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Quand le cinéma a le syndrome du colon irritable

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L’année 2016 et début 2017 ont été plutôt fournies en polémiques à caractères raciaux, notamment aux Etats-Unis, où certains policiers ont les doigts épileptiques au contact d’une gâchette dès qu’ils croisent un noir dans les parages mais aussi en France où l’affaire Adama, l’affaire Théo et d’autres attendent encore leur justice. Aux US, le mouvement BlackLivesMatters a remis un coup de projecteur sur les problèmes de racisme multiséculaires du pays ; En France la lumière tarde à venir.

Puisqu’on parle de projecteur, c’est justement sur le média cinéma que je souhaite me pencher dans cet article car loin d’être cantonné aux faits divers, le racisme impacte toutes les strates de la société.

Le paradoxe des salles obscures : l’écran blanc ?

Il semble que l’affaire dite des « Oscars So White », bien que rapidement noyée dans le torrent médiatique devait inaugurer une période de remise en question.

Une en particulier

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En parallèle, le film de Nate Parker , La naissance d’une nation sortait grand primé de Sundance, comme un fier bras d’honneur face aux idées vieillissantes de certains académistes. Un écho audacieux au premier film éponyme de D.W Griffith et une façon de rappeler que c’est dans la douleur que s’est construit la nation américaine. Le jeune réalisateur ne manquait d’ailleurs pas de rappeler qu’Hollywood s’était construit aussi sur le racisme et qu’il n’était donc pas surprenant que le poison se retrouve dans le fruit.

Je vais essayer de dépasser le stade du billet d’humeur pour que mon propos garde sa pertinence. Il faut bien sur éviter d’être réducteur néanmoins on ne peut nier que le 7e art soit en partie vicié par des visions racistes de la part des majors du secteur. Récemment, c’est l’actrice chinoise Constance Wu qui s’insurgeait contre le film  La Grande Muraille de Zhang Yimou et accusait la production de « Whitewashing ». En question le premier rôle donné à Matt Damon, le sauveur de la Chine. Elle dénonçait par là le mythe véhiculé dans les grosses productions que « seul un homme blanc peut sauver le monde ». Bon sauf Will Smith qui a cumulé pas mal de white privilege : Sauver le monde d’une invasion extra-terrestre, être le quasi-seul survivant de l’humanité, être un héros du Far-west et être trader à Wall-Street ! En tout cas le public a été sacrément biberonné avec les visions stéréotypées des majors.

Hollywood et le reste du monde

A ce stade la question n’est plus de savoir si le Whitewashing est un mythe ou une réalité mais nous allons quand même repartir de la base.

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Le cinéma Hollywoodien est une machine à Blockbusters qui aime bien se nourrir des clichés. Le point d’orgue de la culture mainstream, c’est évidemment de toucher le plus large public possible mais la prétention des blockbusters est déjà de satisfaire le marché interne américain. Et Même si je me permets de faire des raccourcis, les Etats-Unis se sont d’abord revendiqué comme une nation de White Anglo-Saxon Protestants et c’est de ce moule qu’est né l’idée du patriote américain. Les premiers films tournés à Hollywood sont justement ceux de D.W Griffith dont La Naissance D’une Nation provoque la controverse pour son discours raciste et son apologie du Ku Klux Klan. Des années plus tard, Hollywood continue de contribuer à définir les standards du cinéma.

Une affirmative action à double tranchant

Lorsque Ridley Scott avait sorti son Exodus, une partie du public, dont moi, s’était indigné de son casting super-white. On s’accordera volontiers sur le fait que les égyptiens antiques n’avaient pas le type européen. Pourtant d’aussi longtemps que je me souvienne, les rôles d’égyptiens dans les peplums ont toujours été attribués à des caucasiens. Le pire avec Exodus, c’est qu’il y a eu des noirs castés mais pour des rôles d’esclaves ou de serviteurs uniquement.

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Attaqué sur cette question, Ridley Scott avait répondu qu’il n’aurait pas pu lever de financement pour son film sans acteur blanc connu. Oui, c’est précisément là que le bât blesse.

Et on peut citer de nombreux cas de blanchissement dans le cinéma depuis belle lurette, de Blood Diamond à Ghost in the Shell.

