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Photo du film LA NUIT DES MORTS-VIVANTS
Crédits : D.R.

LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, la naissance politique du zombie moderne – Analyse

LA NUIT DES MORTS-VIVANTS est un film d’horreur indépendant sorti en 1968. Premier film d’une franchise de cinq autres portés par George Romero, ce huis clos se situant dans une ferme isolée suit un groupe de survivants dans leur lutte acharnée pour rester en vie face à l’innommable : des morts qui reviennent à la vie dans l’unique but de se repaître de chair humaine.

Réalisé par Romero, qui le co-écrira avec son comparse John A. Russo, le film est un véritable succès à sa sortie, et ses 18 millions de dollars récoltés à l’international seront d’ailleurs plus que suffisants pour rembourser son budget plutôt dérisoire. Il est également devenu culte grâce à son côté gore et violent, rarement vu à l’époque, surtout pour des films impliquant des morts-vivants.

Le genre, qui n’a pas été inventé par Romero, avait été jusqu’ici rattaché au vaudou et au folklore haïtien. Les zombies étaient encore créés ou contrôlés grâce à des rituels magiques et n’étaient par conséquent pas portés par l’unique but de consommer de la chair humaine, ce qui ne produisait donc pas la même horreur et ne donnait pas lieu à des scènes de violences comme on en verra avec LA NUIT DES MORTS-VIVANTS. I Walked With a Zombie (nommé Vaudou en français) et White Zombie (ou Les Morts-Vivants en français), par exemple, revêtaient tous deux une dimension aussi horrifique que fantastique qui expliquait la nature des zombies, et il suffisait parfois de se débarrasser de leur maître pour briser le sort et sauver les malheureux.

Le film est cependant passé par plusieurs métamorphoses avant de devenir ce qu’il est : inspiré du livre « Je suis une légende » de Richard Matheson, c’est au départ une comédie centrée sur des adolescents aliens qui devait voir le jour, idée (fort heureusement) abandonnée par manque de budget. Une nouvelle non publiée de Romero sur des goules mangeurs de chair et une idée de de Russo autour d’un ado découvrant des aliens prenant de la chair humaine dans les cimetières donneront ensuite les bases de l’intrigue.

Un film de la débrouille

LA NUIT DES MORTS-VIVANTS est le premier film de la société de Romero, Image Ten, et bénéficie au départ d’un budget de 6 000 dollars, avant que des investisseurs n’y injectent l’argent nécessaire pour atteindre les 100 000 dollars durant le tournage. Ce rebond dans le financement se verra particulièrement dans la représentation des zombies, qui deviendront plus terrifiants au fur et à mesure de l’intrigue. Pour l’anecdote, la ferme choisie comme décor principal était destinée à la destruction et était par conséquent la localisation la moins chère pour ce budget serré.

Beaucoup d’impro, aussi, dans les dialogues, et une grande liberté laissée à des acteurs qui étaient pour la plupart de simples novices, et qui pour beaucoup se connaissent déjà. Judith O’Dea, ou Barbra, actrice novice, avait déjà travaillé pour le couple Marylin Eastman et Karl Hardman, le couple jouant respectivement Harry et Helen Cooper. Kyran Schon, la fille des Cooper, est la véritable fille de Karl. Judith Ridley, ou Judy, avait également travaillé pour le couple Hardman et Eastman. George Kosana, le Sheriff McCelland était également le directeur de production du film. Keith Wayne, ou Tom, a de son côté abandonné sa carrière dans le cinéma suite à cette expérience pour se consacrer à d’autres projets. Duane Jones, choisis pour Ben, était lui aussi novice au moment du tournage.

Le début de l’horreur

Le film commence dans un cimetière. Un cliché qui sert avant tout à disséminer les indices quant à la nature de ces créatures de cauchemars, qui reviennent d’entre les morts pour attaquer les humains. Barbra et Johnny, son frère, visitent la tombe de leur père, et se remémorent des souvenirs d’enfance, avant que Johnny ne terrifie Barbra avec son iconique « They’re gonna get you Barbra » (Ils vont t’attraper Barbra). Une rencontre avec un homme blafard qui tuera Johnny après avoir essayé d’agresser Barbra, qui elle-même fuira dans une ferme à proximité, annoncera le début de l’horreur.

