Du 5 au 10 décembre, le PARIS INTERNATIONAL FANTASTIC FILM FESTIVAL donnait rendez-vous aux amateurs de cinéma de genre, en tous genres. Retour sur une programmation éclectique où les effusions de sang n’empêchent pas forcement les sentiments.
Réussite incontestable pour la septième édition du Paris International Film Festival qui s’est tenue cette année au cinéma le Max Linder. Lors de la clôture, Cyril Despotin, le directeur délégué du festival s’est d’ailleurs réjoui d’un record de fréquentation, enregistré à plus de 10 000 entrées. On doit cette réussite à une programmation judicieuse qui rend au principe de la séance cinéma ses lettres de noblesse en tant qu’événement culturel et expérience digne de marquer les mémoires. « Profite-bien de la séance, car pour revoir ce film sur grand écran après ça, bonne chance ! » En effet, entre projections de films cultes des eighties et perles rares condamnées au DTV en 2018, les six jours du PIFFF représentent une occasion immanquable de célébrer le cinéma de genre(s) dans des conditions optimales.
Ainsi un film comme LEATHERFACE, prequel de Massacre à la tronçonneuse réalisé par les frenchies Alexandre Bustillo et Julien Maury, trouve ici la chance d’étaler toute sa violence sur grand écran, avant sa sortie en blu-ray et VOD le mois prochain. « Merci de vous êtes déplacés alors que le film est disponible sur internet depuis trois mois, c’est là qu’on reconnaît les vrais ! » lance Julien Maury au public. Public qui restera par ailleurs dubitatif devant le résultat charcuté (c’est le cas de le dire) par Millenium Films. Et il faudra attendre la projection de scènes coupées et les explications des deux cinéastes après la séance, pour comprendre comment le studio américain a gardé le contrôle sur le « produit » LEATHERFACE, quitte à contredire totalement les intentions artistiques initiales des réalisateurs. Cependant, Bustillo et Maury déclarent ne pas regretter cette expérience professionnelle, mais préfèrent décliner d’autres contrats de la sorte aux Etats-Unis, pour tenter de porter à bien des projets en français. On va peut-être pas entonner La Marseillaise pour autant, mais cette déclaration fait plaisir à entendre et mérite franchement les applaudissements qu’elle a suscités.
Un festival est également l’occasion pour les courts-métrages de se frayer un chemin jusqu’au public entre deux longs. Si les festivaliers ont voté cette année pour SCARAMOUCHE, SCARAMOUCHE d’Arthur Môlard où un boogeyman joue à 1,2,3 soleil pour atteindre sa jeune proie, deux autres films sélectionnés ont davantage retenu mon attention. Parmi les six courts-métrages de la sélection, LA BAIE réalisé par Joris Laquittant représentait sans doute la proposition de « genre » la plus soft, laissant planer une atmosphère fantastique ambiguë plutôt que de l’exposer directement à l’image. Ce choix tout en finesse permet d’installer une narration nimbée de mystère en faisant confiance au potentiel évocateur du décor de la baie de Somme. Dans une esthétique et une narration très différentes, LA CHAMBRE NOIRE de Morgane Segaert serait à considérer comme un héritier plus direct du conte gothique, principalement par son regard à hauteur d’enfant. La maladie et la mort d’une mère apparaissent ainsi d’autant plus cruels que l’émotion de la jeune héroïne est exacerbée par l’écrin du fantastique, dans ce qu’il est fondamentalement, soit une zone de tension entre merveilleux et épouvante. Si des festivals comme Strasbourg, Gerardmer, le BIFFF et le PIFFF m’ont prouvé qu’une nouvelle génération de cinéastes entendait bien insuffler du « genre » dans le cinéma français, dans la plupart des cas, le terme « fantastique » reste un abus de langage. Rares sont encore les réalisateurs qui osent s’aventurer dans le surnaturel et le merveilleux macabre en convoquant l’héritage gothique et ses créatures fascinantes à l’écran. Voilà pourquoi il faut suivre de près et encourager des démarches poétiques comme celle de Morgane Segaert.
