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Chose rare pour un récit de loup-garou, GINGER SNAPS explore la question de la puberté féminine, et non masculine. Devenu culte pour ses aspects féministes, le film de John Fawcett se distingue aussi par son traitement de la relation fraternelle.
Le loup-garou au féminin
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, dans la culture populaire, la lycanthropie est souvent utilisée comme métaphore de la puberté. Or, de The Wolf man à Twilight en passant par Buffy contre les vampires ou par le Teen Wolf de 1985, le loup-garou adolescent se révèle plus fréquemment masculin que féminin. Notable exception, GINGER SNAPS se distingue d’autant plus par une représentation frontale de la montée d’hormones féminines. En effet, juste avant d’être croquée par le loup (wink, wink), Ginger voit ses règles arriver pour la toute première fois – malgré son refus obstiné d’en passer par cette étape.
Et s’il faut davantage attribuer ces représentations à l’humour provocateur du long-métrage qu’à ses intentions féministes, GINGER SNAPS détient tout de même le mérite de présenter du sang de menstruation à l’écran, et ce en grande quantité, à une époque encore pudique – voire pudibonde – sur ces questions. En revanche, on ne doute pas de la sincérité de sa scénariste, Karen Walton, lorsque Ginger explique à sa sœur Brigitte que, peu importe les circonstances, on tape toujours dans la main du garçon après un rapport sexuel… Tandis que la fille reste perçue comme une dévergondée libidineuse.
Louves en goguette ?
L’auteure canadienne Karen Walton compte effectivement les thématiques queer et les questionnements sur le genre parmi ses sujets de prédilection. À l’instar de son co-scénariste, John Fawcett, réalisateur de GINGER SNAPS, qui collaborera comme elle à la série Queer as Folk en 2004, puis la rappellera sur Orphan Black en 2013. Déjà en 2000, les deux auteurs présentaient dans leur film de loup-garou deux figures féminines adolescentes éloignées des clichés habituels de la comédie horrifique adolescente. Si Jawbreaker ou The Craft avant lui exploraient des pistes intéressantes, GINGER SNAPS va effectivement plus loin et achève d’enfoncer le clou.
Bien que l’adolescente gothique et délurée avait le vent en poupe en cette fin de siècle, les deux frangines morbides de GINGER SNAPS ne collent pas complètement à ce stéréotype. Bien sûr, Ginger exprime davantage sa féminité et affirme sa sexualité débordante avec l’arrivée de la puberté. Cependant, contrairement aux obsessions de l’époque, sa transformation physique tient plus de l’affirmation de soi que de la conformation aux normes sociales. Quant à sa sœur cadette, Brigitte, il est agréable de constater l’absence de sexualisation du personnage, construit en opposition avec celui de sa sœur.
Sœurs de sang
Cette opposition sert, par ailleurs, un second propos – souvent ignoré dans les discussions sur le film. En effet, GINGER SNAPS évoque aussi les relations fraternelles. Des liens parfois abusifs où l’aîné vampirise le cadet. Lequel se retrouve perdu lorsque son prédécesseur quitte avant lui le segment de l’enfance. Toutefois, il arrive que la fracture soit irréparable. Brigitte et Ginger semblent effectivement irréconciliables, malgré l’acharnement de la première à sauver la seconde. Or, malgré les liens familiaux, il arrive de ne nourrir aucun amour pour son frère ou sa sœur. Un constat tabou, rarement évoqué dans le cinéma à destination des adolescents.
Dès lors, on comprend davantage pourquoi, malgré la présence d’un antidote, Brigitte blesse mortellement sa sœur à la fin du film.
Car GINGER SNAPS raconte moins une crise de puberté que la douloureuse émancipation d’une adolescente sur sa sœur toxique et abusive. Les torts de Ginger ne sont effectivement pas tous imputables à l’âge bête. Au-delà de ses aspects féministes, le film de John Fawcett conserve tout son sel par la richesse de son sous-texte, mais aussi par son humour noir, teinté de macabre et de mauvais goût. De quoi pardonner volontiers ses effets spéciaux fauchés et sa mise en scène parfois datée.
Lilyy NELSON