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Photo 2 Never Rarely Sometimes Always - NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS, not a Girl, not yet a Woman - Critique
© Focus Features, LLC.

NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS, not a Girl, not yet a Woman – Critique

Écrit et réalisé par Eliza Hittman, porté par le visage vulnérable et tourmenté de la jeune Sidney Flanigan, NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS brosse le portrait sensible et pudique d’une jeunesse mal informée, livrée à elle-même, mais surtout d’une Amérique trumpienne en retard sur la question de l’avortement. Un drame délicat, habité par un corps féminin en quête d’émancipation.

Deux adolescentes, Autumn (la bouleversante Sidney Flanigan, dont c’est le premier rôle) et sa cousine Skylar (Talia Ryder) travaillent comme caissières dans un supermarché rural de Pennsylvanie. Autumn doit faire face à une grossesse non désirée. Ne bénéficiant d’aucun soutien de la part de sa famille et de la communauté locale, les deux jeunes femmes se lancent dans un périple semé d’embûches jusqu’à New York, où l’avortement des mineures est autorisé sans accord parental.

Grand Prix du jury au dernier festival de Berlin, NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS, troisième long-métrage de la cinéaste américaine Eliza Hittman — découverte avec le récit d’apprentissage It Felt Like Love en 2013 —, répond à Unplanned sorti l’année dernière, en abordant le droit à l’avortement, sujet extrêmement sensible aux États-Unis malgré sa légalisation en 1973, à travers le portrait émouvant d’une adolescente introvertie, solitaire et démunie qui refuse sa maternité.

La réalisatrice de Les Bums de Plage capte ici avec une grande pudeur la détresse de cette héroïne moderne en quête d’émancipation. En effet, délaissée par des parents absents et cherchant désespérément de l’aide auprès d’une clinique qui n’hésite pas à lui mentir, Autumn n’éprouve que du dégoût pour cet étranger qui l’habite depuis plusieurs semaines, prend petit à petit possession de son corps, et par-dessus tout, qu’elle n’a pas « choisi ».

Bien que la plupart d’entre elles restent sans réponse — le dénouement de NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS semble curieusement ne rien résoudre, car aussitôt le calvaire fini et à peine entrée dans l’âge adulte, l’adolescente retourne à la vie monotone qu’elle avait si vaillamment abandonnée, l’amitié et la complémentarité qui unissent les deux cousines ne sont probablement pas traitées en profondeur.. —, le film pose les bonnes questions.

Photo du film Never Rarely Sometimes Always
© Focus Features, LLC.

Il y a d’abord cette nette rupture entre les teintes ternes et froides de la Pennsylvanie rurale et la lumière nocturne de la grosse pomme, sublimée par la photo de Hélène Louvart (Corpo Celeste, Les Merveilles, Heureux comme Lazzaro). Vient ensuite la scène la plus marquante, celle de l’interrogatoire : « Avez-vous déjà subi des rapports sexuels non consentis ? », « Avez-vous déjà été violentée par votre partenaire ? », « Avez-vous déjà eu des pratiques à risques ? »… Chaque silence vient rythmer cet habile plan-séquence qui donne son titre au film tandis que la jeune fille, murée dans des non-dits, s’enferme dans son mutisme, laissant hors-champ toute sa souffrance, son passé et ses expériences douloureuses. La gradation allant de « jamais » à « toujours » prend alors tout son sens.

Cette fugue précipitée vers la mégalopole est aussi une fuite vers l’apprentissage de la féminité dans l’Amérique hostile et machiste de Trump ; lors de leur périple en car puis en métro, les deux adolescentes doivent encaisser de multiples agressions. À l’image de leur patron au comportement douteux ou de l’étudiant embarrassant — interprété par Théodore Pellerin —, qui tente de séduire Skylar, les personnages masculins ne font que passer et n’ont pas le beau rôle. Enfin, au centre du film, erre le corps nonchalant et incompris de l’actrice principale traînant derrière elle une valise remplie de secrets.

Malgré les quelques moments creux et défaillances du scénario (notamment les karaokés mélancoliques qui n’aboutissent pas), Eliza Hittman signe un drame à la fois puissant et délicat. Emportée par la charge militante de son sujet, la réalisatrice filme la solitude, dénonce frontalement et sans fioritures les mouvements anti-avortement américains en s’intéressant davantage à la portée et à l’expérience du voyage qu’à l’issue du parcours initiatique de la jeune Autumn. NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS révèle le visage impassible et vulnérable de Sidney Flanigan, dont la performance vaut le détour.

Sévan Lesaffre

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Affiche Never Rarely Sometimes Always - NEVER RARELY SOMETIMES ALWAYS, not a Girl, not yet a Woman - Critique
Titre original : Never Rarely Sometimes Always
Réalisation : Eliza Hittman
Scénario : Eliza Hittman
Acteurs principaux : Sidney Flanigan, Talia Ryder, Théodore Pellerin
Date de sortie : 19 août 2020
Durée : 1h42min
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