À l’inverse des films de zombies qui ancrent leur action dans les endroits peuplés pour mieux montrer le basculement civilisationnel, ou qui au contraire prennent leurs racines dans le post-apocalyptique, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS s’inscrit dans un début intimiste d’apocalypse où la société tient encore, elle s’ancre dans les premières heures d’un basculement total, pour mieux mettre en lumière la sidération et le lot de réactions et d’interrogations qu’elle engrange. L’action se recentre autour d’un petit groupe d’individus, perdus au milieu de la campagne. On ne voit aucun immeuble en flamme, aucune attaque de masse dans les rues, rien de spectaculaire en somme.

Le spectateur se retrouve plongé dans un huis clos, et seule la destinée individuelle des personnages, plus que celle de la population globale, sera mise en avant. Bien que se dessine en toile de fond la recherche d’une explication quant au phénomène qui prendrait racine dans des radiations venues de l’espace, idée assez nanardesque mais dont on ne connaît au final pas la véracité, le film tourne surtout autour de ses personnages. Coincés dans une ferme, c’est avant tout leurs relations et leurs décisions, bonnes et mauvaises, qui seront mis en lumière.

Si beaucoup de films de l’époque sont déjà en couleur, le film fait le choix du noir et blanc, qui rend paradoxalement le film très actuel dans l’univers de l’esthétique horrifique. Le grain présent sur une image à l’audio distordu et aux voix étouffées par une prise de son moins clair couplé à l’esthétique du noir et blanc ajoutent un malaise lors du visionnage, et inspire d’ailleurs encore aujourd’hui : L’analog horror (ou horreur analogique) lié à l’esthétique VHS et à la télévision analogique est à l’origine de nombreuses créations, notamment vidéos, qui fleurissent encore aujourd’hui sur Internet.

Les goules, ou la naissance du zombie moderne

Première surprise lorsque l’on connaît la représentation actuelle du zombie : pas de cadavre décomposé durant les premières scènes, signe d’un manque de budget visible. Les maquillages en noir et blanc qui offrent leur teint blafard aux goules reflètent celui des âmes de Carnival of Souls (ou le Carnaval des âmes) sortis quelques années plus tôt, et ne donnent par conséquent aucune dimension monstrueuse à ces créatures qui se rapprochent d’abord du spectre classique des histoires de fantômes. D’ailleurs, en apercevant l’homme dans le cimetière durant les minutes qui ouvrent le film, ni Johnny, ni Barbra, ne se retrouvent horrifiés, ou apeurés à sa vision, au contraire, Barbra s’apprête même à s’excuser auprès de lui de la blague de son frère avant qu’il ne l’agresse.

C’est au fur et à mesure du temps que les cadavres deviennent plus effrayants, y compris dans leur comportement allant de pair avec la graduation de l’horreur et du désespoir qui enserre la ferme et ses habitants infortunés. Les zombies débarquent à la fin, tandis que leur nombre grandit petit à petit tout le long du film, et on devine déjà que la ferme est condamnée à être envahie. Romero lui-même dira que son film devait capturer la dégradation progressive « du quasi-désespoir à la tragédie complète. ».

La chair se décompose en même temps que les alternatives s’épuisent pour le groupe, que la tension monte et que les premiers cadavres se retrouvent dévorés. Il en va de même pour les combats entre les morts et les vivants. Ceux présents en début de film ne sont pas des plus choquants, ni des plus crédibles lorsqu’on y regarde de plus près, mais la violence monte elle aussi progressivement, jusqu’à l’horreur ultime, et les scènes de meurtres successifs. Il y a un véritable fossé entre la première mort, celle de Johnny, et celle des habitants de la ferme, dévorés et horriblement mutilés avant ou après leur mort.

