Quatre ans après son premier long-métrage, Lukas Dhont confirme sa réputation de jeune prodige du cinéma européen avec CLOSE, un film sobre et violent sur l’amitié entre garçons.
En 2018, la critique et le public ont découvert Lukas Dhont avec Girl, l’histoire d’une adolescente transgenre façonnant son corps à travers la danse classique. Auréolé de la Caméra d’Or au Festival de Cannes, ce long-métrage a permis au réalisateur de s’imposer comme l’un des nouveaux talents du cinéma européen. Deux ans après ce premier succès, le « Xavier Dolan flamand » confirme sa réputation avec CLOSE, un second long-métrage aussi intense et passionné que son premier, récompensé du Grand prix du Jury de la Croisette.
Film intime, CLOSE raconte la fracture d’une amitié adolescente fusionnelle. Léo (Eden Dambrine) et Rémi (Gustav De Waele), amis depuis toujours, sont tous deux aussi insouciants, créatifs et sensibles l’un que l’autre. Ensemble, ils ont fait de la forêt leur terrain de jeu et ils s’imaginent en soldats pourchassant des ennemis à travers des champs infinis de fleurs avant de s’endormir l’un contre l’autre chez Rémi. Mais un jour, il suffira d’une remarque homophobe pour faire exploser le lien intense qui unissait jusqu’à présent les deux garçons. Le cinéma de Lukas Dhont, sobre et violent, commence alors à découdre progressivement une intimité jusqu’alors magnifiée.
S’il évoquait déjà la notion d’identité et le poids du regard des autres dans Girl, Lukas Dhont poursuit sa réflexion en abordant dans CLOSE l’intimité entre garçons. Une amitié au masculin, souvent fusionnelle, qui offre parfois au regard des autres la confirmation d’une identité sexuelle supposée. Devant la caméra, Léo et Rémi partagent leurs secrets, leurs douleurs et leurs joies. Sans jamais enfermer ces personnages dans des cases, le réalisateur conte cette histoire amicale comme celle d’un amour fragile. Avec brio, il réussit ainsi à donner corps à un âge parfois complexe, où comprendre ses sentiments semble parfois être une tâche impossible.
Avec gravité, CLOSE rappelle que même encore incertains, les sentiments n’en sont pas moins valides même s’ils semblent parfois rendre les sacrifices plus faciles.
Inquiet de la façon dont les autres peuvent envisager son amitié comme quelque chose de sexuel, Léo prend ainsi ses distances avec Rémi. Confronté à un sentiment de culpabilité et à la perte de cette amitié très forte, le garçon s’enferme progressivement sur lui-même et dans une performativité masculine à travers le sport de contact. Derrière son masque de hockey, il se protège du regard des autres mais maintient également à distance la vulnérabilité et la honte qui l’assaillent. Ce n’est d’ailleurs que lorsque Léo ne pourra plus jouer que la caméra va contrebalancer son désir d’infaillibilité en dévoilant sa fragilité et sa tendresse.
Sobre, CLOSE se satisfait de peu d’embellissement. En réalisant un film sur la relation fusionnelle de deux jeunes garçons, Lukas Dhont rompt avec une iconographie qui a tendance à préférer les images d’hommes au combat. Avec un plan de Léo et Rémi cherchant à être le plus proche possible dans un lit, le réalisateur lève le voile sur une intimité partagée entre garçons qui peut parfois nous sembler étrangère. L’alchimie entre Eden Dambrine et Gustav De Waele, aussi naturelle que spontanée, permet ainsi au réalisateur de capturer des moments aussi délicats que destructeurs. En s’attardant quelques secondes sur des visages ou sur une route qui éloigne doucement deux amis, la caméra s’enrichit d’une émotion brute.
Ainsi, ces moments de vie compensent le peu de dialogues qui restent discrets pour laisser leur place à des paysages de fleurs ou à des entraînements sportifs. Marquant aussi bien le rythme des saisons, le passage à l’âge adulte que l’espoir renaissant de Rémi, les champs contrastent brutalement avec l’univers du hockey. Autour de Rémi et Léo, c’est également une myriade de personnages attachants qui évoluent. Si, après le visionnage, on reste tremblant en pensant aux larmes du père de Rémy, ce sont surtout les interprétations de Léa Drucker et d’Emilie Dequenne que retiendra le spectateur. Le niveau d’émotion et de sincérité dégagé par ses deux mères de famille a l’effet d’une claque pour les spectateurs.
Néanmoins, malgré la tendresse et la beauté de sa vision, Lukas Dhont continue d’offrir avec CLOSE une vision limitée du cinéma queer. Après deux films portant sur les traumas de cette communauté, impossible ne pas se demander si le seul attrait du réalisateur pour la représentation de l’homosexualité ne résiderait pas dans une mise en scène de la souffrance queer. Ce long-métrage, bien que magnifique, semble ainsi s’inscrire dans l’héritage du trope “Bury Your Gays” (“Enterrez vos gays”) dans lequel on voit des personnages queer souffrir beaucoup plus fréquemment que ceux hétérosexuels. Dans les histoires mettant en avant des moments de vie de la communauté LGBTQ, on offre ainsi peu souvent aux personnages la possibilité d’être heureux.
Avec CLOSE, Lukas Dhont a tenu sa réputation de prodige du cinéma européen. Le réalisateur offre un film touchant avec une réalisation sobre mais efficace. Néanmoins, il faudra attendre son troisième long-métrage pour savoir si son cinéma saura se renouveler afin de ne pas s’enfermer dans une représentation plutôt stéréotypée de la communauté LGBTQ.
Sarah Cerange
• Réalisation : Lukas Dhont
• Acteurs : Eden Dambrine, Gustav De Waele, Emilie Dequenne, Léa Drucker
• Date de sortie : 1 novembre 2022
• Durée : 105 minutes