisi Antonio Banderas pour interpréter Jacob est d’ailleurs une excellente idée, l’icône du latin lover étant totalement détruite ici. Finalement, BABYGIRL se conclut sur un beau message sur la communication mais aussi sur les femmes. Comme Romy le dit à Jacob durant une dispute : elle n’est pas comme toutes les autres. Effectivement, toutes les femmes ne sont pas pareilles et ont donc des envies différentes. Romy peut ainsi être aussi bien une patronne féministe inspirante, mais aussi être dominée au lit.
Trouver l’équilibre entre vie de famille et vie intime
Dans la bulle frustrante où se trouve Romy, Samuel devient l’élément libérateur, voire même perturbateur. La relation qu’elle entretient avec lui symbolise tout le discours de BABYGIRL sur la question du sexe. Certes, le début de leur relation est trop rapide, et le film use de grosses ficelles, toutefois cela est moins stéréotypé qu’un 50 Nuances de Grey. Le métrage orchestre parfaitement l’inversion des rôles en y allant progressivement. Ainsi, le rapport de domination change au cours du film. Les deux séquences de réunion changent du tout au tout et marquent l’état de la relation.
Durant la première, nous constatons qu’elle est vouée à l’échec, car c’est Romy qui domine. A contrario, dans la deuxième c’est Samuel qui impose sa domination ce qui fait que leur relation va marcher. Romy sort donc de son monde blanc pour un davantage coloré, et plus normal en soit. C’est potentiellement facile, mais c’est bien maîtrisé. Le summum de tout ceci advient dans la boîte de nuit, une séquence qui marque l’apogée du fantasme de Romy. Le plan en plongée de la foule répond à celui du début, et ce de manière cinglante. Néanmoins, en alternant entre le blanc et la couleur, et entre le jour et la nuit, Romy n’arrive pas à avoir un équilibre. Cette aube qu’elle recherche, elle va le retrouver à la fin avec un Jacob qui a compris les envies de sa femme.
En quête d’humanité
Ce qui rend la vie de Romy aseptisée est la technologie. BABYGIRL semble aux premiers abords très classique sur cette dernière, avec celle-ci étant une barrière aux contacts humains. Cependant, et à l’instar du sexe, le métrage ne dépasse jamais la ligne. Nous voyions que Romy a des liens familiaux, et donc humains, mais elle a un problème. Son travail représente sa frustration sexuelle, car il faut être rapide tout en minimisant les contacts et la communication.
Nous avons en ce sens énormément de parallèles entre son travail et sa situation avec Samuel. Les plans en plongée vide d’humains se confrontent à celui de la boîte de nuit où il n’y a que ça. Paradoxalement, en trouvant ce contact avec Samuel, nous retrouvons un côté qui est davantage animal qu’humain. C’est flagrant lors de leur première expérience, l’amant « dressant » la patronne. Cette sauvagerie n’est-elle finalement pas ce qui se rapproche le plus de l’être humain ?
D’un jeu d’enfant…
BABYGIRL donne une origine à la frustration de Romy, et elle provient de son enfance. La PDG a vécu cette dernière dans une secte, un moment de sa vie qui l’a beaucoup marqué. Il faut avouer que nous n’avions pas besoin d’avoir une raison derrière sa frustration, surtout si elle est aussi farfelue. Le rapport à l’enfance reste néanmoins bien exploité. Chaque pratique sexuelle avec Samuel est un retour à une enfance qu’elle n’a jamais eue. Nous le voyions lorsqu’elle demande à Jacob de faire l’amour en regardant du porno : elle le fait en se mettant sous la couette comme une enfant.
Ce qu’elle fait avec Samuel n’est qu’au final un jeu sexuel où chacun s’amuse. La fille de Romy, Isabel, intervient alors pour consolider ce côté enfantin. Lorsque sa mère lui parle de la voisine, il y a un côté maternel qui est désamorcé par le décor. Effectivement, Romy se trouve à l’ouverture de l’enclos, et est de fait d’accord avec l’infidélité d’Isabel. Une nouvelle fois, les rôles vont s’inverser, cette dernière demandant à la première de revenir au foyer, quelque chose de plutôt cocasse au vu de la liberté qu’elle prône.
… à un jeu de rôle
En parlant de jeu, nous parlons de rôle et donc de théâtre. Romy joue dans BABYGIRL un rôle et ce dans plusieurs scènes différentes. La plus flagrante est celle où elle rentre chez elle et qu’elle y voit Samuel. Romy observe la pièce au travers de la porte comme au travers d’un rideau avant de faire son entrée. Tout cela a évidemment un lien avec Jacob, lui qui est metteur en scène. Nous pouvons imaginer que Romy s’est mise en partie avec lui car il avait l’habitude de diriger, mais sur ce point-là elle a été déçue.
L’aventure avec Samuel est l’occasion d’être elle-même, mais ça peut être aussi un rôle. Romy en a plusieurs : mère, maîtresse de maison, patronne et amante. Cependant, nous pouvons dire qu’elle est vraiment elle-même après la réconciliation avec Jacob. Cette dernière se passe dans une scène de théâtre vide alors qu’auparavant il y avait des acteurs, un rideau, et même une vidéo en gros plan. Là, il n’y a personne, le couple étant littéralement mis à nu.
Halina Reijn questionne ce qui est encore mis sous la couette. La réalisatrice soulève cette dernière avec un geste qui aurait pu être mal interprété. Nous pouvons en revanche constater qu’elle n’a pas mis de gant alors qu’elle aurait pu sur certains points. Cela fait que, même si annoncé sur toutes les affiches, BABYGIRL est loin d’être « le film de l’année », mais il sera sans aucun doute un des métrages les plus marquants de 2025.
Falvien CARRÉ