Photo du film L'inconnu de la grande arche - 3
Crédits : Agat Films, Le Pacte

L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, impossible n’est pas français

Note des lecteurs0 Note
4.5

Après La Fille au bracelet et Borgo, le réalisateur Stéphane Demoustier poursuit son travail remarquable de mise en lumière de la part de mystère de faits réels. Dans son dernier long métrage L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, il s’attache ainsi aux pas de Johan Otto Von Spreckelsen, l’architecte de la Grande Arche de la Défense à Paris, confronté à la culture française et à ses péripéties administratives, techniques, financières et politiques.

Un architecte danois face à la France

Dans son dernier long métrage L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, le réalisateur Stéphane Demoustier suit le parcours du Danois Johan Otto Von Spreckelsen (Claes Bang, remarquable), lauréat du concours d’architecture international de la Grande Arche de la Défense à Paris. En cette année 1983, il s’agit de l’un des projets phares du président François Mitterrand, au même titre que la pyramide du Louvre.

Pour le réalisateur, rencontré à Pessac lors de l’avant-première, « cette arche était une volonté présidentielle de mettre les moyens au service de la création, dans la continuité de l’état de grâce politique et budgétaire du début du septennat ».

Pouvoir, absurdité et esthétique

Le film porte d’ailleurs un regard subtil sur l’absurdité du pouvoir, grâce à Michel Fau, jubilatoire à l’écran, qui incarne ce président esthète qu’il n’imite ni ne parodie. Le réalisateur compare d’ailleurs l’acteur à Michael Lonsdale : « Il a sa musique, même quand il ne fait rien, extraordinaire de relâchement et de présence, plein de relief et irrésistible. »

Le film, adapté du roman La Grande Arche de Laurence Cossé, évoque donc les multiples aléas de ce chantier sous l’angle architectural et personnel, grâce au point de vue de Spreckelsen, inconnu en France.

L’art de filmer l’architecture

Et le défi est hautement relevé. Car il n’est pas si fréquent au cinéma de filmer la beauté de l’architecture et la vision d’un architecte, et encore moins de donner envie de les comprendre.

Stéphane Demoustier n’a pas fait d’école de cinéma, mais « son école a été de filmer des bâtiments et d’écouter des architectes ». Pour lui, « filmer l’architecture, c’est déjà poser des questions d’espace, car si la dimension est esthétique, elle est aussi politique et collective. Cet art devrait même s’enseigner à l’école, permettant aux élèves de s’éveiller à une sensibilité, au même titre que le dessin ».

Un homme de conviction et de mystère

L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, « propulsé sur le devant de la scène avec un projet plus grand que lui », discret même après sa mort, est passionnant. L’absence d’archives et de communication de son épouse – encore de ce monde – et de ses enfants permet au réalisateur de donner la part belle à la fiction, qui rend un très bel hommage à cet homme énigmatique.

À l’écran, Spreckelsen forme ainsi un binôme amoureux et professionnel de choc avec sa femme Liv (Sidse Babett KnudsenLa Fille de Brest), assistante qui veille sur les détails qui encombrent l’artiste. Elle le protège, le contient et répare souvent ses sautes d’humeur, parfois à ses dépens.

Si Spreckelsen est admirable d’être aussi farouchement attaché à des idées aussi essentielles, il a tort de ne pas suffisamment s’adapter, parce que ça lui coûte son projet et sa vie.

La confrontation au réel

Dédié à l’œuvre de sa vie, l’architecte va être sacrément chahuté et voir voler en éclats son ambition et son intégrité artistique en raison des travers typiquement français. Des travers administratifs, techniques, budgétaires et politiques symbolisés par deux personnages habitués à évoluer dans les méandres de tels chantiers et qui, paradoxalement, vont tantôt prendre sous leurs ailes l’architecte, tantôt lui mettre des barrières dans son travail.

Ainsi Subilon, administrateur en charge de la mise en œuvre du projet, personnalité inventée, fusion de plusieurs existantes, à laquelle Xavier Dolan prête ses traits, offrant par « son côté trublion, mobile, intrigant et ambitieux un contraste drôle avec les côtés monolithiques et sombres de Claes Bang ». Ou Paul Andreu (Swann Arlaud), l’architecte maître d’œuvre, plus pragmatique et adaptable, pour qui l’œuvre doit être mise avant l’architecte. Car L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE joue habilement sur les contrastes, aussi bien entre les personnages qu’entre les situations.

Une tragédie intime et collective

Le film partage brillamment l’impact de cette confrontation au réel sur l’architecte lui-même, mais également sur l’intimité du couple. Stéphane Demoustier a en effet l’art de susciter une forte empathie envers ses personnages, qu’on ne lâche pas d’une semelle malgré leurs défauts, tels Mélissa dans Borgo ou Lise dans La Fille au bracelet. Le réalisateur réussit à faire ressentir au spectateur ce qu’ils traversent et à les comprendre sans les aimer pour autant. Car habité, obstiné et complexe, Spreckelsen n’est pas sympathique. Mais son décalage, qui se transforme peu à peu en frustration, en désespoir et en solitude, le rend profondément attachant.

Grâce à un casting époustouflant, L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE se révèle donc une tragi-comédie originale, aussi touchante qu’instructive, donnant à voir comment un artiste dont l’art est étouffé par les contraintes peut aussi mourir du renoncement.

Sylvie-Noëlle

Auteur·rice

Nos dernières bandes-annonces

Rédactrice
S’abonner
Notifier de
guest

1 Commentaire
le plus récent
le plus ancien le plus populaire
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
trackback
Interview : les secrets de L’Inconnu de la Grande Arche par Stéphane Demoustier
4 novembre 2025 15 h 40 min

[…] L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, impossible n’est pas français […]

1
0
Un avis sur cet article ?x