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gregomonroejerrylewis - [INTERVIEW] Gregory Monro pour Jerry Lewis, clown rebelle
Gregory Monroe fait le clown avec Jerry Lewis

[INTERVIEW] Gregory Monro pour Jerry Lewis, clown rebelle

Lors du Festival Lumière (qui se déroulait à Lyon du 8 au 16 octobre 2016) Gregory Monro était venu présenter son nouveau documentaire JERRY LEWIS, CLOWN REBELLE (diffusé sur Arte à partir du 18 juin), qui retrace le parcours de l’humoriste impertinent. L’occasion de parler de ce cinéaste trop peu reconnu aujourd’hui, et de la place qu’il occupe parmi les autres comiques.

Dean Martin et Jerry Lewis
Dean Martin et Jerry Lewis
Qui est Jerry Lewis ?

Jerry Lewis est l’un des plus grands comiques contemporains. Pas seulement américain mais international, puisqu’il s’est très bien exporté. C’est devenu une sommité du comique de gestes, comme l’ont été Chaplin ou Keaton par exemple. C’est aussi un cinéaste. Il a produit et réalisé une bonne partie de son oeuvre après sa période avec Dean Martin, qui l’a fait connaître du grand public. Dean Martin et Jerry Lewis étaient probablement les plus grandes stars populaires dès 1946. Ils ont marché pendant une dizaines d’années, et après leur séparation on ne savait pas ce qui allait advenir de l’un et de l’autre, surtout de Lewis. Il a pris des risques en réalisant des films.

 

Jerry Lewis s’inscrit dans la tradition burlesque, mais en quoi se distingue-t-il de Charlie Chaplin, de Buster Keaton, ou encore de Laurel et Hardy ?

Jerry Lewis est politiquement incorrect. Il est très extrême dans ses gags, dans sa manière de filmer. C’est une caricature d’une société toute entière qu’il dresse dans ses films. Les longs-métrages de Jerry Lewis ont été parmi les premiers à bénéficier du Technicolor, ce qui a facilité sa rencontre avec le public. Ca et le fait qu’il est peut-être plus léger que ses prédécesseurs. Chaplin et Keaton ont une certaine gravité, alors que Lewis est plus accessible.

 

Dans votre film, plusieurs intervenants n’arrivent pas à expliquer pourquoi Jerry Lewis n’a pas percé aux Etats-Unis. Quel est votre point de vue ?

Les Américains ne vont pas plus loin que ce qu’ils voient, et ils le savent. Pour eux, Jerry Lewis n’est qu’un clown. Or quand il est venu en France, lors d’interviews avec Robert Benayoun, on voit qu’il connaît son art sur le bout des doigts, qu’il connaît la technique et l’histoire du cinéma. Aujourd’hui les Américains se sont aperçus de son talent comique et le couvrent de gloire. C’est peut-être un peu hypocrite mais il faut rappeler qu’on a fait pareil avec Louis de Funès en France. Je vais pas comparer avec les comiques actuels, mais il me semble qu’on a pas fait mieux depuis De Funès chez nous. C’est de toute façon extrêmement compliqué de faire de la comédie, de mettre en scène des gags qui marchent. Un autre grand metteur en scène de comédie, c’est Blake Edwards avec The Party, chef d’oeuvre absolu ou il arrive a faire oublier la caméra. C’est plus compliqué que de faire du drame, car il faut aller plus loin. C’est plus technique.

 

La comédie c’est aussi un art de la foule car il est plus facile de rire avec un public que tout seul devant un film. Dans votre documentaire, il est dit que Lewis était très malheureux lorsqu’une seule personne du public ne riait pas.

C’est une anecdote raconté par Pierre Etaix. De la même manière, Pierre Etaix était notre Buster Keaton. Il est connu et adulé dans le milieu du cinéma, mais il est un peu oublié aujourd’hui. C’est une tragédie de ne pas l’avoir reconnu à sa juste valeur. Ses films sont géniaux, vraiment. (NDLR L’interview a été réalisé quelque jours avant la mort de Pierre Etaix).

Gregory Monroe fait le clown avec Jerry Lewis
Gregory Monre fait le clown avec Jerry Lewis
Votre film est une bonne introduction pour ceux qui ne connaissent pas Jerry Lewis. Vous alternez les images d’archives et les entretiens, mais il y a plusieurs moments de mash-up. Cela ne nuirait-il pas à l’effet comique qui se fait dans la longueur ?