Les zombies, ici appelés des goules, sont intelligents, ils utilisent des objets ou sabotent délibérément les moyens de locomotion des personnages, arrivent à contourner les obstacles, ils tuent évidemment, mais pas forcément pour se nourrir. Bien que l’on voit à plusieurs reprises des zombies se nourrir des cadavres du couple d’adolescents, ou de Barbra, le premier goule qui tue son frère n’y touche cependant pas, trop obsédé à l’idée d’également tuer sa sœur. Le comportement des morts fluctue d’une scène à l’autre, pour mieux servir l’intrigue.

Alors que certains morts marchent lentement, particulièrement ceux entourant la ferme, une attitude qui renforce ainsi le sentiment étouffement progressif impossible à mettre en place s’ils avaient été plus vifs, le premier poursuivra quant à lui Barbra dans un comportement qui le rapprochera du ‘coureur’ vu dans 28 jours plus tard, ou World War Z. Une rapidité qui sert sans doute à renforcer le sentiment d’urgence et de terreur, et qui forcera Barbra à trouver refuge dans le premier lieu venu, au milieu de nulle part, ce qui n’aurait logiquement pas été possible si elle avait eu le temps de démarrer sa voiture pour s’enfuir. Elle aurait probablement tenté de retrouver la civilisation, et le film n’aurait jamais eu la même atmosphère.

Déjà, il faut abattre les goules en touchant leur cerveau, comme cela sera le cas dans les autres films qui suivront. La particularité ici, c’est que le feu agit sur la horde comme un repoussoir, et il est tentant d’analyser cela comme une façon de renforcer la part ‘démoniaque’ de ces êtres qui semblent rejetés par l’enfer, ou le paradis, lui-même. Après tout, pourquoi l’au-delà ne voudrait-il plus de ses morts ? Le feu brûle les sorcières, conjure les démons, et bien qu’aucune dimension paranormale ou biblique n’ait été donnée aux morts vivants de Romero, peut-être reste-t-il un peu de la représentation du zombie haïtien et de son folklore dans ce point faible mystique.

L’horreur, un genre né pour être politique

L’horreur a toujours été un genre politique. Si le cinéma de Jordan Peele (Us, Get Out) en est l’exemple le plus récent, de nombreux films ont contribué à faire survivre le genre jusqu’aujourd’hui. Du féministe The Stepford Wive (les femmes de Sepford), à la critique des classes aisées de Society, du capitalisme avec They Live (Invasion Los Angeles), de la pseudo bonne morale conservatrice de The People Under The Stairs (le sous-sol de la peur), jusqu’à l’inoubliable Candyman parlant de discrimination raciale.

LA NUIT DES MORTS-VIVANTS est le premier film d’une longue ligne d’autres films de zombies qui s’inscriront tous dans un contexte politique qui leur sera propre. Car les morts de Romero ont une particularité qui leur est propre : leur dimension allégorique, qui est là pour exacerber l’horreur ou le ridicule d’un contexte historique. Chaque film s’ancre ainsi dans la réalité de l’époque durant laquelle il est réalisé. Dans ce premier opus, deux grands thèmes reviennent : la guerre du Vietnam, et la ségrégation raciale.

La suite, Dawn of the Dead (L’armée des morts), sorti en 1978, se passe dans un centre commercial et sera quant à elle une critique de la consommation de masse et des obsessions superficielles et consuméristes de l’époque moderne. Elle y dénonce également la misogynie faite au seul personnage féminin présente au milieu d’un groupe d’hommes, Fran, et le racisme de la police américaine à travers le personnage d’un membre des forces de l’ordre, cette fois ouvertement raciste envers les occupants d’un immeuble.

Enfin, Land Of the Dead (Le territoire des morts), qui sortira en 2005, présente quant à lui un univers dans lequel les plus riches, en sécurité, vivent isolés de la menace des morts-vivants, contrairement aux pauvres, qui vivent dans la misère, et tentent de se rebeller contre les inégalités. La toile de fond qui se dessine est donc clairement reliée à une féroce lutte des classes.