D’aucuns me diront qu’aujourd’hui, il y a des noirs, des latinos, des asiatiques…bref de la diversité, dans toutes les grosses productions hollywoodiennes. Merci l’affirmative action. C’est d’abord par ce subtil forçage de mains que le paysage Hollywoodien s’est voulu plus cosmopolite, mais si cela soigne bien la vitrine, le fond reste plus problématique. On ne sort pas des cases, ni de l’hypocrisie. Grand nombre de décideurs actuels sont encore de l’ancienne école. Sous des faux airs de politiquement correct, on retrouve souvent des vieux racistes aux idées plus arrêtées qu’un panneau Stop. D’ailleurs, jusqu’à maintenant, les logiques de l’affirmative action régulent toujours la société américaine dont le Melting Pot n’est toujours pas spontané, y compris dans les médias.

La volonté de perpétuer les standards est facilement identifiable sur certains projets. Par exemple la polémique autour du nouveau James Bond. Pressenti pendant un temps, Idris Elba avait finalement été écarté du rôle car jugé « trop street » ou encore pas assez « blanc et écossais ». Et pour en rajouter une couche, le même Idris Elba se faisait de nouveau alpaguer pour son rôle du Pistolero dans l’adaptation du roman de Stephen King, La Tour Sombre. Une histoire comme quoi le personnage original est un blanc aux yeux bleus.

Oui, mais un pharaon joué par Joel Edgerton, ça passe ! Un peu comme Michael Jakson joué par Joseph Fiennes ! Faudrait peut-être pas trop prendre le public pour des cons, attention.

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Le génie et le sournois de l’industrie US reste sa capacité de créer de beaux écrans de fumée pour faire croire que les barrières d’hier n’existent plus. En voyant des castings plus colorés, on a tendance à penser que le cinéma en lui même s’est totalement démocratisé. Ce n’est pas complètement faux, mais c’est malheureusement loin d’être encore assez vrai.

Vers plus de diversité dans le cinéma ?

Mais le modèle hollywoodien c’est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt. Les blockbusters aiment tellement tirer à eux la lumière médiatique qu’on en négligerait presque l’impressionnant nombre de films qui passent inaperçus du grand public. En moyenne, plus trente-mille films sont produits chaque année dans le monde mais seul quelques centaines parviennent à obtenir des contrats de distributions internationaux. Quelques dizaines de gros deals internationaux avec des marques pour assurer une promo maximale ; c’est le point d’achoppement entre business et culture.

Le cinéma indépendant est sans doute le meilleur vecteur d’idées nouvelles. Comme en politique, les grosses instances du cinéma aiment bien calibrer le discours officiel. Or dans le cinéma indépendant, il n’existe pas forcément de carcan généralisé, il y a une liberté de ton que peinent à s’offrir les grosses productions.

C’est aussi un des changements importants liés à l’essor d’internet. Il est devenu beaucoup plus facile de créer et de diffuser du contenu, et plus compliqué de filtrer et censurer ces dits contenus. Cela a également introduit de nouveaux marchés trop facilement négligés par les circuits de distribution traditionnels.

Maintenant parlons un peu de la France

Nous ne sommes pas en reste sur la question bien au contraire. On est en fait pire que les USA puisque nous ne sommes pas passé par la case quota. Non, nous sommes beaucoup plus chauvins.

« La France est une société métisse, mais c’est une réalité qui ne se reflète pas dans son cinéma. »

Un grand nombre de films jugés trop communautaires par certains distributeurs, à l’instar des comédies « black » américaines, ou non, comme Friday ou Barber shop ne parviennent pas à se frayer un chemin jusqu’à nos salles françaises et son reléguées au DTV. Pourtant il existe un vaste public pour ces films. Pourquoi une comédie comme Barber-shop 3 a-t’elle été éclipsée à l’export ? Ça valait bien Les Visiteurs 3 ou Grimsby agent spécial. Le film, bien équilibré entre la comédie, la fresque sociale, et le message politique. Le film aborde la thématique de la violence dans les quartiers et de l’action citoyenne en réponse à ces problèmes, ce qui est tout aussi pertinent pour un public français que pour un public américain. Pourquoi vouloir en faire un film communautaire plutôt qu’un film ?

Autre exemple d’actualité : All Eyez On Me, le biopic sur Tupac ne sortirait à priori pas en France car aucun distributeur français ne se serait positionné dessus (information relayée par le site 2paclegacy.fr).

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Incompréhensible! Que l’on aime ou pas sa musique, Tupac est un artiste légendaire dont l’histoire personnelle et la carrière ont profondément marqué la culture hip-hop mais aussi la société. Potentiellement, il y a un marché pour ce film. Alors pourquoi ce manque d’intérêt ?

