Dans Tout nous sépare, son quatrième long métrage, Thierry Klifa met en perspective deux clans issus de deux milieux sociaux différents : d’un côté les bourgeoises, de l’autre les voyous. Deux clans qui n’auraient jamais dû se rencontrer.
Malgré les intentions très claires du réalisateur Thierry Klifa, rencontré à Bordeaux, la teneur du scénario et le casting de premier choix, TOUT NOUS SÉPARE est un film qui laisse, à chaud, une impression de surabondance. Il demande un temps de digestion et d’analyse à froid, pour y voir plus clair. Peut-être ce sentiment est-il dû à l’ambition de vouloir aborder une multitude de sujets, dont la violence dans les cités et la lutte des classes ? Ou bien au fait d’amener les personnages très loin dans les extrêmes et à la volonté de ne prendre parti pour aucun d’entre eux ?
Sans évidemment dévoiler l’intrigue et les multiples rebondissements de ce « polar romanesque qui frise avec le mélo », le réalisateur parvient pourtant à faire exister quatre personnages attachants, offrant ainsi de beaux écrins à leurs interprètes.D’abord les bourgeoises. Louise est veuve, femme de caractère qui en impose, revenue de presque tout. Une louve qui protège malgré elle sa fille Julia. Thierry Klifa dit de Louise qu’elle est une « héroïne des films noirs inspirés des années cinquante, une justicière viscéralement mère, une guerrière avec un côté jusqu’au-boutiste ». Le réalisateur a écrit le rôle de Louise spécialement pour Catherine Deneuve, qui s’est beaucoup impliquée dans le film, très en amont du scénario co-écrit avec Cédric Anger (réalisateur de La prochaine fois je viserai le cœur).
Thierry Klifa, qui a déjà tourné deux films avec la grande Catherine, la filme avec respect et amour: elle est belle et lumineuse, port altier et clope au bec. Il lui sait gré d’être « toujours du côté du film, avec une vision généreuse et très globale, pas uniquement sur son rôle ». C’est d’ailleurs elle qui a suggéré que le personnage de Julia ait plus de consistance qu’à l’origine.
Julia, si belle malgré son infirmité, souffre et est devenue dépendante des médicaments. On aurait bien voulu en savoir plus sur les origines de son accident mais le réalisateur n’a finalement rien voulu expliquer car « TOUT NOUS SÉPARE se conjugue au présent, et même si on se doute qu’il y a une culpabilité de la mère, il ne fallait pas que ce soit la raison qui fasse agir Louise pour sa fille « .
Julia, c’est Diane Kruger, dont le réalisateur pressentait chez elle depuis Sky, « une intensité et une fragilité différentes de ses rôles très iconiques habituels qui mettent à distance ». Force est de reconnaître que Thierry Klifa dépeint décidément bien les personnages féminins, dont les nuances et la complexité sont mises à l’honneur par l’excellente interprétation des deux actrices.
« On ressort sonné de TOUT NOUS SÉPARE, à la fois Western au soleil contemporain et drame intime. »
Le réalisateur fait un peu moins dans la dentelle quand il s’agit d’aborder l’archétype des voyous. Les gars de la cité vivotent de petits trafics et prennent parfois le risque d’aller jouer dans la cour des plus grands, à l’image du récent Money de Gela Babluani. Rodolphe est le dealer de Julia, avec qui il entretient une relation à son corps défendant, empreinte de colère, peut-être même une colère de classe.
Le réalisme des scènes des excès violents de leur addiction mentale et sexuelle autodestructrice, est particulièrement saisissant et difficile à supporter. Il s’explique sans doute par le fait que le réalisateur s’est « inspiré de situations rencontrées par quelqu’un de proche, et de la lecture du roman L’amour et les forêts de Eric Reinhardt ».
Rodolphe c’est Nicolas Duvauchelle, dont on se souvient encore de la poignante prestation dans Je ne suis pas un salaud de Emmanuel Finkiel. Pour le réalisateur, « c’est le seul acteur capable de passer d’un état à un autre dans la même scène: terriblement attendrissant puis extrêmement violent la seconde d’après, comme un animal sauvage ». Les deux potes de Rodolphe sont Karim (Sébastien Houbani, bizarrement sous-exploité étant donné son potentiel dramatique révélé dans Noces de Stephan Streker), et Ben. Ce dernier rêve de quitter la cité pour retrouver sa petite fille. Mais pour ça il faut du fric et c’est difficile d’en trouver, surtout quand on en doit déjà un paquet à un caïd. Car l’argent est au centre de tout, à la source de cette tension nerveuse, qui provoque un stress intense.
Encore une fois, il faut relever la justesse des scènes qui montrent cette peur de ne pas pouvoir rembourser une dette, qui bouffe le ventre et fait perdre les pédales. Ben, c’est Nekfeu, rappeur bien connu des jeunes, plutôt convaincant dans son premier rôle au cinéma. Le réalisateur « trouvait insolite de confronter l’icône éternelle du cinéma français à l’icône de la jeunesse ».Le prétexte de TOUT NOUS SÉPARE est surtout d’offrir à ces quatre personnages des interactions improbables et de faire tomber les masques. Ils sont pris dans la tourmente de ce billard à plusieurs bandes qui cassent les barrières invisibles de l’âge, de l’argent et du milieu social. Confrontés aux conséquences d’un basculement inexorable, ils vont révéler une partie insoupçonnée d’eux-mêmes. Les scénaristes, qui se sont « amusés à transposer les codes des films noirs au monde et à la violence d’aujourdhui », y vont quand même un peu fort avec la violence verbale et physique des protagonistes.
Car même si la génération actuelle semble la pratiquer de façon quotidienne, la violence dans laquelle baignent tous les personnages, dérange. Comme celle que décrivaient récemment Karim Dridi dans Chouf ou Houda Benyamina dans Divines. Et quand on sait que les deux thèmes de prédilection du réalisateur sont « filiation et transmission », on comprend mieux les tentatives de Louise pour transmettre un peu de douceur dans ce monde de brutes grâce à l’art du dialogue, de la négociation calme, et finalement de l’éducation.
Pourtant, à froid comme à chaud, on ressort sonné de ce Western au soleil contemporain, vidé par tant de rebondissements et de coups. Drame intime, TOUT NOUS SÉPARE offre aussi une réflexion double : pleine d’espoir sur la part d’humanité qui peut parfois rapprocher des gens très différents et malgré tout assez désespérante quant à l’inévitable déterminisme social.
Sylvie-Noëlle
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• Réalisation : Thierry Klifa
• Scénario : Thierry Klifa, Cédric Anger
• Acteurs principaux : Catherine Deneuve, Diane Kruger, Nekfeu, Nicolas Duvauchelle
• Date de sortie : 8 Novembre 2017
• Durée : 1h38min