Les films de zombies révèlent après tout le pire des êtres humains, et sont donc particulièrement propices à ces histoires. Pour survivre, les humains sont libres de multiplier les violences et les discriminations qu’ils font subir aux autres dans un monde où les lois n’existent plus. Elles s’exacerbent au contact de l’horreur apocalyptique qui entoure des personnages qui n’ont plus à craindre la justice des hommes.

Dans le premier film, Duane Jones, l’acteur choisi pour Ben, reçoit un rôle de chauffeur poids lourd à la base écrit pour un acteur blanc. L’unique retouche qui sera apportée au personnage suite à la sélection de Duane fut son manque d’éducation, qui disparu de l’intrigue, sans que les dialogues de l’acteur principal n’aient cependant été réellement altérés. Le fait que Romero n’ait effectué aucun changement majeur pour ce rôle lui donne une résonance particulière : Il a créé un être humain, avec ses qualités et ses défauts, sans être influencé par son identité ethnique. Elle donne même une dimension particulière à sa mort, lorsque Ben est tué par des humains, qui lui tireront une balle dans la tête à la fin du film.

Obnubilé par le fait de devoir partir de la ferme, Ben finit par se cacher dans la cave du bâtiment une fois ses camarades morts, cave qui était pourtant l’option première de la plupart des survivants avant qu’ils ne le rencontrent. Il est en quelque sorte responsable de la mort de la majorité des personnages, mais reste néanmoins l’un des héros principaux, et sa mort est montrée comme tout autant tragique que celle de ses camarades. Car bon ou mauvais, héros ou lâche, c’est l’acte en lui-même qui horrifie, et il n’aurait pas été plus horrifiant si Ben avait sauvé des gens. Car c’était un homme comme les autres, et il n’avait pas à être meilleur que le reste du monde pour que sa mort soit terrible et que le spectateur ait de l’empathie pour lui. Ceux qui le tuent n’en ont que faire de savoir s’il était bon ou mauvais, car ils le tuent pour ce qu’il représente.

La véritable horreur de l’histoire ne s’ancre pas dans le basculement apocalyptique d’un monde ravagé par un virus qui se transmet par une morsure, mais par la mort atrocement banal d’un homme noir, tué par un groupe d’hommes blancs surarmés. La réalité reprend place dans le fantastique, et toute l’horreur démontrée ainsi que les morts peinent à choquer autant que celle-ci, plus réelle, qui à l’époque ségrégationniste du film, résonne fortement.

Car Ben est tué par ceux mêmes censés le protéger, les seuls hommes prêts à combattre les morts vivants contribuent à massacrer la population qu’ils disent vouloir sauver. Les crimes commis au nom de la protection de la population ne sont pas questionnés, chaque survivant est un danger potentiel et est exécutable, comme la population vietnamienne constamment soupçonnée d’être du côté Vietcong durant la guerre du Vietnam. C’est d’ailleurs cette excuse qui sera donnée durant le massacre du village de Mỹ Lai commis par l’armée américaine, massacre ayant tragiquement eu lieu en 1968, année de la sortie du film.

Si certains voient dans la scène finale un parallèle qui peut être fait avec les célèbres photos témoignant des horreurs de la guerre du Vietnam, il est difficile de ne pas voir dans la mise au feu du cadavre de Ben les fameuses photos et cartes postales issues des lynchages successifs de la population afro-américaine, vendus à l’époque comme des biens touristiques à par entière.

Il est d’ailleurs triste de voir que, de par le succès immense de la franchise de Romero, le film de zombie s’est peu à peu transformé en produit de divertissement pur, perdant ainsi petit à petit la dimension politique et sociale dont les morts vivants devaient être l’allégorie.

