En compétition à Cannes. Sergueï Loznitsa revient avec un long-métrage de fiction centré sur les purges staliniennes. Au cœur du récit, un procureur idéaliste bien décidé à faire éclater la vérité.
Union soviétique, 1937. Alexander Kornev vient tout juste d’être nommé procureur. Une aubaine pour ce jeune homme à peine sorti des études. Manteau bien boutonné, col de chemise immaculé, chapeau impeccable… Son sens de la justice est à l’image de son apparence : d’une droiture exemplaire.
Le garçon exerce avec rigueur, sans se douter qu’à quelques kilomètres de là, l’injustice sévit. Que la terreur stalinienne est à son apogée. Et que les prisons débordent d’innocents, accusés à tort par le régime. Quand la lettre d’un détenu arrive jusqu’à son bureau, Kornev décide de mener l’enquête.
Une reconstitution méticuleuse
Du documentaire à la fiction, il n’y a qu’un pas. Ou plutôt, qu’un seul changement. « La seule différence, c’est le budget ! », s’est exclamé le réalisateur Sergueï Loznitsa lors de la conférence de presse. Alors d’un genre à l’autre, il veille à mettre la même méticulosité.
Outre le soin apporté aux décors, le travail de reconstitution est perceptible dans la colorimétrie. Jaune, bleu… et autres couleurs chatoyantes sont proscrites. La ville de Briansk se dévoile dans un alliage de gris et de marron. Quoique le choix tienne plus de l’immersion – retranscrire l’atmosphère sordide de cette période – que de la fidélité historique !
L’oppression se ressent jusqu’au format de l’image, qui tire vers la verticalité. Une façon d’enfermer le spectateur dans le cadre, au même titre que les milliers de détenus de cette prison.
Idéaliste, mais pas naïf
Parmi ces hommes enfermés, peu le sont pour des raisons justifiées. Prenez ce vieillard, celui chargé de brûler les missives écrites par les prisonniers. Oui, celui que les gardes qualifient d’« ÉSN » – « Élément Socialement Nuisible ». Avec son pantalon trop grand et ses mains ridées, difficile de croire qu’il puisse mettre en danger le régime. Mais comme beaucoup d’autres, un prétexte fumeux lui a valu un séjour au mitard.
Une injustice qui n’échappe pas aux yeux (d’un bleu envoûtant) de notre protagoniste – Alexandre Kouznetsov, déjà vu dans Mon légionnaire (Rachel Lang, 2021). On y décèlerait presque de l’enthousiasme, comme un enfant déterminé à percer des secrets trop bien gardés.
Pour le spectateur, ces purges semblent évidentes. « Comment Kornev peut-il passer à côté d’une chose pareille ? » se demande-t-on pendant le visionnage. « On le trouve naïf », confirme Sergueï Loznitsa. Et d’ajouter que tout est une question de point de vue. Le cinéaste invite à adopter un autre regard : « Même si nous en sommes stupéfaits aujourd’hui, il faut le voir avec les yeux de l’époque. Pas avec ce que l’on sait aujourd’hui. » Un point qui fera assurément débat, mais que le réalisateur préfère balayer en riant : « C’est une question philosophique ! »
De son côté, Alexander Kuznetsov préfère le terme d’« idéaliste » : « Il refuse de croire qu’un mal pareil ne puisse être éradiqué. » Alors il enfonce les portes avec une détermination sans faille.
Étonnamment drôle
Un protagoniste qui, par son sens de la justice, en devient presque comique. Non pas dans un sens moqueur. Mais plutôt par ce surprenant alliage entre candeur et affront qu’il dégage. Oui, son visage est doux. Oui, il ne monte pas le ton. Mais dans les dialogues, il tiendra tête jusqu’au bout, y compris face aux plus grands.
Alors entre les forces de l’ordre qui inventent mille excuses pour faire fuir le procureur, et le principal concerné qui leur résiste, on se surprend parfois à rire.
Lisa FAROU