Du côté des Séances Cultes, on notera que la tendance « années 80 » portée par Stranger Things, Ready Player One et Ça, s’infiltre jusque dans la salle du Max Linder, où des nostalgiques des divertissements de l’époque sont venus déguster les friandises JACK BURTON DANS LES GRIFFES DU MANDARIN, et 3615 CODE PÈRE NOEL. Tradition oblige, le PIFFF se devait de programmer comme les années précédentes, un film de John Carpenter ; et cette année, on est tombé sur ce monument de fun qui, à en croire la jubilation du public, n’a rien perdu de son charme lors du voyage temporel qui l’a amené juste nous. Dans un cas comparable à celui du film de Carpenter, le film de René Manzor apparaît aujourd’hui comme ce type de friandise visuelle que l’on revoit avec plaisir et tendresse, surement grâce à leur patine eighties. Un enfant armé de gadgets et surdoué en informatique face à un fou dangereux déguisé en Père Noel, si ça c’est pas un cinéma hollywoodien des années 80 !…Ah, on me signale dans l’oreillette que le film n’est pas américain, que Spielberg n’a rien à voir là-dedans, que c’est en réalité un OVNI du cinéma français, d’où l’intérêt de cette redécouverte. A noter que 3615 CODE PÈRE NOEL est sorti le 12 décembre en Blu-ray dans une magnifique édition de l’éditeur Le Chat qui fume.
Quand Fausto Fasulo, rédacteur en chef de Mad Movies et programmateur du PiFFF, pointe le bout de sa barbe sur l’estrade, on devine qu’il sera question de cinéma japonais, dans ce qu’il a de plus halluciné et de plus épique. Invoqué comme un démon goguenard œuvrant depuis une dimension parallèle où tous les délires sont permis, Takashi Miike se devait d’apporter sa part de folie à la cuvée 2017. Parmi les 253 films que Miike a tournés ces derniers mois, Fasulo et Despotin ont retenu JOJO’S BIZARRE ADVENTURE : DIAMOND IS UNBREAKABLE, certainement pour la simplicité de son titre. Adapté du manga de Hirohiko Araki, cette excentricité un tantinet queer cherche à tout prix à transposer les codes visuels et narratifs de son média d’origine. Parfois le grotesque reste grotesque, à d’autres moments il est mis en relief par un ton héroïque et éhontément poseur, et c’est justement dans ce mélange des dynamiques que le délire prend toute sa saveur. Pour clôturer le festival de manière grandiose, les organisateurs ont eu la bonne idée de miser sur une autre immense figure de la culture nippone, en programmant SHIN GODZILLA où le plus célèbre des kaiju (monstres géants) reprend du service dans un Japon post-Fukushima. À la fois métaphysique, politique et poétique, le film de Hideaki Anno et Shinji Higuchi s’impose comme un des blockbusters les plus spectaculaires et les plus inspirés de la décennie.
Nous aurons l’occasion d’évoquer TIGERS ARE NOT AFRAID, lauréat du grand prix dans une critique détaillée afin de faire pleinement honneur à cette fable sociale viscérale signée par la mexicaine Issa Lopez. Le plébiscite du public pour cette œuvre d’auteur témoigne d’une impression générale quant au potentiel du festival qui ne demande qu’à monter en puissance. Le juste équilibre d’une programmation comme celle du PIFFF permet de convier autour d’un même amour pour le cinéma, diverses formes de cinéphilies. Aux aficionados de l’étrange et de l’interlope, s’ajoutent les nostalgiques venus refaire un tour du côté de chez Carpenter, les assoiffés de sang venus frissonner devant la radicalité cathartique d’un REVENGE ou d’un LEATHERFACE, les geeks se réjouissant devant l’animation franco-japonaise de MUTAFUKAZ, et tant d’autres humanoïdes qui cette semaine de décembre, n’avaient rien de mieux à faire que de voir de bons films. Bien joué !
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