Une palette de héros incapables, mais terriblement humains

Il faut souligner la dépendance des personnages aux annonces faites par un gouvernement à l’inefficacité brutale qui s’efforce de gérer une situation dont il n’a pas le contrôle. La découverte de la télévision dans la ferme, et le fait qu’elle fonctionne encore, est d’ailleurs vécu comme un événement majeur qui suffit à réunir tous les personnages dans une même pièce. Mais les espoirs de ces derniers seront ensuite brisés par leur impossibilité de faire la route les séparant de lieux de sûreté annoncés par les autorités, des lieux qui ne seront d’ailleurs jamais montrés et dont l’existence peut être questionnée.

Bien qu’il s’agisse ici d’un huis clos, il est aussi intéressant de noter que les personnages n’ont pas la possibilité d’en apprendre davantage les uns sur les autres. Ni sur leur origin story ni sur les proches qui pourraient potentiellement les attendre au dehors. Ben est le seul personnage qui n’est d’ailleurs pas rattaché à d’autres. Judy et Tom sont en couple, Harry a une femme, Helen, et une enfant, Karen. On ne connaît de Barbra que son frère et les cours souvenirs d’enfance qu’ils s’échangent au départ.

Le spectateur est désormais habitué à connaître les personnages à travers des flashbacks qui nous les rendent plus humains, mais ici, nous sommes placés à hauteur des héros. Nous n’en savons pas plus qu’eux, ni sur leurs camarades piégés avec eux, ni sur la situation dans sa globalité. Pas de plan sur le bureau de crise du gouvernement, pas de flashbacks pour décrire la routine avant l’apocalypse, pas de scène nous révélant la véritable nature des morts, ni le fameux ‘patient zéro’. Le spectateur devient un compagnon silencieux de Barbra, ses informations sont les nôtres, et paradoxalement, le fait de ne pas en savoir plus, d’être placé à hauteur de personnage, nous lie davantage à eux, car nous les rejoignons dans cette anxiété de ne rien savoir, que cela soit sur la situation, ou la nature des survivants à qui on hésite à accorder toute notre confiance.

Du côté des personnages dans leur individualité, il est aisé de définir le personnage de Barbra comme moue, presque insupportable dans ses cris et sa panique qui ne semble jamais cesser. Mais elle est peut-être la vision la plus réaliste d’une personne lambda face à l’horreur extrême. C’est d’ailleurs tout l’avantage des ‘pré-apocalypse’ ou ces films mettant en lumière une situation particulière dans un quotidien ordinaire avant un basculement total. Contrairement aux personnages ayant vécu suffisamment longuement aux côtés des zombies pour en être habitués, les personnalités se révèlent ici dans l’urgence de la situation. Et il y a les combatifs, et les autres.

Au final cependant, tout le monde est incapable de faire face, pas un seul personnage ne s’en sort, car aucun n’a été préparé à cette horreur inédite. LA NUIT DES MORTS-VIVANTS ne suit pas des héros, mais des êtres humains qui essaient de sauver leur vie, avec les moyens qui leur sont donnés. Ils ne sont que des gens ordinaires plongés dans l’incompréhension, et ils prennent de mauvaises décisions, les uns après les autres.

Harry est l’égoïste qui finit tué par ses propres angoisses. Sa paranoïa le poussera à prendre Ben comme ennemi, et fuir ne sera pas suffisant pour lui, il tentera par tous les moyens d’éliminer la menace, avant d’être tué par ce même homme qu’il a tant redouté. Lorsqu’il entend Barbra hurler sur Ben avant de la rencontrer et qu’il la croit en danger, aucun membre du groupe présent à ses côtés, mais surtout pas lui, ne tente d’aller la secourir, par peur pour sa vie. En tant que père cependant, c’est le danger que représente sa fille qu’il sera incapable d’imaginer. Bien qu’il ait eu raison pour la cachette à la cave, les protagonistes auraient-ils pu s’en sortir vivants si les parents de l’enfant avaient refusé de la tuer lorsque Karen se révélerait être un danger ? Ben lui-même, y compris face à l’urgence de l’invasion des zombies dans la ferme, ne trouve pas la force de la tuer en plein combat, et préfère l’éloigner pour se barricader dans la cave. Harry aurait sans doute ainsi pu menacer les autres protagonistes, avec violence et paranoïa, pour sauver sa fille pourtant déjà morte, et cela aurait pu entraîner une véritable tragédie.

