Petite princesse chérie de l’Amérique, Taylor Swift est souvent vue comme l’incarnation de la réussite. Mais derrière ces nombreuses récompenses se cache un idéal infernal : celui de la perfection.
J’étais au collège lorsque j’ai entendu Love Story pour la première fois à la radio. À l’époque de Disney Channel et de la pop acidulée pour adolescentes, cette chanson country aux paroles de contes de fées sortait de l’ordinaire. Son interprète, une petite blonde à la chevelure de lionne, ne se doutait certainement pas qu’un jour elle serait sacrée « artiste de la décennie ». Et pourtant, Taylor Swift, alors âgée de 20 ans, visait déjà l’inatteignable : la perfection. Une préoccupation aussi formatrice que destructrice.
Il y a beaucoup de moments intéressants dans MISS AMERICANA, mais rien n’est aussi saisissant que l’obsession de Taylor Swift pour l’excellence. D’autant plus que celle-ci est soulignée en permanence puisque malgré le regard bienveillant de la réalisatrice Lana Wilson (The Departure, After Tiller), le documentaire s’ouvre sur un échec : celui de la chanteuse lorsqu’elle apprend en 2017 que Reputation, son dernier album, n’a pas été nommé aux Grammys. Contre toute attente, l’artiste réagit calmement et en conclut que cet échec résulte de son unique responsabilité et que « [son] prochain album devra être meilleur« . Si la déception n’est pas flagrante sur le visage de Taylor Swift, c’est uniquement parce que son obsession pour la perfection l’oblige à se retenir.
Très tôt labellisée comme la petite princesse des États-Unis, Taylor Swift s’est confortée dans ce rôle de « gentille fille parfaite » qui plaît à tout le monde. Adorée par les grands-parents dont elle incarne les valeurs conservatrices en raison de ses origines texanes, respectée par les parents qui voient en elle un modèle pour leurs enfants et idolâtrée par ces derniers qui veulent lui ressembler à tout prix… Si cette pression peut sembler anxiogène, elle est pourtant tout ce dont la chanteuse a toujours rêvé puisque sa carrière n’est en réalité qu’une extension de son besoin insatiable d’être reconnue et admirée de tous. Frôlant le narcissisme, la jeune femme raconte s’être toujours nourrie de la satisfaction et de l’admiration des gens qui l’entourent.
Mais derrière cette fausse autolâtrie qui exige l’excellence de soi, se cache en réalité un nouveau mal de l’Amérique : le perfectionnisme. Comme une part croissante de la jeune génération, Taylor Swift souffre de ce trait de personnalité caractérisé par une relation extrêmement critique envers soi-même. Les individus souffrant de cette pathologie se définissent des normes élevées et recherchent l’excellence à tout prix jusqu’à mettre leur santé en danger. En évoquant pour la première fois ses troubles alimentaires face à une caméra, la chanteuse explore les limites de son obsession pour la perfection et l’approbation des autres.
Malgré un chronologie difficile à suivre, MISS AMERICANA tente de montrer comment l’anorexie et les problèmes familiaux de Taylor Swift l’ont progressivement poussé à réaliser qu’elle n’était pas parfaite mais surtout qu’elle ne pouvait pas l’être. Dès lors, fière de cette révélation, la chanteuse dévoile comment elle a graduellement réussi à se libérer de la cage dans laquelle son obsession l’avait enfermée. Évoquant tour à tour les affaires Kanye West et David Mueller, la jeune femme explique son émancipation en tant qu’artiste féministe mais également son engagement politique.
Pour une grande partie de son public, des doutes s’étaient glissés au fil du temps concernant l’authenticité et les motivations de la chanteuse. Dans quelle mesure le nouvel intérêt de Taylor Swift pour la politique était-il authentique ? Son entrée soudaine dans le paysage LGBTQ+ via un clip haut en couleurs était-elle sincère ? Comme une réponse à tous les fans qui doutaient de sa sincérité, MISS AMERICANA illustre la façon dont la jeune femme a réussi à s’émanciper en soutenant le candidat démocrate Phil Bredesen face à la républicaine Marsha Blackburn en 2018. Auparavant, si Taylor Swift aurait évité des sujets aussi dangereux qui aurait pu lui coûter une partie de son public, elle prend aujourd’hui des risques en s’engageant politiquement et socialement.
Néanmoins, s’est-elle réellement libérée de son perfectionnisme ? Si Taylor Swift tente de montrer la façon dont elle s’est émancipée en tant que femme et en tant qu’artiste, ce n’est que pour souligner la manière dont elle a réussi à s’inscrire du « bon côté de l’Histoire » en s’impliquant dans des causes importantes aux États-Unis. Un choix certes risqué mais qui sur le long-terme pourrait rapporter beaucoup plus à la chanteuse comme l’illustre son récent sacre en tant qu’artiste de la décennie qui prend en compte l’utilisation de sa plate-forme pour sensibiliser aux injustices sociales. Si certains pourrait voir dans ces changements une manœuvre de communication, MISS AMERICANA réussit à témoigner de la sincérité de la chanteuse et ce, malgré le manque d’objectivité du documentaire.
En effet, le film de Lana Wilson se révèle être très peu critique envers la chanteuse si ce n’est concernant ses problèmes de confiance en elle et ses troubles alimentaires. En raison de l’absence d’une troisième partie, MISS AMERICANA manque malheureusement du recul qu’il lui aurait fallu pour compléter ce portrait de la chanteuse qui ne fait que mettre l’accent sur les idées que le public pouvait déjà avoir d’elle : c’est une jeune femme perfectionniste et accomplie au point d’en devenir agaçante. Mais malgré cet aspect hagiographique, Lana Wilson réussit à donner une honnêteté touchante à Taylor Swift : une femme ambitieuse, intelligente et drôle qui transporte son chat dans un sac à dos.
Sarah Cerange
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• Réalisation :Lana Wilson
• Date de sortie : 31 janvier 2020
• Durée : 85 min