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Dans le sillage de la Hammer, la société de production britannique Amicus propose sa propre adaptation de L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde avec JE SUIS UN MONSTRE, en 1971. Malgré un parti-pris intéressant sur la psychanalyse, le film de Stephen Weeks se situe dans la lignée des productions de la décennie précédente. Un échec au box-office, qui finira par sonner le glas de l’horreur gothique à l’anglaise.
Hammer V.S. Amicus
Acteur majeur dans la production horrifique, le Royaume-Uni a vu naître sur son sol la célèbre société Hammer Film en 1934, mais aussi Amicus Productions en 1960. La cadette a connu un règne éclair, d’une petite vingtaine d’années, jusqu’en 1980. Cependant, bien qu’elle ne soit pas parvenue à iconiser des figures comme Frankenstein ou Dracula à l’instar de son aînée, la Amicus a atteint un statut culte, notamment avec ses films à sketches d’épouvante, comme Histoires d’Outre-tombe en 1972, parmi les premières adaptations des Contes de la Crypte. Sur le modèle de la Hammer, la société va également puiser dans le patrimoine littéraire britannique, mais avec une plus grande parcimonie.
Parmi les œuvres les plus adaptées de ce répertoire se trouve, bien sûr, L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, de l’Écossais R. L. Stevenson. Côté Hammer, la figure du docteur Jekyll avait déjà connu une adaptation comique surprenante en 1959, avec The Ugly Duckling, passée relativement inaperçue. Lui succède le plus conventionnel, Les Deux Visages du docteur Jekyll en 1960, réalisé par Terence Fisher. En perte de vitesse à la fin des années 60, la Hammer mise par la suite sur des réalisations semi-érotiques. Elle se risque à une troisième itération queer codée en 1971, intitulée Dr. Jekyll et Sister Hyde, sous l’œil de Roy Ward Baker, où le docteur Jekyll se transforme, cette fois-ci, en femme.
Un train de retard
Malgré ses scènes de nudité destinées à appâter le chaland, Dr. Jekyll et Sister Hyde connaît une réception critique assez positive, grâce à une réalisation soignée et à un scénario assez novateur pour son époque. À peine un mois plus tard, en novembre 1971, Amicus sort sa propre adaptation du mythe du docteur Jekyll, avec JE SUIS UN MONSTRE. Plus formaliste que Dr. Jekyll et Sister Hyde, le film de Stephen Weeks compte parmi les transpositions les plus fidèles du roman original au cinéma. Exit les love interests féminins ajoutés pour apporter de l’enjeu. Ici, le docteur, renommé Marlowe, expérimente uniquement à des fins professionnelles, comme dans le récit initial de R. L. Stevenson.
Or, les ajouts initiés par les précédentes adaptations avaient pour fonction d’enrichir une histoire assez courte, courant sur un peu plus d’une centaine de pages. La fidélité de JE SUIS UN MONSTRE handicape le film, qui s’en voit assez répétitif. De plus, sa mise en scène et sa photographie, certes qualitatives, ressemblent à celles de toutes les productions Hammer horrifico-victoriennes de la décennie précédente. Face à l’audace scénaristique de Dr. Jekyll et Sister Hyde, JE SUIS UN MONSTRE paraît donc avoir un train de retard, et semble même ringard. Ce qui explique, très certainement, ses faibles scores au box-office. Il n’empêche que, malgré ses allures d’œuvre mineure, son approche de la psychiatrie et des théories de Freud n’en demeure pas moins intéressante.
Fin de règne
En effet, JE SUIS UN MONSTRE prend ses distances avec le roman original sur un point bien précis. Le docteur Marlowe n’est pas généraliste comme son homologue Jekyll, mais psychanalyste. L’action se déroule au début du XXe siècle, où les théories freudiennes commencent à bousculer la psychiatrie. Une idée géniale, dans la mesure où l’on peut aisément transposer à L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, les entités du Moi, du Surmoi et du Ça, telles que définies par Freud. Et ainsi considérer que, sous l’effet de sa médecine, M. Hyde se trouve dominé par son Ça, centre des pulsions refoulées. Néanmoins, de cette idée pertinente, JE SUIS UN MONSTRE ne tire que quelques étincelles de génie et peine à tisser un véritable propos autour de cette thématique.
Reste un Christopher Lee en plein cabotinage, fabuleusement grandiloquent en docteur Marlowe. Lui est opposé un Peter Cushing, plus mesuré et plus moderne, dans le rôle du notaire Utterson. On observe ainsi à travers JE SUIS UN MONSTRE le lent déclin du style gothique prédominant dans la production horrifique, après près de 40 ans de règne sous la Hammer. Le regard se tourne désormais vers les États-Unis, où des films plus contemporains et plus équivoques, tels que La Nuit des morts-vivants de George Romero ou L’Exorciste de William Friedkin, vont sceller les premiers clous du cercueil de la Hammer et de la Amicus.
Lilyy Nelson