photo du film novembre - NOVEMBRE, au cœur des ténèbres - Critique
Crédits : StudioCanal

NOVEMBRE, au cœur des ténèbres – Critique

Après le très polémique Bac Nord qui traitait – avec la finesse d’un Pascal Praud le samedi soir – le quotidien de la brigade anti criminalité (BAC) des quartiers Nords de Marseille, Cédric Jimenez s’attaque cette fois-ci à un sujet moins touchy ou plus consensuel, celui des attentats du 13 novembre 2015 qui meurtrirent Paris mais aussi toute la France. 

Autour d’un casting cinq étoiles, le cinéaste livre le récit haletant d’une chasse à l’homme à travers l’Europe. Entre mensonges, manipulations et le tumulte des cellules de renseignements, NOVEMBRE s’articule comme une œuvre policière voire un thriller – dont chacun et chacune connaît la fin, mais pas les coulisses de ce qu’ont été les jours suivants le 13 novembre. 

On pouvait légitimement avoir peur de la façon dont un réalisateur comme Jimenez – qui n’a pas l’habitude de faire dans la dentelle – allait traiter ces événements qui n’ont même pas encore 10 ans. On peut notamment relever le travail d’écriture d’Olivier Demangel (Baron Noir, Atlantique) au scénario qui a su dresser un portrait noir et oppressant des tensions au sein de l’appareil d’État mais aussi de l’échec des services de renseignements. Sans caricaturer la figure du terroriste comme cela l’a trop été fait, le film présente des individus quelconques pris dans une spirale ultra violente, entraînés dans une dérive ésotérique qui les coupe de la réalité, d’un monde qui finira forcément par les tuer. Des garçons comme vous et moi, pas forcément méchants, mais plutôt sans avenir, sans repères, souvent sans assises socio-culturelles qui se font happer par une machine idéologique sectaire qui donnera du sens à leur vie et instrumentalise la violence qu’ils ressentent. 

Photo du film NOVEMBRE
Crédits : StudioCanal

Si Jean Dujardin joue un rôle central de chef charismatique un brin trop burné pour être crédible, c’est bien autour des autres interprètes que réside la grande force du film. Avec dans le rôle titre une Anaïs Demoustier dans un registre qui lui va si bien, encore plus convaincante que dans La Fille au bracelet ou elle excellait déjà. Elle campe une agente de la SDAT1Acronyme de la Sous-direction antiterroriste organe de la Police judiciaire voué à la lutte contre le terrorisme en plein conflit interne qui touchera son apogée dans les dernières minutes d’un dernier segment magistral et étouffant. Les deux révélations de ce film sont sans hésitations Lyna Khoudry (Papicha, The French Dispatch) qui joue avec brio le rôle d’une indic de circonstance au bord de la rupture et de l’effondrement et Sofiane Khammes (Chouf, Un Triomphe) dans le rôle d’un agent de renseignements jouée d’une justesse impressionnante. Ces deux comédiens ont une grande carrière devant eux c’est une certitude. 

Le grand plus du film est sa capacité à tenir en haleine le spectateur tout au long du récit, dans un film sans temps mort parfois un poil over the top mais qui n’entache pas non plus la qualité de l’œuvre. Si la mise en scène n’a de son côté rien de novateur à la différence d’un Ladj Ly (Les Misérables), le réalisateur donne une grande place aux comédien.nes et à leur jeu dans un film où cela n’était pas forcément évident. Ne tombant pas dans le travers du déluge de gun fights et de course poursuites  qui auraient été sûrement le cas dans une production américaine par exemple, le réalisateur marque un point non négligeable en signant un film d’action, certes, mais aussi un véritable film humain. 

NOVEMBRE est un film qui marque par son sujet, il traite frontalement les événements de novembre 2015, et sa temporalité resserrée donne une impression d’urgence permanente qui retranscrit correctement la situation que nous avons tous et toutes connu à ce moment-là. Dans une société et un vivre ensemble qui semblent s’effondrer, un avenir qui se terni, Cédric Jimenez dépeint une semaine qui a marqué profondément la France mais qui a auguré aussi l’une des périodes les plus noires du XXIe siècle en France avec l’État d’urgence permanent, l’impunité policière et les différentes lois liberticides sur l’autel d’une lutte contre le terrorisme islamiste. 

