Photo du film JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES
Crédits : Christophe Brachet - Chi-fou-mi Productions - Trésor Films - StudioCanal - France 3 Cinéma

JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES, Jeanne Herry filme les mots qui sauvent – Critique

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Avec JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES, Jeanne Herry confirme son appétit et son talent pour un cinéma éminemment humain et méticuleusement documenté se situant à mi-chemin entre la chronique sociale, le documentaire et la fiction. Un cinéma dense qui ne quitte pour autant jamais son objectif premier, celui de restituer la complexité de la douleur et des trajectoires humaines, avec au bout, toujours, la lumière.

Il y a eu le bouleversant Pupille. Précise et délicate plongée dans le parcours d’adoption qui valu à Jeanne Herry 6 nominations aux César 2019, dont celui du meilleur scénario et de la meilleure réalisation. Aujourd’hui, Jeanne Herry écrit et réalise JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES, elle y retrouve Elodie Bouchez et Gilles Lellouche, rejoints par Leila Bekhti, Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah et Miou-Miou. Avec ce film, Jeanne Herry réitère son désir de mettre en lumière les processus invisibles et consacre son récit à un procédé inédit : la justice restaurative.

Au cœur de cette procédure, qui vise à créer un lien entre les personnes victimes d’agression et les auteurs de ces délits, une démarche thérapeutique, sociale, ou peut-être simplement humaine. C’est l’angle par lequel Jeanne Herry aborde son propos et cherche à sublimer la nécessité de remettre un dialogue au cœur des procédures pénales et administratives, remplacer les maux par les mots pour, d’un côté éviter la récidive et de l’autre, permettre aux victimes de comprendre, réparer la souffrance, mais surtout de retisser pas à pas ce qui reste de commun à tous les hommes, l’humanité.

On à tous des champs de mines et des champs de fleurs.

Photo du film JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES
Crédits : Christophe Brachet – Chi-fou-mi Productions – Trésor Films – StudioCanal – France 3 Cinéma

JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES, c’est donc l’histoire de cheminements, d’histoires de vies, de trajectoires cabossées et d’individus. Le film s’ouvre sur des visages en gros plan. Michel (Jean-Pierre Darroussin), Fanny (Suliane Brahim) et Judith (Elodie Bouchez), tous trois sont intervenants de la justice restaurative. Fanny et Michel animent des groupes de paroles en prison entre les détenus et les victimes et Judith accompagne Chloé, victime d’inceste (Adèle Exarchopoulos) dans un processus de rencontre avec son agresseur. Les visages, ceux aussi de Nassim (Dali Benssalah), Sabine (Miou Miou) ou encore Grégoire (Gilles Lellouche), Nawelle (Leila Bekhti), Thomas, Issa, Benjamin (Fred Testot, Birane Ba, Raphaël Quenard) seront le fil conducteur de ce film qui nous plonge aux confins d’une autre prison, celle du syndrome post-traumatique, des questionnements insolubles, de vies qui ont basculées et d’êtres détruits.

Qu’ils soient encadrants, victimes ou condamnés, tous ces visages, marqués, tirés, sidérés ou bienveillants se mélangent, se regardent, s’écoutent et tentent de se comprendre. Tous ont une histoire. Tous sont là pour la même chose. Vivre et réapprendre à vivre.

Ainsi, de personnages en personnages, Jeanne Herry offre une partition bouleversante et éblouissante à ses comédiens, qui, dans l’écrin des plans fixes et du silence, transpercent l’écran.

Avec ce huis clos émotionnel, JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES, Jeanne Herry fait de la justice restaurative le cadre d’un récit qui lui permet en toile de fond, comme dans Pupille, de s’attacher, déconstruire avec minutie et justesse un système opaque et administratif pour en révéler les visages et les enjeux intimes. Et c’est cette posture, à hauteur de regards, de paroles ou de silence, qui fait du film de Jeanne Herry un film essentiel. Autour de faits de home-jacking, d’agressions à l’arme blanche ou de vols à l’arraché, Sabine, Nawelle et Grégoire, victimes, relient leurs douleurs à l’histoire et aux choix de Thomas, Issa et Nassim, condamnés. Avec une caméra grave, tout en gros plans et plans séquences, Jeanne Herry fixent les visages, intensément, comme les cerveaux fixent les souvenirs. Des visages qui souffrent, qui ont peur ou qui accueillent, des visages qui tantôt nous glacent, nous transpercent et finissent par nous prendre à notre tour en otage. Otage d’une réalité sociétale et collective dont il est impossible alors de détourner le regard.

Ainsi, de personnages en personnages, Jeanne Herry offre une partition bouleversante et éblouissante à ses comédiens, qui, dans l’écrin des plans fixes et du silence, transpercent l’écran. Miou-Miou en Sabine n’a jamais été aussi bouleversante au cinéma, c’est la plus grande surprise du film, tout comme Adèle Exarchopoulos, qui livre une performance aussi intense que sa toute première dans La vie d’Adèle, entre intériorité et dissociation. Elodie Bouchez est solaire. Jeanne Herry sublime magnifiquement les visages et les histoires, faisant de JE VERRAI TOUJOURS VOS REGARDS un véritable film de et pour les comédiens.

Photo du film JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES
Crédits : Christophe Brachet – Chi-fou-mi Productions – Trésor Films – StudioCanal – France 3 Cinéma

Grâce à son écriture précise et minutieuse, Jeanne Herry saisit chaque souffle coupé, chaque mot retenu, chaque micro-battement de cils et des allures de film choral, elle glisse avec finesse dans le huis clos psychologique, nous maintenant tout en pudeur – avec la distance presque thérapeutique qu’elle met en scène – au cœur des psychés et des conflits intérieurs jusqu’à nous laisser K.O..

Mais sublimer le processus de la résilience n’est pas la seule ambition de JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES, qui comme Pupille se révèle être un hommage irréprochable à celles et ceux qui, invisibles de loin ou de près, réparent ou accompagnent ceux qui souffrent. Jeanne Herry ne propose rien d’autre que de l’humanité. Elle ne convoque rien d’autre que l’empathie. Chaque visage compte. Sous nos yeux, des trajectoires et des êtres humains que Jeanne Herry juxtapose, relie, sans en oublier aucun et les actrices et acteurs sont éblouissants.

Avec JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES, Jeanne Herry s’inscrit dans la lignée d’un cinéma français social et humain à la Stéphane Brizé ou Emmanuelle Bercot et signe un film aussi dur que beau, mais nécessaire.

Sarah Benzazon

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Titre original : Je verrai toujours vos visages
Réalisation : Jeanne Herry
Scénario : Jeanne Herry
Acteurs principaux : Adèle Exarchopoulos, Miou-Miou, Leila Bekhti, Gilles Lellouche, Dali Benssalah
Date de sortie : 29 mars 2023
Durée : 1h58min
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