Tom, l’un des seuls personnages possédant véritablement l’étoffe d’un héros meurt pourtant en premier, et commet la plus grave erreur : jeter de l’essence sur la voiture qui explosera par la suite, le tuant lui, sa petite amie qui l’a suivie, et mettra une croix définitive à toute chance pour le groupe de survivre en fuyant la ferme. Son envie de se dévouer à ces inconnus et mettre sa vie en danger pour qu’ils s’en sortent, le conduira à son trépas. Car bien qu’il sera volontaire, il n’aura pas le sang-froid nécessaire pour s’empêcher de commettre des erreurs.

La ‘femme de’, Judy, meurt avec son petit ami, son seul acte de courage sera celui de le soutenir, mais alors que lui commet l’erreur d’enflammer la voiture, elle les condamne en refusant d’en sortir. Sa bravoure n’aura duré qu’un moment, elle agira, avant de se rendre brutalement compte du danger qu’impliquait son geste. Aveuglée par l’idée de soutenir celui qu’elle aime, elle surestime son propre courage, et en meurt.

La mère, Helen, démontre une force de caractère différente de son mari. Lui panique, et elle tente de le raisonner en gardant la tête froide. Elle peut se montrer sèche, mais elle n’a à cœur que la sécurité de sa famille. Elle meurt par ce qui la définit : être une mère, incapable de tuer son propre enfant. Qui l’aurait pu après tout ? Helen, comme tous les autres, fait face à l’innommable. Son enfant, devenu un monstre, dévore son mari, et la tue. Sa passivité pourrait en agacer certain, mais quel cauchemar plus horrible pour un parent que de réaliser que son enfant ne peut être sauvé, et pire, qu’il veut nous tuer ?

Ben prend quant à lui la tête du groupe et décide de mener la barque. Il est la définition du trop plein d’héroïsme, et ce jusqu’à l’overdose. Il s’entête dans sa propre vision, à un tel point qu’il est à l’origine d’une grande partie des morts, de par son obsession de vouloir partir, de par son refus de descendre à la cave, ce qui le sauvera pourtant, avant que les humains ne le tue. Son héroïsme a d’ailleurs des limites, car après avoir tiré sur Harry, ce dernier ne daigne même pas essayer de sauver sa femme des griffes des morts-vivants. Et lui qui semble montrer de l’intérêt pour la sécurité de Barbra n’arrivera pourtant pas à la sauver lorsqu’elle sera en danger.

Barbra est sous le choc, et n’apporte rien d’autre que le fait d’être la personnification de la sidération du spectateur face à l’effroi. Tout comme elle, scotché à son siège, il observe les personnages, sans réagir. Elle représente sans doute toutes ces personnes ayant découvert le film au cinéma pour la première fois, qui ne sauront quoi en penser, et qui auront besoin de temps pour digérer ce qu’ils ont vu. Son seul acte de bravoure, celui d’essayer de sauver Helen des morts-vivants, puis d’essayer de retenir la porte pour les empêcher d’entrer, entraînera d’ailleurs sa mort sous les yeux impuissants de Ben.

La fille, Karen, est un personnage silencieux, déjà blessée, elle est le vers dans la pomme, et cette petite fille est paradoxalement la plus grande menace pour le groupe, celle qui rend le sanctuaire de la cave si dangereux. Dehors, des monstres rodent, et c’est cette enfant innocente sur laquelle chacun souhaite veiller qui les aurait sans doute condamnés dès le départ, et ce même s’ils avaient décidé de fuir, ou s’ils s’étaient cachés dans la cave.