Je ne l’ai pas tant fait que ça ! C’était pour des questions de montage et de rythme, je n’avais pas le temps de mettre des scènes entières. C’est plus un effet de style. Certaines fois, je me devais de parler de certaines choses comme la collaboration de Jerry Lewis avec Franck Tashlin, sans m’étendre plus que cela. Le but était de montrer qu’ils ont travaillé ensemble et que Tashlin lui a mis le pied à l’étrier.

 

Autre moment surprenant, le retour en arrière.

C’est un effet typiquement lewisien. C’est quelque chose qu’il aurait osé faire, selon moi. Le film était tout de même très écrit, et ce sursaut comique m’est venu à un moment donné. C’est vrai que les gens aiment bien ce passage. Personne ne comprend ce qu’il se passe, sauf Jerry.

 

On ne peut s’empêcher de penser rétrospectivement à Jim Carrey.

Absolument. Jim Carrey pendant très longtemps n’était pas très confortable avec son image de nouveau Jerry Lewis, c’est pourtant un fait. Ils s’aiment beaucoup l’un et l’autre, et pourtant ils ne s’étaient jamais croisés. Ils se sont rencontrés il y a seulement deux ans pour les 90 ans de Jerry Lewis.

 

Je ne vais pas vous demander quels sont vos films préférés, mais quel serait le film de Jerry Lewis le plus abordable pour un novice ?

J’aimerai en citer deux ou trois. S’il n’y en avait qu’un, ce serait Le Zinzin d’Hollywood. C’est celui qui résume le plus Lewis, très accessible. On pourrait aussi citer Le Dingue du Palace, qui a un peu vieilli mais qui reste un hommage à Stan Laurel. De manière générale son oeuvre peut paraître un datée, mais j’aimerai rajouter aussi Tombeur de ces Dames et bien sûr et Docteur Jerry et Mister Love qui est peut-être le plus moderne. Le sujet du dédoublement de la personnalité reste très actuel.

Jerry Lewis metamorphosé en Mister Love
Jerry Lewis métamorphosé en Mister Love
Quels sont les moins biens ?

Oh non ! Aucun. Il y a forcément des moins biens, mais je ne me souviens plus des titres. Il y a aussi les films qu’il n’a pas réalisé. Certains sont très biens et très beaux, notamment ceux avec Frank Tashlin. Si on veut vraiment avoir une idée de qui est Jerry Lewis, on peut regarder un qu’il a réalisé que j’ai cité et puis La Valse des Pantins de Martin Scorsese.

 

Jerry Lewis dit dans votre documentaire que la critique l’a apprécié dans La Valse des Pantins car c’était un rôle plus sérieux. C’était un regret de sa part ?

Non, je ne pense pas. Je ne pense pas que ce soit un homme qui regrette. Il ne regrette rien du tout et il a raison. Il travaille pour le public, et le public a capté ça. Jerry Lewis a une vraie générosité. Pour mettre son propre argent, payer les billets d’avion pour faire venir l’équipe pour réaliser son premier film, c’est qu’il était poussé par quelque chose. Il ne faut pas non plus oublier que c’était un homme de scène. Il a fait beaucoup de one-man-show,parfois à l’Olympia, et était toujours en contact avec le public. Il continue aujourd’hui lors de rencontres qu’il fait avec les gens. Il se sent très concerné par le public, comme De Funès. De Funès était très angoissé par le public.

 

Combien de temps avez-vous mis à faire le film ? Où sera-t-il diffusé ?

Le projet s’est lancé depuis à peu près deux ans. Ce sera diffusé sur Arte début 2017. Il a été présenté récemment au Festival de Telluride aux Etats-Unis, et je me suis rendu compte que même les générations le connaissent mal. Le plus beau commentaire que l’on m’ai fait, c’est « Je n’aime pas Jerry Lewis, mais j’ai adoré votre film ». J’ai essayé d’être mesuré dans le propos, et d’avoir un point de vue. J’irai bientôt au Festival de Haifa en Israël et je suis très impatient de voir leur réaction.

Propos recueillis par Alexandre Léaud le 10 octobre 2016

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