Photo du film NOVEMBRE
Crédits : StudioCanal

Si NOVEMBRE brosse le portrait d’une semaine qui a tout changé pour la France, il est aussi le symbole ou le représentant d’un tournant sans précédent dans notre pays. NOVEMBRE n’est que le début d’une nouvelle ère dans notre pays mais aussi dans notre cinéma et nous pourrions voir ce film à l’instar de BAC Nord du même réalisateur comme la réponse assez réactionnaire à un cinéma des banlieues, à un cinéma socialiste et racialiste, comme Les Misérables de Ladj Ly ou au réalisme froid du Polisse de Maïewenn. Il serait intéressant de mettre en parallèle ces deux visions de la police et en l’espèce de la BAC pour se rendre compte de la manière dont les auteurs de cinéma traitent ces sujets. Et d’en définir une variable : qui sont les coupables ? 

Il serait faux de dire que NOVEMBRE ne dépeint pas avec force qualités les évènements du 13 Novembre mais surtout la traque qui a eu lieu ensuite. Dans un style efficace et violent, le réalisateur structure une œuvre justement rythmée et avec une narration plus que correcte. Pour autant, il est impossible d’y voir autre chose qu’un bon film policier musclé à l’américaine contant quelques jours au cœur des ténèbres. Le principe du film est intéressant mais il aurait peut être été plus intéressant pour les spectateurs et les observateurs de s’attarder sur une vision d’ensemble de ce qui a amené ces évènements et les conséquences politiques qu’ils ont eux. Nous pensons directement au format sériel2Nous pouvons également penser au podcasts, nous pouvons vous conseiller la série audio Panda, la voix du djihâd mais aussi la série documentaire 13 novembre l’enquête réalisées par les journalistes de France inter du Bureau des légendes qui donne une marge de manœuvre beaucoup plus grande du fait de sa durée mais Jimenez aurait pu se lancer dans un projet plus ambitieux, dans un film de plus de deux heures ou une saga car ce n’est pas la matière qui manque et nous ne pouvons que déplorer la frustration ressenti à la sortie de la salle en se disant qu’on a vu une petite partie d’une très grande fresque. De quoi espérer une suite ?

Pas certain car si l’écriture est qualitative, on ne peut que relever le caractère borderline du réalisateur. Celui qui a fait de la BAC une grosse machine à cowboys over the top à la Inspecteur Harry a cette fois été épinglé par la jeune femme – appelée Sonia dans le film – qui a permis la police à retrouver Abdelhamid Abaaoud, l’un des organisateurs et des exécutants des attentats de novembre 2015. En effet, cette femme qui vit désormais sous une nouvelle identité a fait imposer par voie de justice aux producteur de faire afficher un texte indiquant que le port du voile islamique au personnage de Lyna Khoudry était un choix de réalisation et n’était pas le cas de Sonia. Pourquoi ce choix de Jimenez ? On peut interpréter de différentes façons cette décision, si l’on peut plaider l’ignorance de la part du réalisateur, on pourrait y voit aussi une forme de misogynie et/ou raciste imposant aux femmes racisées des stéréotypes se basant sur le genre et l’origine tant raciale que sociale : une femme de cité rentrant dans le moule de celle qui porte le voile, a peur de la police – voir dans le film, et est soumise car voilée. Ce n’est malheureusement pas étonnant venant d’un réalisateur aussi progressiste dans ses œuvres que doux dans sa mise en scène et c’est dommage que l’image de la femme a fortiori racisée soit si peu respectée et stéréotypée dans l’esprit d’un réalisateur visiblement aussi féministe qu’anti-raciste.

Nous retiendrons qu’il est préférable de se tenir à la surface du film et ne pas trop creuser car celui-ci est objectivement bien écrit, rythmé et interprété. Il semblerait que le seul problème du film soit le male gaze3Concept désignant le fait que la culture dominante imposerait une perspective d’homme hétérosexuel et le white gaze4Concept désignant le fait que la culture dominante imposerait une vision de personne blanche en opposition aux théories antiracistes et d’intersectionnalité de son réalisateur qui fait souvent les mauvais choix de mise en scène quand ils touchent à une oppression sociale.

Etienne Cherchour

Note des lecteurs13 Notes
image - NOVEMBRE, au cœur des ténèbres - Critique
Titre original :Novembre
Réalisation : Cédric Jimenez
Scénario : Olivier Demangel
Acteurs principaux : Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Lyna Khoudry, Sandrine Kiberlain
Date de sortie :5 octobre 2022
Durée : 1h40min
2.5
Correct

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