Un film de son époque… et au-delà

Sorti par erreur dans le domaine public, car ne possédant pas la notification de droit d’auteur lorsque le film sera distribué dans les cinémas, LA NUIT DES MORTS-VIVANTS aura de nombreux remakes et sortira sur de nombreux supports, avec de nombreuses versions révisés et améliorées, officielles ou non, notamment colorisés, sans l’accord de Romero et son équipe. C’est en 1999, que sortira une version officiellement modifiée pour les 30 ans de l’œuvre : Night of the Living Dead: 30th Anniversary Edition. La version originale est visible aujourd’hui sur Internet Archive (en V.O sans sous-titres), et demeure l’un des plus grands succès du site.

Dans le remake officiel du film datant de 1990, Barbra devient le seul personnage vraiment capable d’affronter les morts vivants, et elle survivra d’ailleurs à la ferme. Cette version fait plutôt sens à une époque où le rôle des femmes au cinéma est en pleine mutation, et surtout, dans une époque où les spectateurs sont désormais habitués aux récits sur les morts-vivants, à leurs points forts et leurs faiblesses. Bien que la version remake de l’héroïne principale est bien moins passive et plus appréciable que la première, l’importance du premier film ne se place-t-il pas dans sa façon de démontrer l’incapacité collective à faire face à une menace que nul n’avait jamais affrontée auparavant ?

Certes, les femmes sont grandement passives dans la version de 1968, mais l’envie d’action des hommes les tuent ou en emmènent d’autres à la mort, et on se rend compte que la couardise et la passivité des personnages qu’on aurait pu croire les plus inutiles et les moins à même d’affronter le danger, auraient au contraire pu sauver certains personnages. Et surtout si la décision de s’enfermer à la cave sans rien faire d’autre, sans se battre, sans résister, avait été prise. L’a tentation de l’héroïsme est le premier ennemi du groupe, et les mènent peu à peu à la mort. Car contrairement à la version de 1990, le film s’inscrit dans un contexte inédit : on ne connaît presque rien de ces morts-vivants.

Quand on regarde LA NUIT DES MORTS-VIVANTS aujourd’hui, ces personnages perdus, pas héroïques, qui ne savent que faire nous paraissent bien paresseux. Nous sommes désormais habitués aux zombies, c’est pourquoi il faut faire preuve de compréhension en revisionnant ce classique : personne à l’époque, ni les personnes, et surtout pas même le public, ne connaît ces ‘goules’. Il ne connaît pas leur point faible, ne sait pas d’où ils viennent, ni comment les appréhender.

Car LA NUIT DES MORTS-VIVANTS sera toujours une expérience différente pour les premiers chanceux à l’avoir visionné, ces incrédules pas habitués à la pop-culture zombie qui ont découvert ce sentiment de désespoir avec la même horreur que les héros. Ces spectateurs qui ont sans doute porté un regard bienveillant sur ces personnages incapables de se sauver eux-mêmes, car capables de s’y identifier avec plus d’aisance que ceux qui suivront, ces fans persuadés d’avoir englouti suffisamment de connaissances devant toutes ces saisons de The Walking Dead, les films World War Z, 28 jours plus tard, et les jeux Resident Evil, pour pouvoir survivre facilement s’ils se retrouvaient coincés dans la même situation.

Il est cependant tout à fait possible de visionner ce classique avec un œil moderne, notamment sous l’angle du péril écologique. La panique viscérale face à un danger inédit, des pseudo héros qui agissent sans savoir quoi faire pour sauver leur peau, dont les erreurs condamnent les autres, ces autres paralysés par la peur et inaptes au combat, tandis que des conflits émergent parmi le groupe, fait de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS une métaphore parfaite pour tout type de situation. Chacun pourra y voir, et ce peu importe son époque, des sens cachés et des représentations qui résonneront en lui. Et c’est sans doute là le génie du premier film de cette saga iconique qui signera l’héritage de George Romero.

Kimberley SANSON

Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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