Le film Labyrinth avec Johnny Depp narrant l’histoire du détective qui a enquêté sur la mort de Tupac et Biggie devrait trouver une date de diffusion prochainement. Pensez-vous qu’il sera boudé par les salles françaises ?

D’autre part, nos réalisateurs et acteurs français « issus des minorités » peinent à s’attirer la lumière des projecteurs et à se voir proposer autre chose que des rôles stigmatisés. Si Omar Sy est souvent arboré comme la nouvelle coqueluche du cinéma français, les noms d’Euzhan Palcy, de Christian Lara, de Greg Germain, Eriq Ebouaney, Pascal N’Zonzi ou Firmine Richard sont moins connus du grand public. Pour Euzhan Palcy, c’est paradoxalement en s’expatriant aux Etats-Unis qu’elle parvient à donner une envolée à sa carrière de réalisatrice et il en va de même pour des acteurs francophones comme Djimon Hounsou, Jimmy Jean-Louis ou Isaac de Bankolé pour ne citer qu’eux.

Et puis c’est triste, mais souvent les rôles vont être d’abord proposés à ces acteurs selon des critères stigmatisant. On peut relayer quelques propos pour illustrer :

Isaac de Bankolé : « On nous appelle toujours pour jouer des rôles de Noirs écrits par les Blancs. Ce sont toujours des rôles secondaires, accessoires, sinon des caricatures. Parmi les scénarios que je lis, sur dix scénarios, il y en a un ou deux au mieux, dans lequel on traite en profondeur d’un personnage noir, en allant au-delà de la couleur. »

Pire, des rôles de personnages noirs ne sont même pas attribués à des acteurs noirs. Dans L’autre Dumas, c’est Gérard Depardieu qui est grimé, teint olivâtre, cheveux crépus pour jouer une personnalité de l’histoire de France dont beaucoup ignorent encore qu’il était afro-descendant.

Eriq Ebouaney : « En France malheureusement, en tant qu’acteur noir, on est victime de l’empreinte laissée par la colonisation dans la culture française. Et le monde de l’audiovisuel français n’échappe pas à cette réalité. Un acteur reste un acteur, et par conséquent un acteur noir n’a pas à être indéfiniment cantonné dans des rôles de balayeur, de musicien ou encore de danseur. On ne veut pas nous inclure dans la vie sociale et politique de ce pays, on a peur du Noir. J’ai envie de dire qu’il n’y a que- pardonnez-moi l’expression- des couilles molles dans le monde du cinéma et de la télévision en France. Ils n’ont rien compris à l’avenir de ce métier quand on sait que c’est le mélange des cultures qui fait évoluer la plupart des sociétés. Et l’on s’extasie sur le travail de Scorsese, Tarantino ou encore Jarmusch, qui ont axé leur travail sur le mélange des cultures. Ce que le cinéma français est à l’heure actuelle incapable de faire. La France est une société métisse mais c’est une réalité qui ne se reflète pas dans son cinéma. » (2004).

Faut-il des quotas imposés pour que cela change ? Ce serait lamentable. Cela donne l’image que la société française a du mal à se regarder elle-même à travers le prisme du cinéma, par peur de soulever des questions houleuses. Pourtant l’art permet généralement de crever les abcès ou de décomplexer une société. Nos voisins espagnols arrivent peut-être mieux à faire ce travail avec des films comme Palmiers Dans La Neige (Palmeras En La Nieve) de Fernando González Molina, qui à travers une épopée romanesque familiale sur deux générations arrive à livrer un regard sur le passé colonial de l’Espagne et ses séquelles actuelles. Ce n’est pas s’appesantir sur le passé, c’est un travail de décomplexions nécessaire qui manque dans la société française comme dans les arts. Ici, on présente encore Napoléon Bonaparte comme un grand homme de la France, un modèle d’inspiration alors que pour beaucoup de français c’est le salaud qui a rétabli l’esclavage et maté les révoltes. Bref, il faut oser raconter les non-dits, briser les tabous et assumer la pluralité des histoires. Il y a une flemme incroyable sur ce plan en France, on a peur de toutes les étincelles.

