Cet article a pu être réalisé grâce à notre partenaire Ciné+ OCS. Son contenu est indépendant et conçu par la rédaction.
Avec 40 ébauches de scénario, 7 réalisateurs différents et une dizaine d’interprètes envisagés pour le rôle principal, TOTAL RECALL est resté au stade de développement pendant près de seize ans avant d’être sauvé des limbes par Arnold Schwarzenegger. Retour sur l’histoire d’un film maudit.
Figure incontournable de la littérature américaine, Philip K. Dick est un auteur de science-fiction prolifique dont de nombreuses œuvres ont été adaptées au cinéma. Blade Runner (Ridley Scott, 1982), The Truman Show (Peter Weir, 1998), Minority Report (Steven Spielberg, 2002)… On ne compte plus les adaptations qui sont devenues cultes. Néanmoins, parmi elles, un film sort du lot : TOTAL RECALL réalisé par Paul Verhoeven en 1990. Pendant longtemps, la portée ambitieuse de ce projet l’a maintenu au stade de développement. Jusqu’à ce qu’Arnold Schwarzenegger se joigne à cette aventure, seize ans après son commencement. Alors comment cette histoire, dont les droits ont été achetés seulement 1 000 dollars, est-elle devenue un blockbuster incontournable de la science-fiction ?
Tout commence en 1974. La dictature des colonels s’est terminée en Grèce, les accords de Vladivostok viennent d’être signés entre les États-Unis et l’URSS et Ronald Shusett a acheté les droits d’adaptation de la dernière nouvelle de Philip K. Dick après l’avoir lu dans un magazine. Pour seulement 1 000 dollars, le futur scénariste d’Alien, le huitième passager (Ridley Scott, 1979) met la main sur « Souvenirs à vendre » (We Can Remember it for You Wholesale), une œuvre de science-fiction sur le thème de la manipulation mentale. Dès lors, Ronald Shusett va travailler sur un projet d’adaptation pour le cinéma avec le scénariste Dan O’Bannon. Pendant ce temps, le producteur Dino de Laurentiis se rapproche du réalisateur Bruce Beresford (Driving Miss Daisy, 1989) pour faire de ce scénario la première production de sa compagnie DEG. Malheureusement, les scénaristes se rendent rapidement compte que le projet est trop ambitieux et coûteux, mais aussi difficilement réalisable avec les effets spéciaux de l’époque. D’un commun accord, le duo décide de mettre l’idée de côté et travaille sur un autre scénario qui deviendra Alien.
Dans les années 80, après de nombreuses péripéties, le scénario arrive dans les mains de David Cronenberg qui décide d’abandonner sa Mouche pour se consacrer à la nouvelle de Philip K. Dick. Le réalisateur réécrit plusieurs fois le script de Ronald Shusett et Dan O’Bannon. À cette même époque, différents acteurs sont envisagés dans le rôle principal : Richard Dreyfuss, William Hurt, Christopher Reeve puis Jeff Bridges. Néanmoins, les scénaristes ne sont pas satisfaits de la ré-écriture de David Cronenberg. Ce dernier souhaite réaliser un véritable hommage à Philip K. Dick et ne veut pas se contenter d’un film d’action. Toutefois, Ronald Shusett et Dan O’Bannon veulent plutôt une ambiance « Les Aventuriers de l’Arche perdue vont sur Mars », selon les termes du producteur Dino de Laurentiis. Si certaines de ses idées sont conservées, David Cronenberg quitte le projet et retourne sur le tournage de La Mouche qui sort en 1986.
Il [David Cronenberg] était très frustré car il avait une vision extraordinaire pour TOTAL RECALL qu’il n’a jamais pu mettre en œuvre.
