Après X, Ti West signe un second volet tout aussi cruel, violent, mais bien plus féminin, avec PEARL. Origin story de l’antagoniste du premier film, ce prequel se sert de la figure de la jeune campagnarde innocente du début des années 20 pour faire écho à notre époque actuelle, dans un vibrant hommage au cinéma des décennies 1950 à 60.
Rouge passion
L’an dernier, le sublime X de Ti West a bénéficié d’une exploitation en salles discrète en France, près de neuf mois après sa sortie aux Etats-Unis. Sa suite, PEARL, ne connaîtra pas cette chance, puisque le film est sorti directement en vidéo chez nous le 16 août 2023, malgré le rayonnement actuel de la société de production A24. Ébauché sur le tournage du premier volet, le scénario de PEARL devait, à l’origine, servir à l’actrice Mia Goth de matière première pour étoffer le personnage de femme âgée au centre du récit de X. Finalement, l’idée d’un triptyque titille West et, après négociation avec A24, il obtient son feu vert pour démarrer la production de PEARL juste après le tournage du premier film.
PEARL ne souffre étonnamment pas de sa rapide mise en chantier. Au contraire, il en bénéficie. L’œuvre baigne effectivement dans l’aura de son prédécesseur et le sens du cadre de Ti West resplendit toujours à l’écran. Toutefois, si l’accointance esthétique saute aux yeux, le film oppose à X une image moins sépia, plus lumineuse, empreinte d’un bucolisme aux couleurs vives. Le bleu du ciel, le vert de l’herbe et surtout, le rouge de la façade redonnent vie à la sinistre ferme du premier film. Prépondérante tout au long du récit, la couleur rouge nous induit les tourments de la jeune Pearl, tiraillée entre sa passion pour la danse, sa libido contrariée et ses obligations familiales. Bien sûr, le rouge fait aussi écho à la violence et à la colère qui sommeillent en elle.
From seventies to fifties
Par ce cadre chatoyant, Ti West opère un nouvel hommage à une seconde décennie de cinéma. Tandis que X référait aux survivals américains, au genre italien et à l’âge d’or du porno des années 70, PEARL se dirige plutôt vers le mélodrame et la comédie musicale des années 50 et du début des années 60. Difficile de ne pas imaginer Julie Andrews chanter l’air des collines au loin dans ces champs, de même que la palette employée rappelle les grandes heures de Douglas Sirk en Technicolor. Dans ses thématiques aussi, PEARL se nourrit de ce cinéma d’alors marqué par la Grande Guerre. Des hommes partis au front, des femmes laissées en arrière et de la survie des familles dans les campagnes américaines.
Les événements se déroulent ici en 1918, soit près de cinquante ans avant ceux de X. Pearl est une héroïne typique de cette période, où les cinéastes américains faisaient évoluer leurs personnages dans un climat d’après-guerre. Une jeune fille de la campagne, qui attend sagement le retour du front de son mari et des jours meilleurs. En temps normal, elle serait patiente et brave. Or, dès son introduction, PEARL opère une rupture avec ce trope, puisque la douce demoiselle embroche brutalement une oie pour la jeter au crocodile. Contrairement à Julie Andrews, la protagoniste ne s’occupe pas d’élever des enfants. Elle répugne à ses tâches quotidiennes et rêve de brûler les planches loin du Texas. Contrairement à Barbra Streisand, elle ne gravira pas l’échelle sociale.
Un récit profondément féminin
Car la vie de Pearl est en réalité constituée de frustrations. Il n’existe aucune échappatoire à sa triste condition. Le mélodrame intervient alors dans l’opposition avec une bourgeoisie à qui tout sourit. La rage sourde qui sommeille en Pearl finit par exploser dans un déferlement de violence. Qui paraît, somme toute, légitime au spectateur, qui aimerait qu’elle puisse s’accomplir par-delà les champs de maïs. Également car Pearl subit la violence morale d’une mère abusive et la manipulation d’un homme intéressé uniquement par ses charmes. Le personnage est une femme ambitieuse, douée de talent, avec une libido affirmée, mais forcée de se soumettre à un certain ordre moral. Une résolution encore tacite pour de nombreuses femmes, même si le carcan social prétend peser moins lourd aujourd’hui qu’en 1918.
L’implication de Mia Goth au scénario se ressent par cette problématique toute féminine, bien plus prégnante qu’au sein de X. Le parallèle avec le personnage de Maxine dans le premier film, la porn star interprétée par la même actrice, se cristallise dans l’évolution des mœurs de 1918 à 1979. Là où Pearl n’a pu s’épanouir, Maxine jouit librement de sa sexualité et en fait même l’instrument de sa réussite. Toutefois, le final de X témoigne d’une rage et d’une violence semblables à celles de Pearl chez la jeune actrice. Gageons que le troisième métrage à venir, intitulé MaXXXine, se donnera pour objectif d’achever ce portrait de la condition féminine au fil des décennies. Par cette ambition, le triptyque de Ti West s’inscrit dans la lignée des grands films de genre qui nous parlent autant de cinéma que de société. Puisse ce troisième opus se révéler aussi brillant que ses prédécesseurs.
Lilyy Nelson