Une plage où le temps fuse, un piège fatal qui se referme sur une dizaine de touristes, désormais démunis et condamnés : OLD avait tout d’un solide outsider pouvant s’immiscer dans l’avalanche des blockbusters saisonniers. Si le film frustre, il n’en reste pas moins un solide sous-texte « shyamalanesque » réjouissant. Explications.
M. Night Shyamalan n’avait plus donné signe de vie depuis ses soliloques existentiels sur le héros et son rôle dans la fiction. Pied de nez assumé à une industrie qui divinise chaque pierre de l’édifice MCU, Glass concluait avec brio une réflexion sur le divertissement contemporain débuté 20 ans auparavant, alimenté inégalement par nombre de récits inégaux (inutile d’essayer d’expliquer l’hétérogénéité démentielle qui caractérise la filmographie de cet auteur indiscernable). Ainsi arrive OLD, projet foutraque et risqué, adapté d’une bande-dessinée française, l’histoire d’une famille emprisonnée sur une plage où le temps s’accélère à un rythme effréné. Le subterfuge, dévoilé dès les scènes d’exposition, laisse craindre le pire, prémonition qui s’avérera exacte : le récit n’évite jamais des écueils pourtant évidents et parcourt une à une les pistes de n’importe quelle histoire d’épouvante autonome.
Pas de plaidoyer biscornu envers un auteur qu’on affectionne ici particulièrement. Les errements narratifs et l’épilogue douteux, tout comme certains acteurs venus prendre le soleil, ne peuvent être excusés. On regrette souvent l’efficacité pragmatique et les twists savoureux de The Visit, cette aisance avec laquelle Shyamalan parvenait à sonder la psyché de figures tourmentées, confrontées à des aléas engendrés par un imaginaire débordant. Ce qui étonne dans OLD, c’est avant tout l’absence d’empathie à l’égard de ceux qui subissent la loi des pierres. De la famille au bord de l’implosion au couple artificiel et décalé, l’écriture des caractères n’est nullement réfléchie et ne trouve aucun écho par la suite. Le réalisateur le fait bien remarquer lorsque Trent et son ami demandent à l’ensemble des habitants de l’hôtel leur métier : aucun d’entre eux ne provoque l’étonnement ni ne se démarque, au contraire. En réalité, Shyamalan se sert de cet échiquier pour disposer des pions déjà bien connus du paysage fictionnel contemporain : un docteur héroïque, une dérive de la génération Instagram, une épileptique faussement mystique ou un surdoué qui réalise suite au désastre qu’il avait la clé de l’intrigue sous les yeux… Comment ne pas être surpris quand on connaît la rigueur avec laquelle Shyamalan pense ses personnages comme des clés de l’intrigue et du thriller ?
Dès lors, OLD s’apparente davantage à une satire dissimulée sous les contours appuyés d’un divertissement horrifique. L’imperfection de l’ensemble des personnages détone. Leur point commun, une maladie pouvant être traitée grâce aux propriétés de la plage, se veut l’allégorie d’une autre forme de contamination. Héritiers et victimes des dérives de la fiction contemporaine, tous sont en réalité soumis au purgatoire conçu par Shyamalan himself (c’est d’ailleurs le personnage que lui-même interprète qui les observe disparaître un à un du haut de la montagne.) L’absurdité avec laquelle chacun cède au vice ou succombe parachève de ridiculiser ces figures stéréotypées, bloquées devant les caméras. Quel plaisir d’échapper, grâce à un bel usage de la vision subjective, à la vacuité des réflexions que chacun crie…
Ce refus de toute forme d’héroïsme digne de compassion, ce refus de l’épique (il faut voir avec quelle rapidité l’escalade salvatrice tombe à l’eau) et ce manque de profondeur dramatique trouve une répercussion prépondérante dans l’épilogue, reflet d’un constat sans équivoque : il n’y a plus rien à soustraire à ce type de récit poncé jusqu’à l’os et il convient de soigner les plaies d’un cinéma de genre malmené. En optant pour une réflexion quasi-méta, Shyamalan s’approprie les rouages de ce qu’il répudie pour en dresser une subtile caricature. Le résultat, certes inégal, fascine et laisse entrevoir une tonalité inédite, inaboutie aussi, dans la manière dont peut être pensé l’apologue fictionnel. L’excellent Karim Debbache expliquait dans un épisode de Chroma à quel point il fallait se méfier des apparences dans Signes, en décantant les indices d’un potentiel récit inversé. Il suffit de réfléchir OLD comme support non-isolé, objet diachronique dans la filmographie de Shyamalan pour supposer un véritable sous-texte réjouissant et audacieux. La contre-plongée finale vers l’océan et la fuite progressive de la plage achèvent de nous éloigner des monstres d’un purgatoire qu’on imagine comme une transition vers d’autres cieux pour un des metteurs en scène les plus énigmatique de notre siècle.
Emeric