Cary Granat, producteur
S’en suit une période difficile pour le projet TOTAL RECALL. Le Dune de David Lynch (1984) vient de faire un flop au box-office et bien que Patrick Swayze soit envisagé dans le rôle principal, les réalisateurs (se) défilent. Finalement, Dino de Laurentiis se désintéresse de l’idée après avoir lu une énième ébauche du scénario et envisagé un nouveau réalisateur. C’est alors qu’un acteur, que le producteur avait refusé pour le rôle principal, décide de profiter de la faillite de la société DEG pour reprendre le projet. Vers la fin des années 80, Arnold Schwarzenegger vient de connaître le succès avec Conan le Barbare (John Milius, 1982) et est propulsé comme star d’action avec son rôle dans Terminator (James Cameron, 1984). L’acteur réussit à convaincre la société de production Carolco Pictures (Terminator) d’acheter les droits de TOTAL RECALL. Arnold Schwarzenegger obtient un contrôle créatif majeur sur le projet et choisit lui-même Paul Verhoeven comme réalisateur après avoir été impressionné par RoboCop, film pour lequel l’acteur autrichien avait d’ailleurs été envisagé dans le rôle-titre. Le réalisateur néerlandais accepte l’offre après avoir lu la scène de l’hôtel Mars dans laquelle le Dr Edgemar tente de convaincre Quaid qu’il est toujours sur Terre. La machine est alors lancée.
Malgré les nombreuses réécritures du scénario, celui-ci pèche toujours sur la fin. Arnold Schwarzenegger fait alors appel à Gary Goldman pour écrire le script final avec Ronald Shusett. Paul Verhoeven, lui, fait appel à plusieurs de ces anciens collaborateurs de RoboCop : l’acteur Ronny Cox, le directeur de la photographie Jost Vacano, le chef décorateur William Sandell, le monteur Frank J. Urioste et le maquilleur Rob Bottin. TOTAL RECALL sera d’ailleurs nommé à plusieurs reprises dans les catégories « meilleurs costumes », « meilleurs maquillages » ou encore « meilleurs effets spéciaux ». Pour créer le personnage de Johnny Taxi, Rob Bottin décide de mouler le visage du comédien Robert Picardo (Legends, Ridley Scott) pour avoir un résultat réaliste. Aussi, bien que le long-métrage n’utilise pas les effets spéciaux numériques (CGI) d’une façon aussi révolutionnaire que Terminator 2, il réussit à établir un nouveau standard pour le genre de science fiction. Néanmoins, l’aspect sur lequel TOTAL RECALL se démarque le plus, c’est sur son caractère intellectuel. Ayant été convaincu par la scène de l’hôtel, Paul Verhoeven n’hésite pas à faire évoluer le scénario pour en faire un film psychologique sur fond de science-fiction plutôt qu’un simple complot de rebelles martiens.
Pour le public, chaque instant du film semble être réel. Mais quand vous arrivez à la scène suivante, vous pouvez douter de la scène précédente, n’est-ce pas ? […] De temps en temps, vous vous rendez compte que ce que vous avez vu précédemment aurait dû être vu d’une manière différente. Ce n’était pas la réalité, ou du moins c’était une réalité mal interprétée. »
Paul Verhoeven pour Film Comment (July-August 1990)
Pourtant les rebondissements de TOTAL RECALL ne se terminent pas là. Tout d’abord, le personnage principal est renommé Quaid (au lieu de Quail) pour éviter toute référence au vice-président de l’époque qui s’appelait Dan Quayle. Au Mexique, la quasi-intégralité de l’équipe de tournage souffre d’inhalation de poussière sur le plateau, d’intoxication alimentaire et de gastro-antérite. Seuls Ronald Shusett et Arnold Schwarzenegger ne tombent pas malade car ils avaient décidé de faire venir leur nourriture des États-Unis après avoir vécu une expérience similaire sur le tournage de Predator quelques années auparavant. Lycia Naff a du mal à travailler car elle se sent mal à l’aise devant l’équipe avec ses trois seins. Michael Ironside se fissure le sternum et se sépare deux côtes après être entré en collision avec Michael Champion. Arnold Schwarzenegger, entre autres coupures et doigts cassés, se coupe le poignet en brisant une vitre de train après l’échec d’un explosif. Malgré tout, l’atmosphère reste joyeuse grâce à ce dernier, qui n’hésite pas à organiser des batailles de boules de neige en polystyrène ou de pistolets à eau pendant les dîners d’équipe.
Finalement après seize ans, TOTAL RECALL est un succès commercial au box-office mondial. Et c’est ainsi, qu’une histoire achetée seulement 1 000 dollars, est devenue un blockbuster incontournable de la science-fiction, rapportant près de 261 millions de dollars.
Sarah Cerange