© Films sans Frontières

[critique] LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI

Mise en scène
9
Scénario
7
Casting
8
Photographie
8.5
Décors
10
Note des lecteurs0 Note
0
8.5
Note du rédacteur

[dropcap size=small]D[/dropcap]es œuvres cinématographiques vieilles de près d’un siècle, dont les jeunes générations peuvent encore localiser et revendiquer l’influence, ne sont pas légion. Les cinéastes, critiques et tous les intellectuels soucieux de décrypter l’imaginaire et l’inconscient collectif de 20ème siècle ont accolé bien des qualificatifs au Cabinet du Docteur Caligari . De manifeste de expressionnisme allemand à film d’épouvante précurseur en passant par labyrinthe narratif avant-gardiste; le film s’est vu prêté bien des visages, au point d’apparaître aujourd’hui comme un monstre (un comble pour le genre fantastique questionnant l’inconnu et la monstruosité), intimidant probablement les spectateurs les moins habitués au cinéma muet.

Je préfère les avertir d’emblée que cette vision remastérisée leur permettra d’apprécier le spectacle débarrassé des ravages du temps, mais qu’elle ne comblera pas l’écart d’expression et de facture qui s’est creusé en 94 ans. Comme le disait justement André Bazin : « La pellicule est comme un sarcophage, elle ne vous conserve pas, elle conserve le temps qui passe. » L’occasion nous est ici donnée de jeter un œil sur une époque de l’art, et de se demander si l’expressionniste allemand qui en était alors l’émanation la plus remarquable, peut encore faire sensation.

Eh bien, la réponse est oui; grâce aux motifs emblématiques qui jalonnent le film et dont on peut s’amuser à déceler l’influence sur Orson Welles, Dario Argento ou Tim Burton, le spectacle garde un lien complice avec les spectateurs d’aujourd’hui, surtout ceux imprégnés par la culture gothique comme moi. S’il faut passer outre un découpage en six actes qui parait incongru jusqu’au dénouement, et la musique de Galeshka Moravioff (réenregistrée pour l’occasion) trop haletante pour garantir une ambiance étrange ou inquiétante; le génie de Robert Wiene transparait assez vite, de prime abord par les décors aux perspectives impossibles, fruit d’une collaboration avec un trio de décorateurs inspirés. Je pourrais écrire un paragraphe complet sur ces décors, mais puisque vous trouverez des pages internet entières sur le sujet, je pense qu’il vaut mieux être bref pour préserver l’effet.
CALIGARI

Ce qui saute (littéralement) aux yeux, ce sont d’abord les parti-pris visuels prompts à exploiter le charme étrange du noir et blanc et du muet. Les premiers cartons de textes annoncent d’emblée la volonté de plonger le public dans un univers hors du commun, par quelques phrases poétiques, et habillées d’une typographie déstructurée; avant que des mots ne surgissent directement autour du personnage pour mettre sa folie en évidence, effet hallucinant pour l’époque ! Puis c’est au tour des teintes bleutées ou sépias de venir chahuter avec le noir et le blanc radicaux, éveillant chez moi une question singulière : Où se trouvent les notions de jour et de nuit dans ces images ? Ces teintes les aident-elles à se confondre ? Puis évidemment les décors viennent renforcer cette  confusion de l’esprit humain, qui est aussi celle du rêve et de la réalité (à noter que l’intrigue prend place dans un décor de fête foraine, pertinente mise-en-abîme puisque le cinéma est à l’origine une attraction foraine). Puis en admirant de plus près le jeu, proche de la pantomime, des acteurs tel l’iconique Conrad Veidt; j’en suis venu à comprendre que le choc visuel qui a fait entrer le film dans la légende nait de la combinaison entre les plans larges sur ces décors géniaux et les gros plans sur un visage, une main ou un objet isolé par le reste de l’image formant un cadre noir.

« Une œuvre mythique où la confusion entre rêve et réalité évolue en questionnement sur la raison et la folie. »

Souhaitons donc que Le Cabinet du Docteur Caligari vive une nouvelle vie en salle à partir du 3 décembre. Une vie intense puisque multiples seront les questions qu’il éveillera dans nos têtes de cinéphiles. L’œuvre est-elle l’ancêtre charismatique de toute une lignée de récits d’épouvante ? Je suis tenté d’y croire en comptant les motifs fondateurs comme l’agression et l’enlèvement  de la belle endormie par une créature inhumaine ou déshumanisée. Peut-on alors considéré cette créature coincée entre l’éveil et le sommeil, donc entre la vie et la mort, comme un prémisse de la figure du zombie ?  Et cette narration évoquant l’étrangeté d’un rêve, que signifie-t-elle au final ? Est-ce vraiment un rêve ? Qui rêve dans ce cas ? Le cinéma est-il une forme de rêve ? Le thème du somnambulisme ne questionne-t-il pas la position du spectateur, cet être curieux s’enfermant en pleine journée dans une salle obscure pour y rester immobile, dans un autre état de conscience, pendant que d’autres êtres s’agitent sur l’écran ? Je pense que tout ceux dont les rêves sont hantés par Eraserhead, Dark City et certains clips new-wave, voudront plonger ou replonger dans le rêve de Robert Wiene.

[divider]INFORMATIONS[/divider]

Réalisation : Robert Wiene
Scénario : Carl Mayer, Hans Janowitz
Décors : Hermann Warm, Walter Röhrig, Walter Reimann
Acteurs principaux : Conrad Veidt, Werner Krauss, Lil Dagover, Friedrich Feher, Hans Heinrich Von Twardowski
Pays d’origine : Allemagne
Sortie : 3 décembre 2014
Durée : 1h17 min
Distributeur : Films Sans Frontières
Synopsis : Dans une fête foraine, un étrange vieillard exhibe un jeune somnambule, dont il monnaie les dons de voyant. Ce dernier prédit à un jeune homme qu’il ne verra pas la fin de la nuit. Sa prédiction se réalise…

[divider]BANDE-ANNONCE[/divider]

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=Y0A0sfxM6AE[/youtube]

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