A croire que les décideurs manquent cruellement d’audace. L’année dernière, c’est le film Braqueurs, pourtant très efficace qui était boudé par un grand nombre d’exploitants de salle comme si au lieu d’être un film d’action, c’était un élément d’apologie du banditisme où on ne sait trop quoi. Trop sauvage pour le moule de la république ? Pour autant, un film comme A bras ouverts, ne trouve pas d’obstacles à sa distribution. Au-delà de ses clichés, je n’épiloguerai pas forcement sur ce film pour la simple et bonne raison que je ne l’ai pas vu.

Difficile d’échapper à l’emprise et aux conditions des décideurs du 7e art qui aiment bien ressasser leurs standards. C’est valable à l’échelle de la production comme à celle de la distribution. On donne de la couleur au compte-goutte pour ne pas trop bouleverser l’opinion.

Mais heureusement en France, on fait du racisme humaniste, du racisme « Positif » pour reprendre les bons mots de Henry de Lesquen qui appelle à retourner à des fondements culturels blancs ; À épurer la douce France de l’empreinte culturelle nègre qui pervertit la société. Bon c’est marginal, limite drole tellement c’est ridicule et je m’écarte du sujet. Mais pour autant ce genre de type a quand même droit à une meilleure exposition médiatique que certains artistes.

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Les chemins de la liberté : si la porte est fermée, passe par la fenêtre

Face au plafond de verre, les réponses ont été diverses. Le cinéma guérilla en est une symptomatique. Contraires aux majors et aux logiques industrielles, les films guérilla représentent le cinéma plus « artisanal ». En court-circuitant les circuits classiques, et à force d’huile de coude certains réalisateurs arrivent à faire émerger leurs projets. Et en la matière, on est surs d’avoir droit à des director’s cut. C’est le cas par exemple du réalisateur Djinn Carrénard et son film Donoma  dont la réalisation a démarré sans budget. Après plus de deux ans de forçage, le film a été sélectionné à Cannes et acheté par Arte.

Les web séries et autres projets diffusés directement sur YouTube ou Vimeo par des réalisateurs indépendants permettent aussi de contourner les freins imposés par l’industrie. Cela ouvre la voie à toute une myriade de projets parfois excellents et qui permettent de colorer socialement le paysage audiovisuel.

Outre la diffusion, le web permet aussi à de jeunes réalisateurs prometteurs d’effectuer les levées de fond pour leur projet via des plates-formes de crowdfunding. En multipliant les sources d’investissement, certains parviennent à s’affranchir des contraintes imposées par les productions. Il y a beaucoup d’efforts à fournir pour toucher au but mais au moins les solutions existent. La web série Barber Show de Hugues Lawson-Body est à ce titre un bel exemple de réussite, qui immerge le spectateur dans l’ambiance d’un salon de coiffure de Strasbourg-Saint Denis (Paris). C’est drôle, c’est simple, c’est décomplexé. Ca fait du bien !

La fin de l’empire : implosion de l’étoile blanche

Si l’on en croit les dires de Spielberg, les logiques industrielles d’antan, dont le blockbuster mainstream stéréotypé est l’expression, sont obsolètes et le modèle devrait logiquement imploser sous peu. Cela semble se confirmer puisque de plus en plus de films à gros budget connaissent des échecs cuisants au box-office. Face au cinéma mainstream des majors ont émergé de jeunes pousses contestataires. D’une certaine façon on peut dire que le cinéma est aussi passé à la culture start-up.

Nous devrions donc logiquement voir l’émergence de projets divers, avec une plus grande liberté de ton et une éthique différente. L’arrivée de nouveaux entrant dans la production comme Netflix ou Amazon offre de nouvelles possibilités aux réalisateurs. Le premier long-métrage produit par Amazon est d’ailleurs un film de Spike Lee, Chi-raq sur le climat de violence dans la ville de Chicago.

Idéalement, cela devrait converger vers l’ère des director’s cut. En somme la fin d’un colonialisme malsain qui s’était octroyé l’autorité de definir les codes et standards du cinéma, et donc de la représentation de la société à travers lui. Les choses changent, c’est inévitable. Aux derniers Oscars, Moonlight de Barry Jenkins créait la surprise et ravissait l’oscar du meilleur film face à un La La Land encensé de longue date. Un exploit pour un film à petit budget, d’un réalisateur inconnu, distribué par une toute jeune société et avec un casting entièrement noir. C’est d’autant plus surprenant lorsque l’on sait que de tous les nominés, c’est le film qui a eu les plus faibles scores au Box Office. La preuve qu’avec de l’audace, on peut tout changer et que même la machine Hollywoodienne est susceptible de se transformer.

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Rédacteur depuis le 03.02.2016
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