Années 80. Spreckelsen, un architecte danois, est choisi pour diriger la construction de l’Arche de La Défense. Stéphane Demoustier nous livre les coulisses de L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, un film aussi divertissant qu’instructif. En salles le 5 novembre.
Un Danois sorti de nulle part, un chantier titanesque et une obsession pour le carré. Dans L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, Stéphane Demoustier raconte la construction hors norme du « Cube » de La Défense. Un récit aussi instructif que palpitant. Rencontre.
Une maison et quatre églises. Hilarité générale lorsqu’Otto von Spreckelsen présente son palmarès à un parterre de journalistes français. À peine sorti de l’avion, le voilà catapulté à la tête du projet phare de François Mitterrand : la construction de l’Arche de La Défense.
L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, en salles le 5 novembre, c’est « l’histoire rocambolesque » de cet homme venu de nulle part. « Sur le papier, c’est effrayant », sourit Stéphane Demoustier, son réalisateur. « Un film sur un architecte danois que personne ne connaît, au secours ! »
Un mystère à sonder
Après Borgo et La fille au bracelet, le cinéaste adapte le livre historique de Laurence Cossé. « Je l’ai lu avec le même suspense qu’un thriller. Je me demandais ce qui allait advenir après telle ou telle péripétie. »
Au centre de tout cela, Otto (Claes Bang). Avec sa silhouette élancée, son ardeur et son look sandales-chaussettes, le Danois détonne parmi les bureaucrates. « Dans le livre, on avait très peu de choses sur lui, c’était un mystère que j’avais envie de sonder. » Un homme simple, « qui pourrait être tout un chacun », et dont la vie bascule drastiquement.
C’est un personnage totalement romanesque, qui vient de rien. Spreckelsen a été élu par la grâce d’un dessin, sans stratagème. Il y a quelque chose de l’ordre de l’absolue pureté chez lui.
« Ça démarre comme un conte de fées, puis ça vire vers autre chose. » Car sur le chantier, les complications s’enchaînent : le marbre choisi est trop coûteux, le gouvernement change de bord politique, les sociétés suggérées ne conviennent pas… Mais Spreckelsen s’accroche, négligeant le reste. Derrière cet acharnement, une présence discrète mais décisive se dessine : sa compagne, Liv.

La femme de l’ombre
Dans une autre vie, Stéphane Demoustier prêtait son œil à la Cité de l’architecture, réalisant des films de commande pour elle. Lors de ces tournages, il a croisé une figure de l’ombre : « Soit la femme de l’architecte, soit une collaboratrice omniprésente. » Silencieuse, mais toujours là. « Elle était inconnue du grand public, mais jouait un rôle essentiel. Si elle était absente, l’architecte tombait, en quelque sorte. »
C’est de ce constat qu’est née Liv, épouse de Spreckelsen dans le film… et totalement fictive ! « Je ne voulais pas que ce soit une subalterne ou une assistante, mais quelqu’un qui fasse jeu égal avec lui. » Son interprétation par Sidse Babett Knudsen a été « salutaire » : « Elle a beaucoup de caractère et donne le change face à Claes Bang. »

Le carré, une forme omniprésente
« Le Cube, c’est l’œuvre de ma vie », déclare Spreckelsen. Un surnom qui sonne presque comme une marque d’affection. Il faut dire que le carré a jalonné sa carrière. « Toute son œuvre, si modeste soit-elle, est marquée par le carré. Il fallait qu’on rentre dans le cerveau de quelqu’un qui est obnubilé par cette forme. »
Une obsession qui a contaminé toute l’équipe : « On était assujettis au carré, mais on l’était bien volontiers », plaisante le cinéaste. À commencer par le format du film, tourné en 1.37. « C’était assez amusant de construire l’image avec ça à l’esprit, car ça structure la pensée. »
Animer des images d’archives
Comment retranscrire un tel gigantisme ? Après tout, L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE, « c’est l’histoire d’un type qui est écrasé par sa propre œuvre ». Impossible de reproduire le chantier numériquement : « on n’avait pas les moyens, et ça ne m’intéressait pas de le faire. »
En attendant de trouver une solution, l’équipe a visionné quantité d’images d’époque. Des visuels de « très bonne qualité », que la coordinatrice des effets visuels, Lise Fisher, s’est proposée d’animer. « Nous n’y avions pas pensé, c’était une idée géniale », admet Stéphane Demoustier.
La photo devient le cadre du film : Lise a mis nos personnages dedans, puis a animé les éléments de l’image pour que ça devienne un plan de cinéma.
Les plans serrés en sont une bonne illustration : « On a reconstruit ce qu’il y avait dans l’arrière-plan, puis complété au-dessus de leurs têtes avec les effets visuels. » Un travail collectif, mobilisant aussi bien les équipes en charge des VFX, de la décoration que le chef opérateur.

La pluie ? « Une aubaine »
Quant à donner corps au chantier, c’est la météo qui a fait le travail ! « Il a beaucoup plu sur le tournage. Ça a été une aubaine », s’en réjouit Stéphane Demoustier. « Ça nous rappelle le caractère premier de la construction : bâtir sur la terre. » À l’instar de ces scènes où les personnages avancent dans une boue épaisse, souillés jusqu’aux chevilles.
Puis les gouttes ont cessé. Le ciel s’est éclairci, pile à temps pour le « pic du tournage » : cette scène en bas des Champs-Élysées, où Spreckelsen et Mitterrand assistent à une simulation de l’Arche, pour voir à quoi ressemblera ce nouveau monument qui s’inscrit dans l’axe royal de Paris.
Il était nécessaire de tourner sur les Champs, pour comprendre l’échelle du projet, son envergure et le lieu hautement patrimonial où l’Arche allait se situer.
Une scène essentielle, au point d’avoir été choisie pour l’affiche du film. « Nous avons eu l’autorisation de bloquer un tronçon des Champs-Élysées pendant trois heures, un dimanche matin. On y a fait tourner 200 voitures d’époque, puis on a placé nos figurants des deux côtés », se souvient Stéphane Demoustier. Le soleil est resté ce matin-là. « Je me suis dit que l’état de grâce était là, qu’on allait peut-être réussir à faire ce film. »

Un quartier peu aimé de Paris
Au-delà de l’histoire d’un homme, L’INCONNU DE LA GRANDE ARCHE raconte aussi un endroit : La Défense. « J’ai l’impression que personne n’a vraiment de rapport intime avec ce lieu, parce que c’est un quartier d’affaires assez impersonnel, assez froid. » Et d’ajouter : « En plus, on n’a pas d’histoire liée à La Défense puisqu’il ne s’y passe rien. Ça devait être un lieu public, mais ça ne l’est pas. »
Pas pour Stéphane Demoustier, qui, désormais, regarde son Cube avec une certaine affection : « Il paraît presque modeste à côté de ces grandes tours qui montrent leurs muscles. Je le trouve beau, plus touchant que le reste. »
Lisa FAROU




