Avec SONGE, attendu en salles le 2 avril 2025, Rashid Masharawi, réalisateur déjà remarqué pour Ground Zero (2002), propose un récit apparemment modeste mais d’une profondeur remarquable. Trois personnages, Sami (Adam Bakri), son oncle Kamal (Saleh Bakri) et sa cousine Maryam (Emilia Massou), partent à la recherche d’un pigeon disparu. Cette quête simple devient rapidement le fil conducteur d’un voyage initiatique où chaque rencontre dévoile, en filigrane, les blessures et les tensions d’une région marquée par le conflit.
Une mise en scène subtile
Dès les premières images, la mise en scène de Masharawi joue habilement sur deux registres : la légèreté d’une quête enfantine et la profondeur d’un drame sous-jacent. Les paysages calcaires aux teintes chaudes de jaune et de vert, tout comme l’enchaînement familier de l’action — sans rupture de ton ni effets spectaculaires — renforcent d’abord cette impression de conte ou de fable. Mais derrière cette légèreté, des tensions discrètes se dessinent et viennent alourdir peu à peu l’atmosphère. Ce contraste émerge progressivement grâce aux nombreux personnages croisés en chemin, dont chacun porte un fragment d’histoire ou de blessures collectives.
Entre road movie et récit initiatique
Le film emprunte tour à tour les codes du road movie — un périple ponctué de rencontres imprévues, à l’image de Into the Wild (Sean Penn, 2007) ou Little Miss Sunshine (Jonathan Dayton et Valerie Faris, 2006) — et ceux du récit initiatique, où un personnage sort grandi d’une succession d’épreuves, comme dans Hunt for the Wilderpeople (Taika Waititi, 2016) ou Moonrise Kingdom (Wes Anderson, 2012). En effet, ici, le regard ingénu de Sami devient le prisme principal du récit. Pourtant, à certains moments, il fait preuve d’une maturité déconcertante, laissant deviner une enfance quelque peu volée. Le film trouve son équilibre en faisant cohabiter ces deux tonalités : la quête du pigeon nous plonge dans le monde candide et décontextualisé de Sami ; mais chaque rencontre, même brève, avec des personnages marqués par le passé, laisse affleurer une douleur commune, jamais nommée explicitement.
Un trio porteur de sens
Le scénario, sans jamais forcer son propos, tisse ces contrastes avec finesse. La disparition du pigeon devient le symbole d’un déracinement profond, la quête d’un foyer perdu. Kamal, l’oncle, porte sur ses épaules des cicatrices silencieuses, entre tendresse et remords ; Maryam incarne la jeunesse qui refuse de renoncer à ses ambitions malgré un contexte pesant ; et Sami, enfin, représente l’innocence et la pureté encore intactes malgré un environnement hostile — un regard qui nous rappelle ce que la guerre et l’exil finissent par voler aux plus jeunes.
Rashid Masharawi semble ainsi proposer trois visions complémentaires des conséquences du conflit au Moyen-Orient : Sami est celui qui a été protégé et reste préservé ; Maryam, elle, construit son ambition en réponse à ces événements, décidée à devenir reporter pour porter la voix des peuples déracinés ; enfin, Kamal est la figure brisée, celle de l’adulte traumatisé, replié dans ses silences et incapable d’espérer. Ce trio compose une partition sensible et juste, où chacun révèle ses failles et sa place dans ce voyage initiatique.
En conclusion, SONGE est un film discret mais profondément marquant. Il offre une réflexion délicate sur la perte et l’exil, tout en laissant place à une forme de poésie et d’espoir. Derrière la simplicité de l’histoire, c’est toute la complexité d’une région et de ses traumatismes qui nous bouscule, sans discours appuyé, mais avec une sensibilité rare. Un film qui reste en mémoire, parce qu’il sait montrer sans expliquer.
Nathan DALLEAU